jeudi 19 avril 2018

GIANTS #5, de Carlos et Miguel Valderrama (FINALE)


C'est déjà la fin de la série - en vérité, je ne m'étais jamais soucié de savoir s'il s'agissait d'une mini-série, même si je me doutais que l'histoire n'allait pas durer longtemps. Et pour cette finale issue, les Valderrama bros. n'ont pas fait les choses à moitié, concluant leur récit de manière épique, osant même effleurer la tragédie dans ce qu'elle a de plus antique.


Après avoir détruit le refuge des Forsaken à Surface City, Zedo et sa bande s'enfuient avec comme otages Jol et Titia. Mais l'explosion a attiré à leurs trousses le monstre géant Sheik. Il lâche sur les fugitifs ses insectes qui attaquent les complices de Zedo tandis que Jol et Titia se cachent dans une voiture presque entièrement cachée sous la neige. Dans la confusion, le paquet d'Ambernoir volé à Uron est lâché parterre.
  

Gogi et Kara se sont entre temps retrouvés et attirent à leur suite le monstre géant Wraith, qui a achevé de dévasté leur refuge. Tandis que Kara vole au secours de Jol et Titia emportés par un insecte, Gogi affronte Zedo en même temps que Sheik est frappé par Wraith.


Gogi est dominé par Zedo et lui avoue que s'il l'a abandonné autrefois, c'était par peur. Mais l'heure n'est pas au pardon pour les deux anciens amis : Zedo ne veut que l'Ambernoir pour s'assurer d'être le nouveau roi d'Underground City, Gogi veut venger Uron mort à la suite de la destruction de son refuge par les Blackmouths.


Zedo glisse sur une pente neigeuse en contrebas de laquelle le paquet rempli d'Ambernoir se trouve. Gogi le rattrape. Mais la lutte entre Wraith et Sheik a tout fragilisé autour d'eux et Zedo tombe dans le vide en voulant attraper ce qu'il convoite. Il connait un sort fatal et atroce à cause de cela.


Gogi n'est pas loin de subir le même destin mais Kara, aidée par Jol et Titia le retiennent avant qu'il ne finisse dans la gueule de Sheik qui fuit ensuite, poursuivi par Wraith. Avec ses trois amis, Gogi improvise un tombeau en hommage à Zedo dont il a récupéré la casquette. Pour lui, il rêve à présent d'un futur meilleur, plus grand : géant.

Mené à toute allure, cet épisode est dominé par l'action sous toutes ses formes : destructions, courses-poursuites, explosions, bagarres, acrobaties, etc. Vingt pages d'énergie pure, mais non dénuées de symboles et d'un sens du tragique poignant.

Depuis qu'ils furent séparés dans des circonstances tragiques dès le début de l'histoire, c'est comme si, en vérité, tout tendait vers ce dénouement : orphelins et petits voyous, Gogi et Zedo étaient comme des frères que la réalité a rattrapés. Ambitieux en voulant intégrer un gang qui ne voulait d'eux que comme chair à canon et prospecteurs suicidaires, l'événement qui les a éloignés les a aussi révélés.

Gogi, au contact des Forsaken, a découvert une autre manière de vivre, oubliant Underground City et ses vices multiples, pour une paix précaire mais précieuse et apaisante. Zedo, au contraire, s'est endurci, mu par la vengeance contre son ami qui l'avait (croyait-il) abandonné en mission et profitant d'un règlement de comptes entre gangs, s'est transformé en chef de bande aussi rapace que ceux qu'il servait. Leurs retrouvailles, attendues, ne pouvait qu'aboutir à un drame fondé sur un malentendu.

Zedo n'avait plus de place en son coeur ni pour le pardon ni pour autre chose que son projet de conquête. Gogi, en devant laisser Uron se sacrifier et en assistant à la fin du refuge qui l'avait accueilli, ne pouvait admettre encore être l'ami de celui qui venait de saccager sa nouvelle existence. Même en avouant à Zedo qu'il l'avait abandonné par peur et en le croyant mort, Gogine s'excuse pas tant qu'il ne s'explique avant de contre-attaquer.

L'idée brillante de Carlos Valderrama est d'avoir associé le duel entre les "frères" ennemis à celui, grandiose et terrifiant, des deux monstres régnant à la surface du monde, Wraith (le roi déchu) et Sheik (le nouveau prince régent). Bien qu'aucun lien n'établit que les géants prennent le parti d'un des adolescents, c'est pourtant comme si leur combat s'orchestrait en écho au leur. D'ailleurs Zedo, comme illuminé, le remarque : "Regarde, ils dansent pour nous !"

Le choc des titans a donc lieu en parallèle et en simultané avec la bagarre de Gogi et Zedo. Entre les deux, ce qui rend fou l'un et attire les géants, un paquet d'Ambernoir, objet de convoitises et de perte. Le sort qui attend Zedo est aussi terrible et pathétique que le geste qui le voit tenter jusqu'au bout de récupérer le minerai alors qu'il plonge dans la gueule d'un des monstres. En revanche, Gogi devra d'avoir la vie sauve à la solidarité que lui manifestent ses amis, Kara, Jol et Titia, dans une situation acrobatique.

Miguel Valderrama est prodigieux, depuis le début, quand il s'agit de mettre en scène des scènes d'action spectaculaires et ce dernier épisode lui permet de le prouver encore une fois. Son frère lui a visiblement laissé les commandes sur plusieurs pages tant le découpage dégage une impression de fluidité et de dynamisme, jouant avec les plans horizontaux, verticaux, obliques. L'influence du manga, explicite dès le commencement, est encore une fois visible dans les enchaînements d'une case à l'autre, les compositions, les angles de vue. Et le décor neigeux ne dispense pas l'artiste de toujours veiller à soigner les détails qui entourent ses personnages et situent l'action.

La complicité des Valderrama éclate finalement encore plus quand à la dernière page, dans une déclinaison de cases de la largeur de la planche, dont le calme et l'émotion tranchent avec tout ce qui a précédé, on assiste aux funérailles symboliques à la fois de Zedo et du rêve des Forsaken autour de Gogi, qui souhaite maintenant s'engager dans un futur à la mesure des fautes qu'il a commises et des personnes qui se sont sacrifiés pour lui. Soudain, sans prévenir, la dimension tragique, dans sa plus pure essence, nous étreint et dévoile la nature de ce récit : la fin de l'innocence mais aussi le serment de ne pas oublier et de faire honneur.

C'est simple, sobre, et tristement beau.  

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