lundi 15 janvier 2018

MOON KNIGHT, VOLUME 1 : FROM THE DEAD, de Warren Ellis et Declan Shalvey


Fréquemment, le scénariste Warren Ellis accepte une commande pour Marvel ou DC entre deux projets personnels, du "work for hire" qui dépasse parfois la simple exécution d'un contrat façon mercenaire pour donner un nouvel élan à un personnage ou une série. Il y a (déjà) quatre ans, c'est ainsi qu'à la suite de Brian Michael Bendis (un de ses amis) il reçut pour mission de rendre Moon Knight plus accessible et percutant. Le résultat tient dans un bref run de six épisodes mais qui lui permit de rencontrer le dessinateur Declan Shalvey, son actuel partenaire sur le titre Injection (publié chez Image Comics).


- Slasher. Appelé en renfort par le détective Flint, Moon Knight examine une scène de crime mais y voit autre chose que le simple théâtre du méfait d'un slasher qui tue des hommes forts et en bonne santé. Le coupable doit pouvoir se retirer vite et simplement : Moon Knight pense aux égouts et  descend dans les entrailles de New York jusqu'à découvrir le repaire d'un ancien agent du S.H.I.E.L.D. mutilé par une mine et qui dépèce ses victimes pour se réparer. En le faisant parler, le justicier le blesse mortellement. Plus tard, Marc Spector entend le diagnostic de sa psy : il ne souffrirait plus de schizophrénie mais bel et bien d'une invasion mentale par un esprit surnaturel - celui de Khonshu, le dieu de la lune égyptien.


- Sniper. Un tireur embusqué tue neuf personnes apparemment sans rapport entre elles jusqu'à ce que Moon Knight le repère sur le toit d'un immeuble visant une nouvelle cible. Les deux hommes s'affrontent jusqu'à ce que le justicier réussisse, difficilement à prendre l'avantage. Le sniper explique qu'il exécute ceux qui finançaient son régiment avant de lui couper les vivres, préférant s'enrichir plutôt que de soutenir l'effort de guerre. La dixième cible abat le tireur en justifiant que chacun choisit comment évoluer.


- Box. Quatre esprits frappeurs aux allures de punks des années 70 agressent sans raison des civils dans Manhattan downtown. Après trois attaques, sollicité par le détective Flint, Moon Knight intervient mais s'avère impuissant et se fait passer à tabac. Chez lui, il prend conseil auprès de Khonshu qui lui recommande d'utiliser ses reliques égyptiennes. Vêtu d'une armure antique, Moon Knight retourne défier les spectres et en vient à bout. Il localise ensuite leur repaire où il trouve leurs quatre cadavres décomposés, tués certainement après un ancien braquage foireux.


- Sleep. Recommandé par son confrère, le Dr. Peter Alraune, le Dr. Skelton demande son aide à Moon Knight après avoir pratiqué des expériences sur le sommeil auprès de patients, tous ayant le même rêve. Le justicier investit la seule chambre vide du local de Skelton et s'endort, plongeant dans les limbes où il découvre Craiglist, un des patients incapable de savoir s'il dort encore ou s'il est éveillé. Moon Knight revient à lui et entraîne par la force Skelton dans la chambre où il déterre le corps de Craiglist, dont le cerveau est contaminé par un champignon toxique, ce qui a infecté les autres patients.


- Scarlet. Une fillette a été enlevée et est retenue au cinquième étage d'un immeuble abandonné qui en compte six. Moon Knight y pénètre et affronte la quinzaine d'hommes en armes qui occupe l'endroit, gravissant étage après étage en les éliminant les uns après les autres. Il sauve la fillette, indemne, qui voit le masque du justicier comme son vrai visage et non un moyen de le cacher. Le chef du gang est exécuté par le drone de Moon Knight survolant le toit.


- Spectre. Ryan Trent était un des policiers en uniforme présent sur la scène de crime examinée par Moon Knight dans l'épisode 1. Vexé que le justicier ait résolu l'affaire à la place des autorités, il devient obsédé par cela et d'autres humiliations subies par le passé. Trent tente d'interroger Marlene Fontaine, l'ex-femme du Dr. Alraune, puis Jean-Paul Duchamp, le pilote de Moon Knight, avant de s'informer sur ses ennemis les plus redoutables. Il découvre ainsi Black Spectre, alias Arson Knowles, dont il décide d'usurper la double identité, puis tend un piège au justicier. Mais il échoue à le neutraliser car comme celui dont il s'est inspiré, Trent a voulu vaincre pour l'estime des autres alors que Moon Knight s'en moque.

Souvent réduit à la version Marvel de Batman, Moon Knight est un fascinant super-héros dont la folie, soulignée par son rapport équivoque à sa propre identité (avec son trouble schizophrène et sa relation avec le dieu Khonshu) et la justice (il emploie des méthodes expéditives sans être un tueur comme le Punisher), ne pouvait que séduire Warren Ellis, qui a théorisé (notamment dans ses  épisodes déchaînés de Thunderbolts) que les justiciers se masquaient et s'habillaient de manière excentrique pour imiter les chevaliers (knights donc) de jadis.

Chaque auteur qui a écrit les aventures de Moon Knight a plus ou moins insisté sur un aspect du personnage - ses personnalités multiples, sa possession mystique par Khonshu, etc. La précédente incarnation du héros par Bendis proposait que Marc Spector, exilé à Los Angeles, se choisissait comme modèles moraux trois confrères (Spider-Man, Captain America, Wolverine) pour être à la fois efficace et rester dans les clous éthiquement parlant. Ellis décide en saisissant l'opportunité de relancer le personnage d'opérer une synthèse.

D'abord, il assume l'influence de Batman en en faisant une sorte de détective de l'étrange. Mais pas que. C'est aussi un vigilante qui, comme son totem, veille sur la ville la nuit, au clair de lune, une sorte de kamikaze aussi prêt à s'engager dans une mission-suicide. Ensuite, le scénariste exploite le passé égyptien de Marc Spector : il s'agit moins d'insister sur sa schizophrénie que d'établir qu'il est littéralement envahi mentalement par Khonshu (comme le diagnostique sa psy - personnage fugace mais au potentiel inquiétant, que Brian Wood se chargera de développer ensuite) et que ses voyages à l'étranger (durant ses activités de mercenaire, sous d'autres identités) lui ont permis de collecter plusieurs reliques magiques, pratiques dans certaines circonstances. Enfin, chaque épisode est un récit self-contained, mais la fin du run forme une boucle narrative épatante, produisant un effet-miroir fascinant (avec le policier Trent obsédé par Moon Knight au point de vouloir le tuer pour s'accaparer sa gloire et, pour cela, reprenant l'alias du Black Spectre, moralement et esthétiquement opposé au justicier).

En collaborant avec Declan Shalvey, Ellis s'est trouvé un partenaire qui partage parfaitement ses lubies visuelles, mais l'artiste qui, jusqu'alors, était cantonné à des séries sans grand retentissement chez Marvel, ne se contente pas de servir graphiquement les scripts du célèbre scénariste.

Sa première contribution est de relooker Moon Knight selon les circonstances : sur 4 épisodes et demi, il n'opère pas dans une combinaison de spandex mais dans un élégant costume trois pièces d'un blanc absolument immaculé - Jordie Bellaire, Mme Shalvey à la ville, n'applique aucune couleur au personnage, ce qui créé un effet étonnant par rapport aux autres acteurs et aux décors. Dans l'épisode 3 (Sleep), MK endosse une curieuse armure avec un masque ressemblant au crane d'un corbeau, semblable à la tête de Khonshu, pour parer aux attaques de spectres et les vaincre - une idée simple et géniale puisqu'on devine que la carapace est magique. Dans l'épisode 2 (Sniper), il revêt une tenue plus classiquement super-héroïque avec une cape et une capuche blanche identique au design de Bill Sienkiewicz, mais avec des parties noires sur le corps (son masque, ses biceps, son ventre, ses jambes) - les parties blanches ayant la forme de croissants lunaires comme son logo et ses armes.  Ces corrections ont un effet maximum qui repensent le personnage sans le dénaturer.

Shalvey a dû aussi composer avec des exercices de style purement "Ellisiens", en particulier l'épisode 5 (Scarlet) où Moon Knight s'engage dans une baston insensée contre une quinzaine de gangsters dans un squatt. Econome en dialogues comme vous pouvez le déduire, centré sur l'action la plus brutalement exprimée, ce genre de chapitre fait partie de la signature du scénariste depuis Global Frequency (l'épisode Hyperviolence, dessiné par Tomm Coker) jusqu'à Secret Avengers #18 (dessiné par David Aja). C'est un vrai morceau de bravoure qui réclame de la fluidité dans le découpage et la faculté de traduire l'impact des coups, la progression paroxystique du combat, toutes choses superbement accomplies ici.

Enfin, Shalvey a su lire chez Ellis le sens du mouvement qui traverse ses récits : cette mobilité fait écho d'un épisode à un autre, parfois de manière très subtile, mais exprime aussi le sens des intrigues et leur résolution. Ainsi, dans l'épisode 1 (Slasher), Moon Knight descend pour débusquer l'assassin tout comme dans le #4 (Sleep), tandis qu'il doit monter dans le n°5 (Scarlet) pour sauver la fillette dans l'immeuble. Dans l'épisode 2 (Sniper), toute l'action est latérale et les déplacements s'effectuent dans le sens de la lecture, de gauche à droite. Enfin, les épisodes 1 et 6 (Spectre) forment un effet-miroir spectaculaire, une boucle narrative : Moon Knight n'apparaît plus que dans les ultimes pages du chapitre final, l'histoire retraçant la folie croissante de son ennemi.

En un recueil et six épisodes, Warren Ellis et Declan Shalvey réussissent donc magistralement à raconter Moon Knight comme personnage, série et concept, s'emparant de ses facettes les plus saillantes pour en tirer une synthèse qui a valeur de rapport définitif. Marvel décidera pendant deux autres cycles de même quantité de prolonger ce cadre (avec les excellents Brian Wood-Greg Smallwood d'abord, puis les médiocres Cullen Bunn-Ron Ackins ensuite) avant de laisser carte blanche à Jeff Lemire et Greg Smallwood pour une quinzaine d'épisodes extraordinaires où le "chevalier de la lune" affrontait son meilleur ennemi : lui-même. 

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