dimanche 1 octobre 2017

MARVEL LEGACY #1, de Jason Aaron et Esad Ribic

(Variant cover de Valerio Schiti)

Nous y voilà ! Marvel vient de publier ce fameux Marvel Legacy #1, qui, promis par l'editor-in-chief  Tom Brevoort, allait "scinder Internet en deux"... Mais aussi réconcilier les fans de toujours et les nouveaux lecteurs, restaurer le rêve et l'espoir, et, en prime, ramener un "personnage chéri" du public.

L'initiative ne manquera pas de rappeler celle de DC Comics il y a un an à l'occasion du lancement de Rebirth - même format (un one-shot), mêmes ambitions (rebondir après les cinq années d'expérimentations du reboot des "New 52", retour de versions iconiques des personnages emblématiques de l'éditeur) - et la comparaison est inévitable (même si Marvel n'est pas passé par la case reboot et sort d'une longue saga, Secret Empire, au terme de laquelle "la maison des idées" a promis de ne plus en lancer de nouvelle avant au moins 18 mois... Tandis que DC vit au rythme de Metal de Scott Snyder et Greg Capullo). Alors que raconte et que vaut Marvel Legacy #1 ?  


Il y a un million d'années, Odin récupère sur Terre son marteau Mjolnir avec lequel il vient d'affronter un Céleste (un géant galactique surpuissant, membre d'un corps qui a créé les Eternels et les Déviants, et à côté desquels même Galactus ne fait pas le fier) lorsqu'il est rejoint par Phoenix qui a également pris part au combat (et en revendique la victoire). Ils rejoignent un groupe formé par les premiers Iron Fist, Black Panther, Starbrand, Ghost Rider (qui a perdu dans la bataille sa monture, un mammouth) et le sorcier Agamotto. Le Céleste n'est pas encore mort et l'équipe repart l'achever avant, comme le conseille Odin, de l'enterrer sur la Lune.


De nos jours. Robbie Reyes se réveille après avoir rêvé de ce combat en découvrant, sidéré, qu'il est non pas à Los Angeles (où il s'était endormi) mais à Cape Town en Afrique du Sud. Peu après, il est pris à parti par Kevin Connor, l'hôte actuel du Starbrand, qui veut l'empêcher d'atteindre un site voisin. Se transformant en Ghost Rider, Reyes riposte et finit, au terme d'un duel ravageur, par tuer son adversaire.


Au même moment, dans la Zone 51 du Nevada, aux Etats-Unis, Loki téléporte des géants des glaces aux abords d'une base prochainement désaffectée du S.H.I.E.L.D. (qui va être dissout) pour y récupérer une caisse contenant un objet très puissant, avec lequel ils domineront les neuf mondes. 


Mais la mission des voleurs est contrariée par l'intervention de Captain America (Sam Wilson), Thor (Jane Foster) et Iron Heart (Riri Williams). Dans la confusion de la bagarre, un des géants réussit malgré tout à dérober la fameuse caisse mais il ne va pas bien loin avec car un camion le percute. 


Depuis l'espace, Gamora (des Gardiens de la Galaxie) remarque qu'une des Gemmes d'Infinité est activée et interprète cela comme le signe d'un conflit important et imminent. Loki, lui, a compris qu'il n'aurait pas la pierre et se déplace dans la grotte Wonderwerk du Grand Karoo (entre Cape Town et Johannesburg, en Afrique du Sud - à proximité duquel se sont battus Ghost Rider et Starbrand). Des archéologues ont découvert ici des peintures rupestres représentant l'équipe menée par Odin un million d'années auparavant et le Céleste enterré ici, dont Loki précipite le réveil.


Cependant, Le géant des glaces percuté par le camion découvre l'identité du chauffeur : il s'agit de Wolverine, qui tue le voleur aussitôt et s'empare du contenu de la caisse, la Gemme d'Infinité bleue dite de l'esprit (contenant notamment les âmes de feux Rick Jones et Captain Mar-Vell).

Ponctuant le récit, une série de planches montre la situation de différents personnages :  

 (dessins de Chris Samnee)

- Steve Rogers dîne dans un resto routier anonymement alors qu'un journaliste à la télé se demande où il est passé depuis les événements de Secret Empire (où son double nazi avait pris le pouvoir) ;

(dessins de Russel Dauterman)

- Thor Odinson se soûle à Asgard tandis qu'un des vizirs du royaume se suicide après avoir découvert le retour prochain de Mangog ;

(dessin d'Alex Maleev)

- Mary-Jane Watson, directrice intérimaire de Star Industries, découvre que le caisson où reposait, en animation suspendue, Tony Stark/Iron Man depuis le dénouement de Civil War II est vide ;

(dessins d'Ed McGuinness)

- Deadpool, enfermé dans des toilettes, invoque le pardon de Dieu pour avoir tué l'agent du SHIELD Phil Coulson durant Secret Empire alors que trois policiers veulent l'arrêter pour cela et ouvrent le feu pour cela ;

(dessins de Stuart Immonen)

- Iron Fist est avec le Dr. Strange pour tenter de savoir qui a tenté de pénétrer dans le Sanctum Sanctorum du sorcier suprême - il s'agit de Norman Osborn qui s'en éloigne en maugréant ;

(dessins de Pepe Larraz)

- au manoir des Avengers, le majordome Jarvis est troublé en observant la statue de la première équipe des héros dans le parc sans savoir pourquoi, alors qu'une héroïne supplémentaire, Valerie Victor alias Voyager, y a été rajoutée ;

(dessins de Jim Cheung)

- sur le toit du Baxter building, Johnny Storm, la Torche humaine, interroge son ami Ben Grimm, la Chose, sur la nécessité de perpétuer le souvenir de leur ancienne formation, les 4 Fantastiques ;

(dessins de Daniel Acuña)

- sur la planète Bast s'étend désormais l'empire galactique du Wakanda gouverné par Black Panther ;

(dessins de Greg Land)

- dans une station de l'Alpha Flight, un opérateur s'absente et rate l'émission d'un message provenant de la planète Sakaar demandant à Hulk de revenir urgemment ;

(dessins de Mike Deodato)

- au Canada, la jeune Jean Grey des All-New X-Men (aka X-Men Blue) découvre que le squelette d'adamantium fondu puis pétrifié dans lequel est mort Wolverine est cassé en deux et elle comprend que le mutant est revenu à la vie ; 

(dessins de David Marquez)

- et enfin, dans le Multivers, Valeria Richards, en compagnie de son frère Franklin, la narratrice du récit, se demande quelle zone elle va explorer - en vue de préparer le retour de ses parents sur Terre ?

Même si je suis moins clément, et client, avec ce qu'écrit Jason Aaron que beaucoup (mais sans pourtant le comparer à des auteurs que je lis plus volontiers - il ne s'agit pas d'une compétition de scénaristes, simplement d'être plus ou moins sensible à des histoires qu'ils proposent), je n'ai rien contre lui. Je constate cependant qu'il est devenu "l'architecte" en chef actuel de Marvel, son scénariste vedette, peut-être son scribe le plus influent (même s'il faut relativiser cette influence car les editors soufflent volontiers aux oreilles de leurs auteurs ce qu'ils veulent raconter).

Ceci étant dit, on mesure bien la différence entre ce que Marvel établissait en 2011, au moment de la publication de la saga Fear Itself (par Matt Fraction et Stuart Immonen), et aujourd'hui : il y a six ans, l'éditeur avait nommé plusieurs "architectes" - Aaron déjà, Jonathan Hickman, Fraction, Brian Bendis, Ed Brubaker) - pour conduire étroitement leurs séries-phares. Ce collectif trouverait à la fois son aboutissement et sa limite avec la conception de la saga Avengers vs. X-Men en 2013 où les scénaristes avaient développé une intrigue construite par Aaron et Bendis à la manière d'un pool comme celle des séries télé. Le résultat avait donné lieu à un récit bancal, avec de brusques ruptures de ton, une narration maladroite (sans parler de l'alternance pénible de trois dessinateurs).

Pendant ce temps, chez DC Comics, l'importance, dans l'organigramme et dans la continuité des titres, de Geoff Johns n'a cessé de croître (au point qu'il devienne une sorte de super-directeur artistique pour unifier les séries, ce qu'a concrétisé Rebirth). L'exemple a dû inspirer Marvel qui a confié les clés à Aaron : c'est ce que prouve nettement Marvel Legacy #1.

Ce one-shot de plus de 50 pages avait pour mission, selon l'annonce, de tirer le bilan des dernières années et de donner un nouveau souffle au Marvel-verse. Parallèlement, l'éditeur publie d'ailleurs une séries de récits unitaires, Generations, qui met en scène des rencontres entre les incarnations successives de héros emblématiques (Iron Man-Iron Heart, Captain Marvel-Captain Mar-Vell, les deux Wolverine, les deux Hawkeye, les deux Thor, les deux Jean Grey). "Legacy" signifiant "héritage" + Generations : le message est clair, il faut rendre justice au passé tout en gardant la fraîcheur des nouveautés injectées ces derniers temps.

Mais le souci, c'est que Marvel Legacy #1 ne parle pas vraiment d'héritage, quand bien même sa narratrice cite pas moins de 11 fois ce mot. Ou alors il s'agit surtout d'hériter d'ennuis, de cadavres dans les placards. Un Céleste qui se réveille et auquel Loki s'intéresse par ici, Steve Rogers obligé de restaurer sa réputation ruinée par un double nazi de Captain America par là... Rien n'est résolu ici, et la menace réactivée laisse perplexe (les Célestes sont quand même les entités les plus puissantes de tout l'univers Marvel, et celui qui est présent dans ces pages est décrit comme le plus dérangé).

Aaron a rédigé deux histoires en fait : la première, dessiné (superbement) par Esad Ribic, est incroyablement brouillonne, part dans plusieurs directions comme (déjà) une sorte de teaser artificiel où sont inventés des Avengers pré-historiques franchement grotesques. OK pour des créatures extraordinaires comme Odin, les premiers Starbrand, Ghost Rider et Phénix, voire Agamotto, dont les origines sont bien antérieures à un million d'années... Mais comment justifier des proto-Black Panther et Iron Fist à une époque où les hommes étaient encore des primates ? Et quitte à invoquer un Céleste pour réunir ces héros (bien que leur groupe brille surtout par la mauvaise ambiance entre ses membres), on peut légitimement s'étonner qu'aucun Eternel, des homo-sapiens génétiquement améliorés par les Célestes) ne soit dans les parages... Ou même qu'à la place d'Odin, ce ne soit pas son père, Bor, qui se montre... 

Ensuite, on a droit à un combat à mort entre les Ghost Rider et Starbrand actuels, le second voulant à tout prix empêcher le premier d'approcher de la tombe du Céleste... Alors que Robbie Reyes semble ne même pas être au courant de cela - et ne s'attarde d'ailleurs pas dans le coin, une fois qu'il a tué son adversaire ! A part éliminer Kevin Connor, à quoi sert ce passage ?

Le dernier segment est plus cohérent mais pas original pour un sou : on a droit à Loki qui, pour la énième fois, veut mettre la main sur une source de pouvoir sur Terre, mais sans se salir les mains. Evidemment, la mission échoue et, ni une ni deux, le dieu asgardien du mensonge s'en va en Afrique du Sud parachever le réveil du Céleste, dérangé par deux archéologues. Les émissaires de Loki, eux, sont embarqués par le SHIELD grâce à trois Avengers, et ce qu'ils étaient venus dérober est in fine récupéré par le fameux "personnage chéri du public" promis par Brevoort : Wolverine !

Le canadien est donc désormais non seulement de retour parmi les vivants (mais comment ? Mystère !) et en possession d'une Gemme d'Infinité (rien que ça !). En tout cas, ça risque d'être embouteillé question mutants griffus puisque actuellement on a Old Man Logan chez les X-Men Gold, Ultimate Wolverine chez les X-Men Blue, et Laura Kinney-All-New Wolverine dans sa propre série ! 

Lorsqu'on a terminé la lecture de la trame principale de Marvel Legacy, on est perplexe car il n'y a ni bilan ni assurance d'un avenir plus light. La seule nouveauté, ce sont ces fameux Avengers des temps anciens, qui apparaissent durant cinq pages, donc sans personnalité (Odin grogne, Phénix le nargue, Ghost Rider pleure son mammouth, Starbrand essuie des reproches, Agamotto avait tout prévu...), mais dont on nous promet le retour, et dont les actions impacteront le présent (à commencer par le fait qu'ils n'ont pas enterré le Céleste sur la Lune comme le recommandait Odin - bien prévenant pour les humains qu'il a pourtant toujours méprisé...).

Ce n'est donc pas brillant.

Alors on considère les planches intercalées dans cette histoire censées, elle, montrer où en sont des héros actuels... Et là, le procédé est aussi artificiel (toujours cet effet teaser) et frustrant (surtout en ce qui concerne les Fantastic Four, dont beaucoup espéraient davantage le retour que celui de Wolverine). Le sort de Tony Stark (qui n'est plus dans son caisson) est le plus intrigant et on verra ce qu'en fera Bendis (en charge du personnage), tout comme l'empire galactique (?!) du Wakanda. Mais la scène à Asgard avec cet exaspérant Thor Odinson qui se bourre la gueule en déprimant, celle où Deadpool se fait tirer dessus dans des WC, la tentative ratée de Norman Osborn d'entrer dans le sanctuaire du Dr. Strange, etc. Tout ça ne dit rien, c'est juste du placement de personnages, des allusions à de futures intrigues dans des séries, qui plus pauvrement dessiné (Immonen livre une page mochissime, tout comme Deodato, Marquez assure le minimum...). Seule la planche de Samnee avec Steve Rogers est bien composée et belle à voir (la reprise de Captain America par Waid et Samnee est, à ce jour, le titre le plus prometteur qui démarrera en Novembre).

Reste le cas des FF : ce que ne dit pas Marvel Legacy (ni les editors de Marvel), c'est que Ike Permulter, un des pontes de Marvel, refuse de relancer une série avec ces personnages tant que la Fox ne cédera pas leurs droits d'exploitation cinéma. D'où cette situation absurde où la Torche humaine et la Chose sont sur Terre comme des âmes en peine, et Reed Richards, sa femme Sue, leurs enfants Valeria et Franklin en train de jouer hors champ aux explorateurs du Multivers depuis la fin de la saga Secret Wars en 2015... Voilà qui est particulièrement incongrue de ne pas ramener l'équipe au grand complet quand on invoque des notions de générations et d'héritage puisque les 4F furent les premiers super-héros de Marvel en 1963 !  

En vérité, et pour conclure, je ne sais pas à quoi sert ce one-shot : il ne correspond ni à son annonce et ne comble rien de ce qui manque essentiellement à Marvel aujourd'hui (un esprit, une cohérence, une passerelle entre tradition et innovation, un sens évident au retour ou à l'absence de personnages : bref, tout ce qui agrège une collection de séries, fonde un univers). On a plus affaire à une sorte de brochure promotionnelle pour ce qui va arriver qu'un comic-book synthétique et prometteur, rappelant à tous, nouveaux et anciens lecteurs, ce qui distingue Marvel et ses héros et leurs histoires.

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