mercredi 4 octobre 2017

L'AMOUR DURE TROIS ANS, de Frédéric Beigbeder


Le premier film réalisé par le romancier et chroniqueur mondain (et fêtard invétéré) Frédéric Beigbeder lui ressemble parfaitement. A moins qu'il ne ressemble plutôt à ce qu'on pense savoir de lui. Ce doute sur la perception tombe à pic : c'est le thème de cette histoire largement autobiographique, bourrée de clins d'oeil, à la fois agaçante de maniérisme et étonnamment aboutie.

 Marc Marronnier entouré de ses parents (Bernard Menez, Gaspard Proust et Annie Duperey)

Après trois ans de vie commune la femme de Marc Marronnier, critique littéraire et noctambule incorrigible, demande le divorce. D'abord dévasté, le jeune homme cherche du réconfort auprès de ses deux meilleurs amis, Jean-Georges, propriétaire d'un night-club, et Pierre, petit-bourgeois sur le point de se marier avec une anglaise écervelée, Kathy. Mais c'est en faisant lucidement son examen de conscience, seul, que Marc admet les erreurs qu'il a commises et qui ont signées son échec amoureux.

Marc et Alice (Gaspard Proust et Louise Bourgoin)

Tout bascula quelques mois auparavant lorsqu'il se rendit, seul, aux obsèques de sa grand-mère, devant composer avec ses parents divorcés (son père s'est remarié avec une fille plus jeune que lui, la ravissante Chloé ; sa mère s'est remise en écrivant des ouvrages sur le bien-être pour femmes mûres). Après la cérémonie, Marc fait la connaissance d'Alice, la superbe compagne de son cousin Antoine, et en tombe follement amoureux.

Jean-Georges, Pierre et Marc (Joey Starr, Jonathan Lambert et Gaspard Proust)

Pour se soulager, Marc entame parallèlement la rédaction d'un roman sur son ratage conjugal, un précipité de cynisme sur l'hypocrisie du mariage, et un travail intense pour séduire Alice. Pour se couvrir néanmoins, lorsque l'éditrice Francesca Vernisi accepte de publier son manuscrit, il le signe d'un improbable pseudonyme afin que ses collègues critiques littéraires ne l'égratignent pas et qu'Alice ne soupçonne pas qu'il en soit l'auteur.

Alice et Marc

Mais le succès surprise rencontré par l'ouvrage, bientôt primé par le jury du Café de Flore, incite son éditrice à démasquer Marc. Quand Alice apprend l'imposture, elle s'estime légitimement trahie et rompt aussitôt avec son amant. Brisé, Marc s'abandonne à nouveau au cynisme et à l'ivresse alcoolisée en prononçant un discours fielleux lors du repas de noces après le mariage de Pierre et Kathy.  

Marc et Alice

Alors que Jean-Georges lui avoue l'envier car il n'a jamais souffert par amour en ne s'attachant jamais à une femme, Marc se ressaisit et entreprend de reconquérir Alice, repartie vivre avec Antoine. Il joue son va-tout lors d'un passage dans une émission télé où, oubliant les codes de la promo, il déclare sa flamme et présente ses excuses à Alice face caméra. La jeune femme, émue, apprendra peu après, par Jean-Georges, que Marc sera présent à son mariage avant de partir en Australie. Le rejoindra-t-elle alors ? Ou le laissera-t-elle filer ?

Frédéric Beigbeder fait partie de ces personnalités publiques dont l'image est devenue une sorte de caricature (voulue) de lui-même : c'est ce type à la fois chic et toc, issu d'un milieu aisée, qui collectionne les frasques et les succès littéraires, un riche oisif avec une plume aiguisée, une tête à claques talentueuse. Il exaspère et fascine, il symbolise une certaine vacuité propre aux oiseaux de nuit qui avoue sans gêne leur consommation excessive et hédoniste d'alcool et de drogues et de conquêtes féminines et en même temps exerce son métier d'écrivain avec un authentique savoir-faire.

Inspiré de sa propre expérience, son premier film lui ressemble donc et il a poussé le vice jusqu'à choisir pour incarner son double de (auto) fiction un interprète dont c'était lui aussi son premier rôle, qui lui ressemble physiquement de manière troublante et qui inspire au public, en sa qualité d'humoriste, des sentiments aussi contrastés : il s'agit de Gaspard Proust, dont le comique repose sur une incarnation cynique, proférant impassiblement des horreurs à la fois dérangeantes et irrésistibles.

Lorsque L'Amour dure trois ans joue à fond sur cet effet mimétique, souligne l'auto-portrait sans concessions, qui suscite le rire en montrant tout le pathétique du héros, c'est un film inspiré sur le plan de la narration, rythmée, spirituelle, sans complaisance mais au narcissisme assumé, et visuellement étonnamment aboutie (belle photo, inventivité dans certaines scènes, sens comique indéniable).

Mais, parfois aussi, trop souvent jugeront les moins indulgents, le long métrage ressemble à un divertissement pour happy few, avec apparitions de guests (le plateau du Grand Journal de Canal +, où Beigbeder oeuvra un temps) et emploi de copains dans des seconds rôles (Nicolas Bedos). Par ailleurs, si l'auteur sait se moquer de lui-même avec cruauté, il convoque aussi, via des personnages rebaptisés paresseusement (Francesca Vernisi = Françoise Verny, grande découvreuse de romanciers, interprétée ici sans subtilité par Valérie Lemercier), le ghota le plus superficiel.

On préférera donc rigoler avec la prestation épatante de Joey Starr dont la découverte de sa préférence sexuelle produit une scène hilarante, le couple Jonathan Lambert-Frédérique Bel (même si on ne comprend pas bien pourquoi Beigbeder n'a pas fait l'effort de trouver une vraie actrice anglaise pour jouer cette fiancée britannique) ou les numéros de Bernard Menez, Annie Duperey et Pom Klémentieff (savoureux).

Surtout, au coeur de ce projet, comme le dit Marc Marronnier dans une scène effectivement divine en voyant Alice partir se baigner spontanément en sous-vêtements, on a envie de remercier Dieu que Louise Bourgoin existe et ait accepté d'être de la partie : non seulement, comme toujours, elle irradie de ce charme gouailleur et sensuel mais surtout elle dynamise tout le récit dans le rôle de cette magnifique tourneuse de tête.

Rien que pour elle, le film mérite d'être vu : elle ne le sauve pas de ses faiblesses mais lui donne sa capiteuse séduction et son énergie communicative. 

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