vendredi 22 septembre 2017

VOUS ALLEZ RENCONTRER UN BEL ET SOMBRE INCONNU, de Woody Allen


Cette année, exceptionnellement, on ne verra pas de nouveau film de Woody Allen en France (le distributeur de son 47 long métrage, Wonder Wheel, ayant choisi de le sortir en Janvier 2018). Alors saisissons l'occasion pour revoir quelques-uns de ses anciens opus. Comme ce Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, datant de 2010, et dont j'avais gardé un souvenir mitigé (même si son pire film de la décennie en cours reste To Rome with love, 2012). Vérifions si le temps a bonifié cette oeuvre... Ou a confirmé cette déception.

 Crystal et Helena (Pauline Collins et Gemma Jones)

Lorsque son mari Alfie lui annonce qu'il souhaite divorcer à soixante ans passés, Helena s'en remet aux conseils d'une voyante, la bien-nommée Crystal, pour savoir de quoi son avenir sera fait - et les nouvelles sont bonnes puisqu'elle apprend qu'elle finira par rencontrer "un bel et sombre inconnu".

Alfie et sa fille Sally (Anthony  Hopkins et Naomi Watts)

Alfie, lui, s'emploie à rattraper le temps perdu en se (re)mettant au sport et à chercher une nouvelle compagne, si possible plus jeune que lui. La situation émeut sa fille Sally dont le couple avec Roy, un écrivain en panne d'inspiration, traverse une énième crise.

Roy et Dia (Josh Brolin et Freida Pinto)

C'est que Roy a remarqué une ravissante guitariste qui vient d'emménager dans un appartement en face du leur et la drague sans complexe, quand Sally n'est pas là. Ce badinage devient plus sérieux très vite, même si notre homme s'inquiète de n'avoir toujours pas de retour positif de son éditeur à propos de son dernier manuscrit. 

Greg et Sally (Antonio Banderas et Naomi Watts)

Sally, elle aussi, a la tête qui tourne car, assistante d'un célèbre galeriste, le séduisant Greg, elle se demande s'il n'est pas attiré par elle après l'avoir invitée à l'opéra parce que son épouse s'est désistée. Par ailleurs, il loue son coup d'oeil quand il s'agit de lui présenter des artistes prometteurs.

Iris et Sally (Anna Friel et Naomi Watts)

Et c'est justement là que le bât blesse car Greg, loin d'être épris de Sally, prend pour maîtresse une de ses amies peintres, Iris, comme le lui avoue cette dernière. Dévastée, Sally accepte l'offre d'une collègue d'ouvrir sa propre galerie mais doit, pour cela, trouver l'argent pour une mise de fonds. 

Charmaine (Lucy Punch)

Et ce n'est pas Alfie, son père, qui pourra l'aider : désormais en couple avec une ancienne actrice de séries Z et escort-girl, Charmaine, il s'est sérieusement endetté à force de la gâter alors qu'elle le trompe avec leur prof de gym. Lorsqu'elle annonce qu'elle est enceinte, elle jure qu'Alfie est le père mais celui-ci exige qu'à la naissance de l'enfant un test de paternité soit réalisé.

Sally et sa mère Helena (Naomi Watts et Gemma Jones)

Sally, qui s'est séparée de Roy, excédé par ses frustrations littéraires, s'en remet à sa mère mais Helena refuse de lui prêter l'argent dont elle a besoin car Crystal le lui a déconseillé. Bien que sa fille la mette en garde contre l'influence grandissante de la voyante, il est trop tard pour la faire changer d'avis. Et pour cause...

Helena et Jonathan (Gemma Jones et Roger Ashton-Griffiths)

La prédiction initiale de Crystal s'est vérifiée : Helena a rencontré son "bel et sombre inconnu" en la personne de Jonathan, un libraire veuf aussi versé qu'elle dans l'occultisme et que l'esprit de feu son épouse a autorisé à refaire sa vie en couple !

Si You will meet a tall dark stranger me semble toujours un peu moins bon que les autres récents films de Woody Allen (comparé à des merveilles comme Minuit à Paris, Blue Jasmine, Magic in the moonlight, L'Homme irrationnel et Café Society), cette nouvelle vision a tempéré ma première mauvaise impression.

Ici, le cinéaste new-yorkais, qui tournait à nouveau à Londres (après Match Point et Scoop) signe son film le plus vachard : tel un marionnettiste cruel, il agite ses personnages comme des pantins. Chacun approche, effleure le bonheur qui se dérobe in fine comme du sable entre leurs doigts : Sally tombe amoureuse de Greg qui trouve le bonheur dans les bras d'une peintre qu'elle lui a présenté, Roy s'entiche de Dia qui rompt ses fiançailles puis il angoisse à l'idée que l'ami écrivain dont il a volé le manuscrit se réveille du coma, Alfie s'entiche d'une jeune femme frivole qui tombe enceinte sans savoir s'il est le père de son futur bébé...

Citant Shakespeare - "la vie n'est qu'un jeu plein de bruit et de fureur sans aucun sens" - , Allen a rarement été aussi mordant et impitoyable : le mépris que lui inspire ce groupe de petits bourgeois névrosés, victimes de leur vanité, a rarement été aussi manifeste et il ne leur épargne aucune déconvenue, aucune humiliation. A la fin, personne ne sort indemne en philosophant de manière fataliste sur les mauvais tours du destin, comme dans Whatever works.

Ce sadisme peut surprendre de la part d'un auteur qui, sans être toujours bienveillant, a toujours su conserver une ironie plutôt bienveillante, en tout cas amusante, alors que, là, il renvoie chacun à ses égoïsmes après avoir fait dire à Roy que "les illusions agissent parfois mieux que les remèdes" (une saillie adressée à sa belle-mère). Effectivement, pendant un temps, Sally, Roy, Alfie pensent vraiment que se bercer d'illusions pansent leur mal de vivre, leurs frustrations, puis progressivement la réalité leur revient en pleine figure et les laissent K.O. : Sally mesure sa naïveté d'avoir cru que son patron pouvait l'aimer, Roy s'inquiète que son imposture littéraire soit révélée et Alfie ne peut que constater le désastre de son changement de vie quand il n'a plus un sou en poche. Terriblement cruel, cette fable présente une addition salée pour ses protagonistes.

Porté une fois de plus par une distribution éblouissante (Anthony Hopkins, Naomi Watts, Josh Brolin dominent la troupe dans laquelle Antonio Banderas et Freida Pinto se contentent de seconds rôles et où Lucy Punch compose un personnage de bimbo irrésistible), c'est finalement la crédule mais fervente croyante Helena (à laquelle Gemma Jones donne une fébrilité à la fois pathétique et touchante) qui trouvera son bonheur : peut-être est-elle abusée par une voyante mais elle sera sincèrement aimée à nouveau par un "bel et sombre inconnu", même s'il n'a rien d'un hidalgo ténébreux et tout d'un charmant toqué.

On quitte cette histoire à la fois en compatissant pour ses héros et en même temps en ayant anticipé leur chute spectaculaire : le malaise qui subsiste, et qui explique qu'on puisse être décontenancé par le film, implacable, préfigure le chef d'oeuvre de la dégringolade conjugale et sociale que signera trois ans plus tard Woody Allen avec Blue Jasmine. Une preuve de plus que sa filmographie est ouvragée comme celle d'un artisan qui en perfectionne les motifs.

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