jeudi 14 septembre 2017

ON L'APPELLE JEEG ROBOT, de Gabriele Mainetti


Remarqué au festival du film fantastique de Gérardmer et ensuite lors de sa sortie en salles en Mai dernier, On l'appelle Jeeg Robot est d'abord un hommage au manga Kotetsu Jeeg de Cô Nagai, mais surtout une vraie curiosité puisque son réalisateur, Gabriele Mainetti, a signé un authentique film de super-héros italien. L'initiative pourrait faire sourire (de manière moqueuse)... Sauf que le résultat est une réussite exemplaire.

Enzo Ceccotti (Claudio Santamaria)

Enzo Ceccotti est un petit truand minable poursuivi par des complices quand, pour leur échapper, il plonge dans le Tibre. Malheureusement, en s'appuyant sur un fut sous l'eau, il est exposé à un curieux produit. En regagnant son domicile discrètement, il est malade comme un chien.

Qui est ce surhomme ?

Rétabli, il accepte d'accompagner son voisin et ami pour convoyer des migrants, qui servent de "mules" pour passer de la drogue. L'un d'eux meurt d'une overdose et la suite dégénère dans un règlement de comptes. Enzo prend une balle perdue et fait une chute mortelle... Sauf qu'il y survit ! Il devine alors qu'il est doté d'une force surhumaine mais sans savoir qu'en faire.  

Alessia et Enzo (Ilenia Pastorelli et Claudio Santamaria)

Cependant, Fabio Cannizzaro dit "le gitan", ex-star de télé-réalité devenu trafiquant de drogue (c'est à lui qu'était destiné la dope transportée par les migrants), apprend que l'opération a mal tourné et qu'il va devoir en répondre à la Camorra. Il découvre au même moment au JT une vidéo montrant Enzo, masqué, en train de déloger d'un mur un distributeur de billets et se dit qu'avec un tel allié, il aurait le dessus sur la pègre. 

Fabio Cannizaro et Alessia (Luca Marinelli et Ilena Pastorelli)

Enzo finit par révéler à la fille de son voisin la mort de son père : psychologiquement déjà fragile (on devine qu'elle a été abusée sexuellement), elle lui reproche de ne pas employer ses pouvoirs pour faire le bien et le fuit. Il la rattrape en bloquant un tramway, filmé par les passagers - ce qui permet à Fabio de l'identifier et de le localiser. Il enlève Alessia pour obliger Enzo à lui révéler d'où il tient ses pouvoirs. 

Le masque de Jeeg Robot

Mais la Camorra suit Fabio au bord du Tibre et l'exécute. Alessia est tuée dans la fusillade... Mais "le gitan" survit, comme Enzo, doté des mêmes facultés surhumaines désormais : il se venge contre les mafieux et entreprend de faire sauter le stade de foot pour prendre sa revanche contre cette société qui l'a oublié depuis son éphémère gloire médiatique. Enzo réussira-t-il à empêcher ce massacre ?

L'intrigue, comme ce résume (j'espère) l'indique, est très basique : un mauvais garçon acquiert accidentellement des super-pouvoirs, décide d'abord de s'en servir malhonnêtement, trouve l'amour et entreprend de se racheter en le perdant et en affrontant le responsable de son malheur. Le scénario ne cherche donc pas l'originalité, si ce n'est qu'elle s'impose au spectateur par le cadre de l'action.

En effet, tout cela ne se déroule pas à New York, dans une débauche d'effets spéciaux, mais à Rome, parmi les petites frappes locales. On pense à Incassable (M. Night Shyamalan, 2000), mais avec moins de maniérisme, plus d'humour aussi, et une dimension sociale inédite dans le registre super-héroïque. Enzo, incarné par Claudio Santamaria (d'une sobriété impeccable, tour à tour brut et poignant, encore plus marmoréen que Bruce Willis), n'a rien d'un justicier flamboyant : quand il prend conscience de sa nouvelle et extraordinaire condition, il démonte un distributeur de billets (billets qu'il est ensuite obligé de laver car ils ont été tâchés d'encre pour ne plus servir), s'acheter des DVD pornos et s'approvisionner en Danette vanille (son dessert préféré). Ensuite, il mentira aussi longtemps que possible à Alessia sur la mort de son père et refusera tout aussi longuement d'agir pour protéger des civils.

Selon la mécanique du genre, le sursaut intervient avec la création subséquente du méchant : "le gitan" est aussi extraverti et dérangé que le héros est discret et taiseux, son interprète, Luca Marinelli, en fait des caisses dans une composition jubilatoire qui ferait passer Tom Hiddleston/Loki (dans Thor et Avengers) pour un petit joueur. Sa motivation n'a rien d'anti-conventionnel : il veut juste avoir ce que le héros possède de distinct, mais pour se venger socialement (il a connu son quart d'heure de gloire mais échoue à s'imposer désormais comme un caïd de la pègre).

Mainetti compense les faiblesses et les coups de mou de son histoire par une affection sincère, passionnée, du genre et de ses codes. Quand il développe maladroite la romance entre Enzo et Alissia (que joue Ilenia Pastorelli avec un air de poupée cassée), il patine un peu dans le mélodrame. Mais quand il rebondit sur le drame sur lequel se brise cet amour, il s'envole pour un final jouissif avec une séquence de castagne et une course-poursuite haletantes, exploitant superbement le décor du stade de la Lazio et de l'AS Roma et ses alentours.

Quand on voit l'habileté de ce cinéaste à manier cet univers qu'on croit (à tort) la chasse gardée des américains, avec des moyens dérisoires mais beaucoup d'efficacité, il est frustrant de constater qu'on n'a pas cette audace chez nous (où le super-héros est considéré avec dédain - quand il est même seulement considéré...). On l'appelle Jeeg Robot, sans prétendre réinventer la roue, s'avère en tout cas divertissant, tonifiant, émouvant : ce mix de respect et de supplément d'âme devrait suffire à n'importe qui pour convaincre de le découvrir.  

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