mardi 29 mars 2016

Critique 852 : COLLATERAL, de Michael Mann


COLLATERAL est un film réalisé par Michael Mann, sorti en salles en 2004.
Le scénario est écrit par Stuart Beattie. La photo est signée Dion Beebe et Paul Cameron. La musique est composée par James Newton Howard, avec la collaboration de Clay Duncan et Antonio Pinto.
Dans les rôles principaux, on trouve : Tom Cruise (Vincent), Jamie Foxx (Max), Jada Pinkett-Smith (Annie), Mark Ruffalo (Fanning), Javier Bardem (Felix).
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Max est un chauffeur de taxi à Los Angeles, véhiculant ses client la nuit. Il dépose devant le gratte-ciel où elle a son bureau une procureur, Annie, qui, séduite par la conversation échangée durant son transport, lui laisse sa carte de visite.
Vincent et Max
(Tom Cruise et Jamie Foxx)

Un homme, cheveux gris, costume anthracite, monte dans la voiture de Max et lui offre 600 $ pour qu'il le conduise à cinq rendez-vous professionnels durant la nuit. La somme est si importante qu'elle permettrait à Max de financer son rêve - ouvrir une agence de location de limousines - et il l'accepte.
Vincent et Max

Mais dès la première course, la situation dégénère : Max découvre que Vincent est, en vérité, un tueur professionnel, qui doit exécuter des contrats en supprimant plusieurs témoins à charge pour un procès impliquant son employeur. Le chauffeur n'a d'autre choix que de le convoyer sinon il sait qu'il sera également exécuté.

En laissant ses cadavres derrière lui, tous tués de la même manière (deux balles dans la poitrine, une dans le crâne), Vincent attire l'attention de l'inspecteur Fanning, chargé de la protection de sa première victime. Le policier est convaincu que c'est le même homme qui liquide les témoins et convainc son supérieur puis des agents du FBI, en planque devant l'établissement d'un mafieux, Felix, chez qui Max finira par entrer pour récupérer la liste des cibles de Vincent après avoir réussi à détruire le premier fichier électronique où il avait leurs adresses.
Vincent

Max, après une fusillade spectaculaire dans une discothèque où Fanning trouve la mort alors qu'il allait l'exfiltrer, pense que Vincent finira de toute manière par se débarrasser de lui à l'aube et envoie son taxi dans le décor en espérant s'en sortir tout en neutralisant son passager. Mais le tueur survit et part, seul, remplir son dernier contrat : Annie !
Max et Annie
(Jamie Foxx et Jada Pinkett-Smith)

Max part à sa poursuite, résolu à sauver la jeune femme et à affronter Vincent...

Rediffusé sur W9, donc sans rapport avec "le Printemps du Polar" sur Arte, Collateral aurait pu parfaitement faire partie du cycle de la chaîne franco-allemande. C'est en tout cas un authentique film noir, et même déjà un classique du genre.

Pourtant, comme nombre de grands films, la genèse de ce long métrage n'a pas été un long fleuve tranquille : son scénariste, Stuart Beattie, en rédige la première mouture alors qu'il est encore étudiant. Son script est quand même assez accompli pour attirer l'attention du studio DreamWorks SKG.

Les producteurs songent d'abord à en confier l'adaptation et la réalisation à deux cinéastes de second plan, Mimi Leder (ancienne réalisatrice de la série Urgences) puis Janusz Kaminski (ex-chef opérateur). Mais le projet va stagner de longues années avant que Michael Mann n'en hérite.

C'est parce que l'acteur Russel Crowe est attaché à l'histoire et qu'il a tourné sous la direction de Mann (dans Révélations) que l'affaire reprend forme. Pourtant Crowe se lasse vite car le casting met du temps à se former. Nous sommes alors en 2003 et Mann propose le rôle de Vincent à Tom Cruise qui l'accepte. Adam Sandler est approché pour jouer le rôle de Max, un cotre-emploi pour lui, mais les négociations n'aboutissent pas. Jamie Foxx décroche le job. De même, Val Kilmer, initalement pressenti pour camper l'agent Fanning, se désistera au profit de Mark Ruffalo.

Le scénario est remanié par Frank Darabont (non crédité au générique, il officie donc en qualité de script doctor) avec Beattie, déplaçant l'action de New York à Los Angeles. Mann ambitionne de tourner en une seule nuit, à la manière d'un reportage, en profitant des progrès techniques enregistrés pour une caméra haute définition, mais renoncera à cette idée. Toutefois, la résolution de l'image, testée en pré-production, convainc le metteur en scène qui sait qu'il pourra filmer des scènes nocturnes avec des éclairages réduits et une grande maniabilité pour les mouvements d'appareil.

L'histoire de Collateral séduit par sa simplicité et son ambiance : cette traversée de Los Angeles, la série de contrats de Vincent (culminant par la fusillade dans la discothèque, absolument extraordinaire), les rapports tendus entre le tueur et le chauffeur, les confidences que se font les deux hommes, l'enquête parallèle menée par Fanning (résumée au strict minimum pour ne pas parasiter la première piste narrative), est captivante. 

Tout The American (dont j'ai parlé récemment), l'ombre de Jean-Pierre Melville (une influence revendiquée par Mann) plane sur tout le film, avec son anti-héros, un tueur à gages impitoyable, extrêmement efficace, mais dont on devine l'usure, la lassitude, les failles. Dès son apparition, le spectateur a l'intuition que c'est un voyage sans retour, l'ultime mission de cet homme, qui va se perdre dans la nuit de la cité des anges comme le loup qu'il finira par croiser, lors d'une scène mémorable, surgissant de nulle part avant de retourner aux ténèbres.

Le charisme du personnage est tel, et son interprétation par Tom Cruise, magnétique, minéral, hanté, avec un look fascinant (les cheveux teints en gris, une barbe de trois jours, un costume anthracite élégant), qu'il éclipse celui de Jamie Foxx, dont la prestation, souvent cabotine, peine à donner le change, malgré sa nervosité, sa fébrilité. Difficile de dire si un autre (Adam Sandler, qui aurait été dans un contre-emploi total, ou qui que ce soit) aurait fait mieux, mais le comédien est vraiment exceptionnel, encore une fois (que ceux qui le raillent à cause de son appartenance à l'église de scientologie se rappellent que ses croyances loufoques dans cette secte n'ont rien à voir avec la qualité de son jeu et l'excellence de sa filmographie, sous la direction de très grands cinéastes).

La réalisation est elle aussi fabuleuse : Michael Mann tire le meilleur parti de la caméra HD dont il a disposé (et dont il a fait son instrument favori depuis). La façon dont il filme Los Angeles fait de la ville un personnage à part entière, plus important en fait que Mark Ruffalo (pourtant parfait), Jada Pinkett-Smith (interchangeable) ou Javier Bardem (dans une scène invraisemblable mais néanmoins décisive). La traque dans les bureaux du procureur, plongés dans le noir, est aussi un morceau de bravoure, auquel la photo de Don Beebe et Paul Cameron apportent une intensité affolante.

Ce voyage au bout de la nuit finit mal comme tout bon et vrai film noir, réflexion crépusculaire et sèche sur la fatalité, la mort à l'oeuvre et la chance. Un très grand film par un orfèvre du genre.

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