dimanche 31 janvier 2016

Critique 806 : COLIN-MAILLARD, de Max Cabanés


COLIN-MAILLARD est un recueil de cinq récits, écrit et dessiné par Max Cabanés, publié en 1989 par Casterman.
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(Ci-dessus : extrait de Roberta.
Textes et dessins de Max Cabanés.)

- Roberta. (11 pages) 1955. Maxou a 9 ans et vient de perdre sa mère. Son père l'envoie passer l'été chez ses oncle et tante. Débarquent à la ferme des travailleurs saisonniers pieds-noirs, parmi lesquels  la pulpeuse et aguicheuse Roberta...

- Rose-Marie. (12 pages) Maxou accompagne ses cousines et leurs parents à la plage. Il assiste, à leur insu, aux attouchements entre les deux filles qui, à la tombée de la nuit, sont initiées au plaisir par la plantureuse Rose-Marie...

- Bertille. (18 pages) De retour à Béziers, Maxou officie comme enfant de choeur aux côtés du père Coreau et de De Préville dit "l'Athlète", ennemi juré de Manolo. Ce dernier entraîne Max dans un piège contre l'affolante Bertille - piège qui va se retourner contre lui...

- La Demoiselle. (12 pages) Maxou, Manolo, "l'Athlète", Dédé, Riri et Cloclo sont tous obsédés par cette paroissienne qui leur presse, à tour de rôle, le visage, dans son énorme poitrine. Mais ils tombent de haut en découvrant qu'elle a une liaison avec le bossu, M. Faure...

- Marie-Ange. (15 pages) Adolescent, Maxou fréquente de jeunes loulous qui sifflent les filles dans un jardin public. Jusqu'à ce qu'apparaisse la superbe Marie-Ange, fana de poésie, qui leur promet un baiser s'ils la raccompagnent chez elle...

J'avais lu cette collection d'histoires brèves il y a fort longtemps en découvrant alors Maxou, le double adolescent de Max Cabanés, qui, le temps d'un été, est bouleversé par deux événements majeurs : d'un côté, la disparition de sa mère, et de l'autre, l'éveil des sens au contact de créatures féminines extraordinaires.

Pour qui a aussi vu le film Armacord, ce chef d'oeuvre réalisé en 1973 par Federico Fellini, la lecture de Colin-Maillard offre une sorte de cousinage évident puisque son auteur y aborde de manière semblable des thèmes similaires. C'est une bande dessinée solaire et d'une fabuleuse sensualité, qui évite toute vulgarité.

La narration, ramassée sur peu de pages à chaque épisode, est très énergique, fulgurante même par moments (comme lors de cette scène où Maxou découvre que ses cousines se caressent). Cette capacité à saisir l'instant tout en donnant le sentiment au lecteur de musarder est un régal : le souvenir de chacun de ces chapitres vous poursuit longtemps après, avec dans son sillage un parfum d'un érotisme étonnant, jamais choquant malgré l'audace de certaines images (Roberta caressant les testicules d'un cheval, Rose-Marie palpant les fesses d'une des cousines).

Ce mélange de fantasmes et de vérité est fascinant : toutes les filles que croise Maxou sont d'incroyables beautés, aux formes exagérément généreuses, incarnations désirables au possible, avec lesquelles, comme le jeune héros, on comprend que l'entrée du paradis et de l'enfer est la même pour paraphraser l'auteur. Mais c'est aussi l'occasion d'évoquer de manière évocatrice une France bien particulière, campagnarde, provinciale, saisie après-guerre, le temps d'un été, avec la présence de la religion catholique tout juste contrebalancée par l'émergence du rock (dans l'histoire de Marie-Ange).

Les dessins de Cabanés sont splendides : plus qu'un graphiste conventionnel, il est un coloriste exceptionnel dont les planches sont radieuses, puissantes, intenses. Ses découpages sont d'une fluidité imparable, rendant très bien compte de la vivacité des saynètes dépeintes.

Surtout, l'artiste représente des personnages tout de suite inoubliables : il y a bien sûr chacune des cinq filles qui donnent leurs prénoms aux épisodes, mais les gamins sont également parfaitement campés, et les seconds rôles dotés de gueules fameuses (la mine sévère, terrible, du Père Coreau, ou la silhouette dégingandée de "l'Athlète" - qui aura le premier rôle dans la suite de Colin-Maillard, Maxou contre l'Athlète, réalisé en 1997).

Un album étonnant, réjouissant, d'une nostalgie sensuelle, sortie à l'époque dans la belle collection "(A suivre") chez Casterman avec une magnifique couverture en quatre panneaux dépliables.

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