mercredi 20 janvier 2016

Critique 797 : LES VIEUX FOURNEAUX, TOME 2 : BONNY AND PIERROT, de Wilfrid Lupano et Paul Cauuet


LES VIEUX FOURNEAUX : BONNY AND PIERROT est le deuxième tome de la série, écrit par Wilfrid Lupano et dessiné par Paul Cauuet, publié en 2014 par Dargaud.
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Pierre Mayou reçoit chez lui un colis contenant 200 000 Euros et un mot signé "Ann Bonny" : cela le bouleverse si profondément qu'il tente de mettre fin à ses jours lorsque son ami Antoine Perrot lui rend visite à Paris, au quartier général de ses amis anarchistes "Ni yeux ni maîtres".
Antoine informe aussitôt Sophie, sa petite-fille, désormais mère d'une petite Juliette, et auxquelles tient compagnie Mimile : elle en conçoit, secrètement, de la culpabilité car c'est elle qui a envoyé ledit colis à Pierrot, prélevant la somme d'argent sur le compte secret dont Garan-Servier lui a communiqué le code en la confondant avec sa grand-mère dont il fut l'amant.
Ce qu'ignorait Sophie, c'est qu'Ann Bonny était le pseudonyme d'Anita, le premier amour de Pierrot, en 1963, fille de réfugiés espagnol et algérien, et dont il ne s'est jamais remis de la mort. Tandis qu'elle accepte de mettre en scène un spectacle de marionnettes d'après une histoire que lui confie Mimile, la jeune femme décide de réparer son erreur.
Pierrot, lui, part à la recherche d'Anita, qu'il croit finalement encore en vie, tout en commettant quelques coups d'éclat avec ses camarades anarchistes - ce qui inspirera à Sophie une vengeance contre les boulangers et le moyen de consoler Pierrot...

Pour ce deuxième tome des Vieux fourneaux, j'étais, il faut bien le dire, très méfiant : comme j'ai eu l'occasion de l'expliquer dans la critique du tome 1 (et au sujet d'autres bandes dessinées écrites par le scénariste), le style de Wilfrid Lupano m'agace singulièrement. Si je lui reconnais un authentique talent de narrateur, sa manie de raconter comme s'il manifestait avec une pancarte me tape sur les nerfs.

Entendons-nous bien, je n'ai rien contre les artistes engagés, je les défendrai même car ils sont des citoyens libres de s'exprimer comme vous et moi. Par contre, j'attends en retour qu'il parle avec un minimum de nuance et avec des arguments plus saillants que des philosophes de café du commerce. De ce point de vue, pour moi, Lupano ressemble à un Jean-Luc Mélenchon du 9ème Art : un type certainement très cultivé mais affreusement démagogue, au propos manichéen qui n'aboutit finalement à aucune progression intellectuelle. Ceux qui ne sont pas d'accord avec lui ne le seront pas davantage après avoir lu une de ses histoires, et il ne prêchera donc que pour des convertis mais d'une façon paresseuse, pouvant toujours se réfugier derrière l'excuse du divertissement.

Ces défauts sont encore à l'oeuvre dans ce nouvel épisode de son best-seller : avec une "audace" incroyable, Lupano met en scène une scène qui se veut comique mais qui n'est que vulgaire où un pépé gaze littéralement en se déféquant dessus une salle entière venue assister à un discours de Jean-François Copé. Une mémé vachement rebelle se désole de n'avoir pu pirater le site internet de Nadine Morano. A quand un gag sur la petite taille de Sarkozy ? Ou, dès fois que Lupano décide que le Part Socialiste ne vaut pas mieux que les Républicains, une saillie sur Hollande en scooter et son caractère digne d'un Flamby... On se croirait dans un de ces pénibles sketches de Anne Roumanoff le dimanche chez Drucker.

Non, vraiment, je ne saisis pas ce que tant de critiques, éblouis, et de lecteurs, conquis, trouvent de si malin chez Lupano, capable de vous asséner des métaphores sur le capitalisme, l'exploitation d'une île du Pacifique et le désastre écologique et humain qui en a résulté, avec la délicatesse d'un chien dans un jeu de quilles, dans une mise en scène plus pathétique qu'édifiante (elles ont bon dos, les marionnettes de Sophie, et le suspense en carton du spectacle qui occupe une bonne partie du récit).

Un sentiment d'affliction et de colère me prend à l'heure où j'écris cette critique car cette bande dessinée prend le lecteur pour un crétin par la faute d'un auteur visiblement grisé par son succès et qui pense donc que ses idées sont spirituelles. Tout cela suinte plutôt le mépris, la condescendance, la suffisance : ces vieux que Lupano veut nous faire passer pour des héros sont tous laids, cons comme des manches, et les jeunes ne sont pas mieux lotis, de Sophie (personnage intéressant, plein de potentiel dans le tome 1 qui est devenue une gourde grimaçante) aux gamins de son voisinage (s'amusant avec une chèvre avant d'être éduqués miraculeusement lors du spectacle de marionnettes).

Le mystère concernant le véritable sort d'Anita est en fait à peine exploité, résolu avec une désinvolture telle qu'on se demande bien comment on a pu croire qu'il servait de colonne vertébrale à l'intrigue - alors que tant de pages sont consacrés à cette grotesque affaire de boulangerie (sans doute parce que Lupano a eu le malheur d'avaler un morceau de pain de travers ou est terriblement révolté par le fait qu'il existe différentes sortes de baguettes).

Dans ces conditions, on ne peut que déplorer de voir un dessinateur aussi talentueux que Paul Cauuet se gâcher dans une telle entreprise : il produit des planches bien plus séduisantes que l'histoire qu'elles illustrent, avec des décors fouillés, des compositions soignées, et une expressivité épatante. Mais tous ces efforts ne rattrapent pas une histoire qui suscite plus de consternation que de (sou)rires comme elle l'ambitionne.

Un troisième tome vient de paraître et j'ignore si, et, si oui, quand la bibliothèque municipale se le procurera. Mais en vérité, je ne suis pas pressé de le lire : Les Vieux Fourneaux est un succès que je ne comprends tellement pas qu'insister à en suivre les épisodes n'est plus une priorité.
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Ci-dessous : la couverture de l'édition limitée, en noir et blanc,
de l'Intégrale des deux premiers tomes de la série.

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