vendredi 7 août 2015

Critique 683 : ASTRID BROMURE, TOME 1 - COMMENT DEZINGUER LA PETITE SOURIS, de Fabrice Parme


ASTRID BROMURE : COMMENT DEZINGUER LA PETITE SOURIS est le premier tome de la série, écrit et dessiné par Fabrice Parme, publié en 2015 par les Editions Rue de Sèvres.
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Astrid Bromure est la fille unique d'un couple de bourgeois new yorkais qui s'absentent pour une quinzaine de jours et la confient aux bons soins du majordome Benchley et la gouvernante Mme Dottie. Les voilà, en compagnie du chien Fitzgerald (un scottish terrier) et du chat Gatsby (un gros matou à poils blancs), seuls dans l'immense appartement au sommet d'un impressionnant building. La fillette, après avoir suivi à la radio son feuilleton favori ("Hercule Carotte contre Arlette Lapin"), s'ennuie vite mais refuse d'aider les domestiques dans leurs tâches pour se changer les idées.
La situation change lorsque Astrid sent une de ses dents bouger : Benchley lui indique que la petite souris lui laissera une pièce quand la quenotte sera tombée. Mais la demoiselle ne croit pas à cette légende, d'autant que le portrait que lui en dressent les deux laquais diverge. Elle truffe alors le loft de multiples pièges qui, s'ils ne sont pas actionnés, prouveront la tromperie des adultes... Ou attesteront de la présence de la fameuse souris.
Tout va dégénérer quand une souris blanche, douée de parole, apparaît, laissant derrière elle un tube de dentifrice de la marque Quenottes (avec un nouveau goût vanille-chocolat), que le chat poursuivi par le chien pourchasse. Et si tout cela cachait un complot ?

Après plusieurs expériences en collaboration avec des scénaristes (Famille Pirate, écrite par Aude Picault, déclinée en dessin animé pour la télévision ; et Le Roi Catastrophe, Spirou : Panique en Atlantique, OVNI, écrits par Lewis Trondheim), Fabrice Parme se lance dans sa première série en assumant tous les postes. Astrid Bromure se présente sous la forme d'un album d'une trentaine de pages publié par les éditions Rue de Sèvres (à qui l'on doit, notamment, Le château des étoiles d'Alex Alice).

L'héroïne de cette histoire destinée aux plus jeunes mais dont les adultes auraient tort de se priver est une adorable chipie au minois insolent et immédiatement inoubliable, déjà un personnage-culte. Cette gamine, volontiers fripouille, raisonneuse, mais intelligente, c'est la première réussite de l'auteur qui évite ainsi toute mièvrerie.

Ensuite, il y a l'intrigue elle-même, dont la simplicité est trompeuse. Ce récit de dent de lait et de petite souris ne paie pas de mine et n'est guère épaisse, mais Parme la transcende pour en tirer un conte moral acide, irrévérencieux, truffée de références. L'auteur est un familier de l'animation et cela se sent dans le rythme soutenu qu'il imprime à sa narration : trente pages, c'est certes peu, mais ce sont trente pages extrêmement denses, dans lesquelles rien n'est en trop, où jamais on ne s'ennuie. Non seulement, l'argument est pleinement exploité mais il aboutit à une critique acide sur la publicité et ses méthodes les moins reluisantes quand il s'agit d'atteindre la cible enfantine - ici, via la sponsorisation du feuilleton radio qu'écoute Astrid puis du dentifrice "Quenottes", mais aussi l'emploi d'une colonie de souris blanches usurpatrices, toutes clonées, qui ont infiltré les maisons des bourgeois.

La maîtrise qu'affiche Parme pour développer son scénario est d'autant plus épatante qu'il a pris soin de dissimuler ses piques sous un vernis acidulé. 

Au premier degré, on lit une aventure qui emprunte à la comédie et aux dessins animés américains, comme ceux signés Blake Edwards ou par les studios Hanna-Barbera, avec une galerie de personnages bien campés (la fillette pleine de ressources mais trop gâtée, les serviteurs complices mais dépassés, les animaux de compagnie témoins puis acteurs). 

Au second degré, ce qui se joue dans ce cadre luxueux est une séance de masques qui tombent en cascade (soupçons de Astrid, convictions des larbins, double jeu du chat, asservissement des souris, manipulation des publicitaires). Le lecteur, quel que soit son âge, gagne à tous les coups avec une histoire fraîche, rapide, divertissante, mais aussi le récit de multiples démystifications, cocasses autant que malignes.  

Visuellement, c'est une pure merveille, qui confirme que Fabrice Parme est un artiste d'exception, dont le travail transpire d'une exigence rare. Voyez ci-dessus les croquis préparatoires qu'il a accumulés pour représenter Astrid : impressionnant, non ?

Le découpage est extraordinaire : d'une fluidité impossible à prendre en défaut, chaque page comporte un nombre de plans dont la moyenne affole les compteurs (de 12 à 18 !). Cette abondance de vignettes, aux dimensions et aux contours très variables (parfois pas plus grandes qu'un timbre, parfois un cercle, des cadres verticaux ou horizontaux, des "gaufriers"), permet à la fois de communiquer une grande quantité donc d'informations en plus de ce que le texte raconte, avec des dialogues très vifs, mais sans nuire à la souplesse des enchaînements, donc sans freiner la lecture - au contraire, il y a un glissement naturel d'une image à l'autre qui fait de l'album un redoutable page-turner et donne souvent envie de relire aussitôt finie la planche pour ne pas risquer de manquer un détail.

Parme me rappelle un cinéaste tout aussi méticuleux dans ses compositions : Wes Anderson, le réalisateur de Rushmore, La famille Tenebaum, La Vie aquatique, Moonrise kingdom, A bord du Darjeeling limited ou Grand Budapest hotel. On retrouve cette obsession des plans symétriques, dont la régularité et l'harmonie dans l'ordonnancement des pages, imprime le tempo, mais aussi une palette de couleurs similaire, avec des à-plats dans des tons pastel délicats, d'une élégance parfaite. 

On regretterait presque que les éditions Rue de Sèvres n'aient pas, avec l'auteur, choisi de publier Astrid Bromure comme Le château des étoiles d'Alex Alice en format journal pour rendre cela encore plus impressionnant. Mais le beau papier beige, la reliure solide d'un album cartonné, et la conception graphique superbement ouvragé assureront une conservation moins difficile à l'oeuvre.
  
Vous n'en avez pas eu assez ? Je vous comprends. Mais... Bonne nouvelle : Astrid Bromure reviendra dès cet automne dans un nouveau tome, au titre prometteur (Comment atomiser les fantômes). Vivement !
De gauche à droite : la gouvernante Mme Dottie, le chien Fitzgerald,
Astrid Bromure, le majordome Benchley et le chat Gatsby.

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