dimanche 25 janvier 2015

Critique 562 : FABLES, VOLUME 20 - CAMELOT, de Bill Willingham, Mark Buckingham, Barry Kitson, Gary Erskine, Russ Braun et Steve Leialoha


FABLES, VOLUME 20 : CAMELOT rassemble les épisodes 130 à 140 de la série créée et écrite par Bill Willingham, publiés en 2013-2014 par DC Comics dans la collection Vertigo. 
Les dessins sont signés par Barry Kitson (# 130 avec des finitions de Gary Erskine), Mark Buckingham (# 131-137, avec des finitions de Russ Braun pour les # 135 à 137), Russ Braun (# 138) et Steve Leialoha (# 139-140).
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- Junebug (# 130. Dessiné par Barry Kitson, avec des finitions par Gary Erskine). L'installation des Fables se poursuit à New York dans l'ancien château de Mr Dark. June et Rodney, deux anciens soldats de l'Adversaire (Geppetto) repentis, emménagent avec leur petite fille, Junebug. Celle-ci est naturellement excitée par sa nouvelle vie et ses parents, pour qu'elle se calme, l'autorise à aller visiter le château. Elle va y faire des rencontres inattendues et parfois inquiétantes.

C'est une coutume de la part de Bill Willingham : pour aérer ses intrigues et permettre aussi à son dessinateur habituel, Mark Buckingham, de souffler, il consacre régulièrement quelques épisodes centrés sur des personnages secondaires ou de simples figurants.
On retrouve donc ici June et Rodney et leur petite fille alors qu'ils arrivent au château de Mr Dark devenu la nouvelle résidence des Fables. L'histoire, anecdotique, concerne Junebug, qui explore cet endroit grouillant de monde et de créatures cachées. Elle tombe ainsi sur le repaire de souris géantes qui vont quelque peu la malmener. Mais quand elle voudra raconter ça à ses parents, ils ne la croiront pas (ou trop tard).
Tout ça est très futile et dispensable, sans surprise notable, mais vite lu. 

Barry Kitson dessine cet épisode avec ce trait lisse et peu expressif au possible qui le caractérise, tout en étant quand même aidé par Gary Erskine sur 8 pages (sans que cela apporte une amélioration au résultat). Lorsqu'on sait que le prochain projet de Willingham, après la fin de Fables, sera une série en creator-owned illustrée par Kitson, on n'est pas pressé de la lire.

- Camelot (# 131-137. Dessiné par Mark Buckingham, avec des finitions de Russ Braun pour les # 135 à 137). Rose Red sait qu'elle a été choisie par l'esprit de l'Espoir pour devenir son émissaire, mais la jeune femme ignore comment concrétiser cette responsabilité. Elle en a la révélation en rendant visite à sa soeur, Snow White, qui vient successivement de perdre son mari, Bigby Wolf, et retrouver une de leurs filles, Therese (prématurément vieillie après son séjour dans le pays des jouets, où son frère Dare a, lui, perdu la vie). 
Rose Red choisit d'incarner la possibilité d'avoir une seconde chance dans l'existence et, pour la garantir à tous tout en en assurant la sécurité des Fables, décide de réunir une nouvelle équipe de chevaliers de la table ronde, semblable à celle du roi Arthur de Camelot. Pour sélectionner ceux qui serviront à ce projet, elle convoque tous les candidats intéressés dans les royaumes.
Mais elle commence à accorder une opportunité au prince Brandish, l'ex-époux de Snow White et assassin de Bigby Wolf. Cette initiative va provoquer une scission avec Snow White, qui ordonne à ses enfants de ne plus avoir de contact avec leur tante ou ses amis.
Cependant, dans l'au-delà, Bigby Wolf retrouve Boy Blue et son fils Dare une dernière fois : le premier l'invite à se tenir prêt à ressusciter, le second va lui expliquer ce qui leur est arrivé, à sa soeur Therese et lui au pays des jouets.
En écoutant la dame du lac, Rose Red comprend que si elle a emprunté le rôle du roi Arthur, alors il lui faut découvrir qui jouera l'équivalent de Morgane mais aussi de Guenièvre : dans les deux cas, la réponse prendra une forme des plus inattendues...

Tout d'abord, en commençant la lecture de cet arc narratif, on est saisi par une certaine émotion en se rappelant qu'il s'agit de l'avant-dernier de la série : pour tout fan de la première heure, la perspective de voir s'achever cette saga bientôt constitue le terme d'une aventure peu commune.

Mais ne sombrons pas dans un sentimentalisme excessif et analysons un peu le contenu de ce récit. Bill Willingham y opère deux mouvements principaux (et un certain nombre d'autres secondaires, mais qui vont certainement accéder à toute leur dimension dans la suite et fin de Fables) : d'abord, il relie des intrigues en germe depuis quelque temps, et ensuite il prépare le final de sa série en prenant soin de ne pas en dévoiler trop (même si on devine que tout ne se terminera pas bien pour les héros).

Cela s'articule autour de la rupture entre les deux soeurs que sont Snow White et Rose Red, quand celle-ci donne une seconde chance à Brandish. C'est une attitude étonnante quand on sait que le prince vient de tuer Bigby, le mari de Snow White, par conséquent le beau-frère de Rose Red, mais logique si on suit le raisonnement de cette dernière qui veut désormais accorder à tous l'opportunité de se racheter. Il est certain que ce choix ne laissera personne indifférent, et moi-même, j'ai fait un effort pour l'accepter, mais Willingham a depuis un moment maintenant délibérément pris le parti d'éprouver aussi bien ses lecteurs que ses héros en les entraînant dans des situations complexes.

Le talent du scénariste pour nuancer les motivations et réactions de ses protagonistes est par contre indiscutable : cela aboutit à des ruptures naturelles, compréhensibles, mais aussi, dans un registre plus léger, à des rebondissements malicieux (voir la réaction des intéressés quand on découvre qui est le nouveau roi Arthur et la nouvelle Guenièvre).

C'est aussi l'occasion de revoir des figures sympathiques, mais qui s'étaient faîtes discrètes, comme Flycatcher, ou lors d'un interlude en apesanteur (mais nécessaire, et annonçant là aussi le futur) en compagnie de Bigby Wolf et Boy Blue.

Au jeu désormais récurrent de la réinterprétation des mythes et légendes, Willingham a cette fois jeté son dévolu sur les chevaliers de la table ronde, l'ascension (et la chute programmée ?) de Camelot. Il s'en sort brillamment, avec la sélection des élus de Rose Red, la position de la dame du lac (qui, avec un brin d'ironie, finit par ne plus boire que de l'eau lorsqu'elle découvre qui sera la nouvelle Morgane). En procédant à des permutations audacieuses, il parvient à dérouter le lecteur mais aussi à conduire les protagonistes à se demander comment ils vont assumer leurs nouvelles attributions.

Il n'oublie pas non plus d'entretenir la menace de Leigh Duglas (l'ex-Nurse Spratt, qui a marchandé son relooking extrême avec feu Mr Dark). Tout ces éléments devraient mener à une conclusion explosive, au potentiel dramatique exceptionnel... Même si j'espère que Willingham ne réservera pas un sort funeste à trop de personnages.

Visuellement, Mark Buckingham livre une nouvelle fois une prestation de haut niveau, convoquant parfois Jack Kirby, mais soignant surtout les décors (superbe visite guidée dans les allées du château sur deux doubles pages), les costumes (en particulier les armures, comme celle dont se voit affublée Rose Red à mesure qu'elle progresse dans son entreprise), les apparences (la dame du lac, Lancelot, Morgane, Maddy).

Cette richesse esthétique est rendue digeste par la simplicité du découpage, avec un nombre limité de cases par page, mais aux ambiances soignées grâce aussi à la colorisation de Lee Loughridge (qui se charge parfois de représenter les fonds en couleurs directes, comme dans le chapitre au paradis - à ceci près que 9 pages voient Bigby Wolf et Boy Blue évoluer dans un espace blanc : une option à la fois poétique pour imager l'au-delà mais aussi un peu paresseuse).

- Root & Branch (# 138. Dessiné par Russ Braun). Ceux qui pensait que Geppetto ne songeait plus à se venger de Flycatcher en seront pour leurs frais en découvrant comment il trompe sa vigilance.

Bill Willingham a encore des plans pour l'ancien Adversaire en chef des Fables comme en témoigne cet épisode diabolique. C'est un amuse-bouche mais qui promet une revanche terrible.

Russ Braun, qui a prêté main-forte à Buckingham sur la fin de l'arc de Camelot, prend cette fois les commandes et livre de belles planches, au trait sûr et aux détails précis.

- The Boys in the Band (# 139-140. Dessinés par Steve Leialoha.). Danny Boy retrouve son ami Seamus McGuire à la Ferme après une longue séparation, et le convainc de regagner leur royaume. Joe Shepherd, Peter Piper, et Briar Rose les accompagne dans un voyage mouvementé.

Pour cette histoire en deux volets, d'un intérêt tout relatif, Bill Willingham recourt à une narration qui fait la part belle à la voix-off du narrateur. On y apprend ce qui a provoqué la chute originelle des royaumes des Fables et le périple du groupe de personnages est assez animé pour ne pas ennuyer. Mais  cela demeure dispensable et convenu.

Par ailleurs, c'est à l'encreur habituel de Buckingham, Steve Leialoha, qu'est revenue la mission de mettre ce récit en images et il faut avouer que le résultat est très laid, avec des personnages bâclés et des décors à peine traités.

Malgré quelques épisodes mineurs, ce tome est globalement passionnant et graphiquement plaisant. Plus que dix chapitres, dans un recueil à paraître en Mai prochain, avant la fin : Bill Willingham saura-t-il terminer en beauté ?

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