dimanche 7 décembre 2014

Critique 538 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 54 - LE GROOM DE SNIPER ALLEY, de Fabien Vehlmann et Yoann


SPIROU ET FANTASIO : LE GROOM DE SNIPER ALLEY est le 54ème tome de la série, écrit par Fabien Vehlmann et dessiné par Yoann, publié en 2014 par Dupuis.
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Spirou et Fantasio reçoivent la visite de leur vieil adversaire, le mafieux malchanceux Don Vito Cortizone, qui leur apprend avoir aidé Seccotine pour qu'elle vienne au secours du groom dans sa précédente aventure (cf. Dans les griffes de la Vipère). Aujourd'hui, il réclame la participation dans une affaire délicate des deux héros pour rembourser cette dette.
Il s'agit alors pour Spirou et Fantasio d'aller dans un pays d'Afrique où vient juste de s'achever une terrible guerre civile, l'Aswana, pour y explorer la labyrinthe d'Ibn Sina, où serait caché le mythique trésor d'Alexandre le grand, sur lequel l'oncle de Cortizone a fait des recherches depuis sa cellule de prison en Amérique.
Une fois sur place, les deux amis découvrent d'abord que la situation de la région n'est pas encore apaisée puis doivent ensuite faire preuve de ruse pour rejoindre le fameux dédale. Ils sont escortés par une autre ancienne connaissance, le mercenaire militaire Poppy Bronco (cf. La Face cachée du Z, tome 52), mais ils ne devront qu'à leur ingéniosité et leur courage de survivre à cette équipée dont le vrai trésor ne ressemble pas à ce qui était prévu...

Depuis que Fabien Vehlmann a hérité de l'écriture des Aventures de Spirou et Fantasio, il a toujours peiné à me convaincre complètement : la faute à des intrigues trop simplistes (Alerte aux Zorkons, tome 51) ou des tentatives maladroites pour y glisser un commentaire sociétal (Dans les griffes de la Vipère), sans parler de son choix de transformer la série en feuilleton en introduisant dans chaque tome un élément qui conduira au suivant (La face cachée du Z, tome 52, en étant l'exemple le plus clair mais aussi le moins abouti).
Néanmoins, c'est un scénariste adroit, plus à son avantage quand il se contente d'imaginer une suite de péripéties assaisonnées de gags plus ou moins légers, avec un sens certain du rythme et une volonté d'aborder le titre et ses héros sans complexe mais avec le souci de respecter ce qui a précédé (en particulier la grande époque de Franquin).
Il n'en reste pas moins que pour ce 4ème épisode sous sa direction le fan exigeait un produit peut-être plus modeste mais surtout plus régulier et efficace, un effort mieux dosé.

Originellement intitulé Le Labyrinthe d'Ibn Sina (pourquoi diable ne pas l'avoir conservé alors que ce Groom de Sniper Alley correspond beaucoup moins au contenu ?), ce 54ème tome est de loin le meilleur qu'ait écrit Vehlmann. C'est aisément explicable quand on voit qu'il a presque entièrement choisi de renoncer à ce qui nuisait à ses précédents albums sur la série pour se "contenter" d'un récit d'aventures et d'humour plus inspiré, même si bourré d'influences (revendiquées cela dit).

Le récit est découpé en deux actes : si cela casse sa narration, le procédé a le mérite dans sa seconde partie d'en souligner plus les force que les faiblesses de l'ensemble. Ainsi Vehlmann aborde-t-il, de manière à peine déguisée, le conflit en Irak en entraînant Spirou et Fantasio dans la région fictive de l'Aswana, mais il ne s'en sort pas très bien en passant de considérations pertinentes sur les conséquences de la guerre civile à des pages dont les gags paraissent singulièrement déplacés (des enfants jouant au football en tenant leurs prothèses dans leurs mains pour shooter).
Le scénariste ne réussit pas à renouer avec la bonne distance, entre parodie et réflexion, que Franquin (dans Le Dictateur et le champignon) ou Emile Bravo (dans Le Journal d'un ingénu), parce qu'il ne sait visiblement pas trancher entre son envie de faire (sou)rire et celle de d'exprimer son point de vue plus sérieusement sur ce drame.   
Malgré tout, Vehlmann ose et parvient cette fois à placer une scène complètement surréaliste et qui donne son titre à l'album, quand Spirou est coincé dans ladite Sniper Alley où, pour ne pas être abattu, il doit esquiver les tirs en dansant à la manière de Michael Jackson. C'est très drôle et audacieux.

Puis l'histoire entre dans un deuxième temps, beaucoup mieux maîtrisé mais aussi beaucoup plus classique, quand Spirou, Fantasio, Poppy Bronco et Spip s'engagent dans le labyrinthe. Vehlmann déploie une belle inventivité pour dresser des pièges dans ce décor qui renvoie aux récits d'aventures façon "Indiana Jones" (pour ne citer qu'un exemple récent et mémorable), on devine même qu'il aurait volontiers développé ces épreuves mais qu'il a dû en résumer un bon nombre faute de place (dommage, d'autant plus que Spirou et Fantasio à l'époque de Franquin s'accommodait bien d'une pagination supérieure au standard des 46 planches).
La découverte et la révélation de la nature réelle du trésor sont également astucieuses, prenant justement le parti de surprendre mais c'est une belle trouvaille.
Enfin, la chute de l'histoire est, comme d'habitude depuis que Vehlmann écrit la série, une amorce pour le tome suivant. Ceux qui suivent l'actualité du groom et les déclarations du scénariste (et les propriétés de Dupuis) savent déjà depuis quelque temps qu'une célèbre créature va faire son retour dans le 55ème épisode et on ne peut qu'être impatient à cette perspective (même si c'est un sacré défi pour l'équipe artistique).

Tout comme son partenaire, Yoann a suscité, chez moi, des réactions partagées en ce qui concerne son travail de dessinateur sur la série depuis qu'il en a la charge.
Ces sentiments ne sont toujours pas mieux définis même s'il faut admettre là aussi qu'il y a du mieux. La colorisation a déjà changé puisque c'est Laurence Croix qui s'en occupe désormais et elle le fait bien, en utilisant une palette plus claire, qui profite au trait de Yoann.
L'artiste maîtrise mieux aussi l'animation des héros (quand bien même on pourrait souhaiter qu'il les personnalise encore plus, mais sans doute doit-il composer avec des contraintes éditoriales pour ne pas trop altérer le look des personnages). En ayant la possibilité de ramener Poppy Bronco, un second rôle très efficace sur le plan comique, Yoann s'amuse et il représente aussi très bien Don Vito Cortizone. Le casting moins fourni que dans les tomes précédents a de toute évidence permis au dessinateur de mieux se concentrer.

Le décor du labyrinthe et le design des pièges ont été encore une fois conçus par Fred Blanchard et c'est la grande réussite de l'épisode (dans une série comme Spirou et Fantasio, le traitement des sites impacte considérablement la lisibilité de l'intrigue, comme en témoignent des endroits mémorables comme Champignac, le manoir du comte, la jungle de Palombie, le temple de Bouddha, la vallée des bannis, etc).

Tout n'est pas parfait, on l'aura compris, mais il y a dans ce 54ème opus une sorte de modestie qui profite bien au projet. Spirou renoue avec sa veine la plus classique dans le registre de l'aventure exotique et le récit est efficace à défaut d'être renversant, bien mis en image. On a presque envie de dire "encore un petit effort de ci, de là" (un peu plus de folie dans la réalisation et de liberté dans l'édition) et, qui sait, la série renouera peut-être avec ses plus grandes heures.

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