mercredi 16 juillet 2014

Critique 480 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 17 - LA MARIONNETTE, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : LA MARIONNETTE est le 17ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2003 par Dupuis.
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Jérôme reçoit à son bureau la visite d'une jeune femme qui veut l'engager pour retrouver l'homme qu'elle aime : celui-ci est décrit comme un riche quadragénaire qui ne lui a plus donné de nouvelles du jour au lendemain après qu'elle lui ait annoncé être enceinte de lui. Mais le manque d'informations dont dispose le détective est problématique : en effet, sa cliente ne connaît que le prénom de son amant (Benoît), mais ni son adresse, son métier, n'a pas de photo de lui. Excédée par la nonchalance avec laquelle il envisage cette affaire, elle claque la porte !
Pris de remords, Jérôme se confie à Arthur, le curé de son quartier et son ami, qui lui avait envoyé la jeune femme. Il la retrouve ainsi à son travail (elle est caissière dans un supermarché) et lui promet de retrouver son amoureux. Mais la nuit suivante, elle appelle le détective pour lui dire qu'elle met fin à ses jours car son amant a décidé de la quitter.
A l'hôpital où sa cliente est admise après sa tentative de suicide, Jérôme est à nouveau saisi par le doute : il apprend qu'elle n'est pas enceinte. Puis Babette, sa fiancée, suggère qu'elle est peut-être mythomane. Jusqu'à ce que la romancière Marguerite Dumas rencontre le détective : c'était la maîtresse de Benoît, qui vient de mourir, et qui veut savoir avec qui il la trompait...

Après le dyptique des tomes 15-16 (La comtesse-La lettre, dont j'ai parlé dans la critique n°461), Alain Dodier n'a pas tardé pour livrer un nouvel album des aventures de Jérôme K. Jérôme Bloche, un an après. En ayant expérimenté un récit plus long qu'à l'accoutumée, il a franchi une étape et va désormais écrire des histoires non plus de 46 mais de 54 pages à partir du tome 17.

La marionnette possède une intrigue très dense, à la mesure de ce changement de format. Pendant une trentaine de pages, le récit entraîne le lecteur sur des fausses pistes et lui fait partager les doutes de son héros face à cette cliente qui sort de l'ordinaire : comme Jérôme, on est d'abord surpris, ému, perplexe face à la jeune Roselyne dont la romance a de quoi troubler tant elle ressemble à celle d'un roman-photo, avec son bel et riche amant, ses mensonges avérés, mais aussi sa passion sincère. Arrivé à la dernière page de l'album, l'auteur se paie même le luxe de relancer l'incertitude sur les motivations de la mignonne, dont la personnalité est une des plus complexe de toute la série.
La richesse narrative et les mystères de l'enquête, ses coups de théâtre, son casting étoffé (au premier rang duquel on remarque le rôle tenu par le curé Arthur, un personnage qui va désormais être régulièrement présent dans la série, comme Burhan l'épicier, Mme Rose et Mme Zelda), la participation active de Babette, tout concourt à faire de cet épisode un chapitre ambitieux.
C'est une chose que d'être ambitieux, c'en est une autre que d'être à leur hauteur, et sur ce point, Dodier ne déçoit pas : indéniablement, la série a pris une autre dimension depuis quelques tomes (je situerai ça à partir du tome 11, Le coeur à droite), avec des enquêtes encore plus fouillées, des seconds rôles plus profonds, une tonalité moins humoristique (même si le caractère plus intuitif que rationnel de Jérôme conserve de la fraîcheur et parfois de la drôlerie au déroulement de ses investigations et à ses relations avec les autres).
L'agencement des séquences, avec les phases de recherche, les questionnements du héros, les relances dramaturgiques, le climax, la chute, le dénouement, le tout encadré par un prologue et un épilogue, sont à la fois fluides et réclament de l'attention, ce qui aboutit à un équilibre délicat mais, quand c'est abouti comme ici, à un résultat épatant.

Visuellement, je ne cesserai jamais de souligner la constance du travail de Dodier, qui est un remarquable dessinateur. Etrangement, cette régularité joue presque contre lui car elle aurait tendance à le désigner comme un artiste sans surprise.
Mais, en même temps, considérez le soin avec lequel il anime ses planches, au découpage classique mais à la lisibilité irréprochable ; la diversité des personnages qu'il introduit dans ses histoires, la justesse de leurs physionomies, de leur expressivité, de leurs attitudes (la démarche timide, les moues butées de Roselyne, traitées avec sobriété mais intelligence) ; la qualité de ses décors (les extérieurs des rues parisiennes bien sûr toujours impeccablement reproduites, mais également les intérieurs si éloquents - comme l'appartement de Marguerite Dumas, au mobilier et à l'espace si correspondants au personnage). 
Je préfère mille fois un dessinateur aussi stable, même si moins audacieux, qu'un expérimentateur brillant par intermittence, surtout pour diriger une série de ce calibre, avec ce rythme de production. Avec Dodier, on retrouve le goût des artistes de bande dessinée maîtrisant la langage de leur discipline, l'affinant avec les ans, assurant à leurs lecteurs la garantie d'un travail toujours bien fait.

Un plaisir chaque fois renouvelé, comme en témoigne cet opus, un des meilleurs du titre, le quatrième des années 2000 aussi inspiré (et même plus) que les précédents.  

1 commentaire:

Ulysse a dit…

Vous faites une très remarquable analyse de l'art de Dodier dessinateur.

La Marionnette met en scène une intrigue d'une puissance incroyable. On y perçoit plusieurs éléments qui continuent à nous troubler longtemps après la fin de notre lecture.
Déjà, c’est peut-être Jérôme qui, en apprenant à Benoît Calvet (par téléphone) que sa maîtresse est enceinte, précipite la rupture de celui-ci avec son épouse romancière… et donc son assassinat.
Et la dernière planche de cet album parvient à suggérer que la maîtresse cachée de Benoît Calvet n'est peut-être pas celle que nous pensions.

Avez-vous remarqué que Jérôme a tendance à provoquer (certes involontairement) la mort d’un innocent, et qu'il n'en ressent jamais la moindre culpabilité ? On en trouve des exemples dans L'Ombre qui tue, dans Le Jeu de trois… À mon sens, cet élément revient trop souvent pour n'avoir pas été voulu dès l’origine par les créateurs de la série (Dodier, Makyo, Le Tendre).