lundi 26 mai 2014

Critique 455 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 45 - LUNA FATALE, de Tome et Janry


SPIROU ET FANTASIO : LUNA FATALE est le 45ème tome de la série, écrit par Tome et dessiné par Janry, publié en 1995 par Dupuis.
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(Illustrations issues du dossier de presse de l'album, par Janry.)

A New York, les gangs des quartiers de Little Italy et de Chinatown se livrent une guerre sans merci, et les chinois ont, semble-t-il, trouvé une arme redoutable : un filtre d'amour qui rend fou d'amour les mafieux et les pousse à s'entretuer pour une même femme, l'envoûtante Soupir-de-Jade.
Vito "la déveine" Cortizone a alors une idée : utiliser sa jolie fille, Luna, pour kidnapper un célibataire qui sera capable à la fois de résister au sort des chinois et de leur voler ce filtre. Qui sera assez fort pour cette mission ? Spirou !
Mais comment le convaincre d'aider Vito ? En enlevant aussi Fantasio !

Pour leur avant-dernier album, Tome et Janry persistent et signent en explorant une nouvelle facette rarement exploité de Spirou pour définir son identité : sa sexualité. En effet, que savons-nous réellement du personnage sur ce plan ? Il n'est pas question de suggérer une relation ambigüe avec Fantasio - ce sont deux amis - , mais sinon c'est un "vieux garçon", un célibataire auquel on n'a jamais connu d'amoureuse (en tout cas dans sa série officielle, puisque Emile Bravo dans Le Journal d'un Ingénu, plus tard, imaginera un amour de jeunesse entre une soubrette et le groom lors de la seconde guerre mondiale.). A la rigueur, on peut penser qu'il n'est pas indifférent au charme de Seccotine (d'ailleurs Morvan et Yann mettront en scène un baiser entre eux dans Aux Sources du Z, tome 50), mais les chamailleries de la reporter du "Moustique" avec Fantasio inciteraient presque davantage à croire que l'attirance se joue entre ces deux-là plutôt qu'envers la jolie blonde et l'héroïque rouquin.  

Donc, placer Spirou non seulement en face d'un danger classique (les triades chinoises, la mafia italienne, la menace de mort contre Fantasio) mais aussi d'une fille offrait à Tome la possibilité de creuser cet aspect. Tout comme dans Le Rayon Noir, le scénariste aborde frontalement le sujet mais sans lourdeur : Spirou rencontre une première fois Luna Cortizone en la dépannant (d'une crevaison de pneu), elle l'embrasse tendrement pour le remercier sur une joue, il rougit, mais devant retrouver Fantasio, il s'éclipse.
Une fois avec Fantasio, Spirou découvre l'exposition de photos de son ami, organisée au profit d'une bonne oeuvre : tous les clichés sont des nues artistiques (mais sensuelles). Le héros assiste au vernissage sans faire de manières, vannant même son acolyte. 
Puis les voilà en boîte de nuit avec trois ravissantes créatures, dont l'une drague franchement Spirou et l'entraîne à l'extérieur pour l'embrasser. Mais c'est un piège monté par Luna.
Déplacés à New York, Spirou et Fantasio apprennent le plan de Vito "la déveine", avec ses ingrédients soulignant la ligne sexuée de l'intrigue : le filtre d'amour, Soupir-de-Jade, et Luna qui viendra lui prêter main-forte (contre l'avis de son père). Pour savoir si elle peut lui faire confiance, la jeune femme obtient du héros qu'il l'embrasse... Et il ne se défile pas. La scène est très bien amenée et suggestive (Spirou n'est visiblement pas insensible à cette brunette, même s'il la trouve un peu trop nerveuse avec un flingue).
L'astuce imaginée par Tome pour permettre aux mafieux de résister au filtre d'amour est aussi éloquente (des lunettes fumées, un symbole malicieux pour signifier qu'on ne verrait bien, selon l'expression célèbre de Saint-Exupéry, qu'avec le coeur). Tandis que Vito sera appréhendé par la police (aux mains des Irlandais de New York, prêts désormais à en découdre avec les chinois), Luna réussira à filer, non sans avoir salué une dernière fois notre héros (là encore, ostensiblement heureux pour la belle).

Hélas ! Tome n'aura pas le loisir de réutiliser Luna et donc d'approfondir l'idée d'une relation sentimentale avec Spirou, et les successeurs du scénariste n'ont plus fait appel à ce personnage ni aux possibilités qu'elle offrait. Mais l'expérience était intéressante, bien conduite, témoignait de la volonté affirmée de l'auteur de dépasser les conventions de la série - tout en respectant ses autres codes (l'histoire se déploie comme une course-poursuite très spectaculaire, riche en action, en suspense, et ce qu'il faut d'humour - surtout présent via des calembours, une des spécialités de Tome).

Graphiquement, la bande dessinée quand elle évolue dans le registre "jeunesse", avec un dessin non réaliste et une direction mi-aventure, mi-comique, a toujours des difficultés à représenter le beau sexe. Janry (qui a pour lui d'avoir réussi à bien traiter Seccotine dans Aventure en Australie, tome 34) est parvenu à créer une vraie jolie fille avec Luna, sans sombrer dans la caricature (ce n'est pas une bimbo aux formes exagérées, mais une créature jeune et séduisante), tout à fait crédible pour susciter le trouble chez Spirou.
L'abondante galerie de figurants (chinois et italiens) du récit lui permet également de nous régaler avec des trognes savoureuses. Et les décors sont encore une fois très soignés.
Le découpage reste aussi d'un dynamisme impeccable : il n'y a pas à dire, mais les albums dessinés par Janry étaient bigrement efficaces et peaufinés.

Un autre excellent opus dans ce run émérite. Le suivant allait provoquer un électrochoc dont la série et ses fans se souviennent et discutent encore...

1 commentaire:

Geoffrey a dit…

" A la rigueur, on peut penser qu'il n'est pas indifférent au charme de Seccotine (d'ailleurs Morvan et Yann mettront en scène un baiser entre eux dans Aux Sources du Z, tome 50)"
Tome et Janry aussi ont abordé la chose, dès le tome 46 ;-)