jeudi 8 mai 2014

Critique 440 : LE SOMMEIL DE LEO, de Jean-Claude Denis

LE SOMMEIL DE LEO est un récit complet écrit et dessiné par Jean-Claude Denis, publié en 2006 par Futuropolis.
Melvin Méricourt dirige une petite entreprise de confection de meubles en carton. Ce patron, jeune et dynamique, est quand même un dragueur impénitent et prétentieux. Sa secrétaire, Anita, est secrètement amoureuse de lui, même si sa meilleure amie, Sophie, lui conseille de se méfier. Après un passage au journal télévisé, Melvin est reconnu et retrouvé par un ancien camarade de lycée, Léo, un doux rêveur qui vient de perdre sa fiancée et son job mais voudrait renouer des liens avec lui.
Sophie organise une soirée où elle invite Anita, Melvin et Léo au spectacle d'un hypnotiseur. La prestation est si efficace que Léo reste en transe après le spectacle, incapable désormais d'agir de manière autonome. Melvin est alors obligé de veiller sur lui en l'hébergeant. Mais c'est alors que tout déraille : un gros contrat lui échappe, et une belle traductrice sur qui il avait des vues s'intéresse au cas de Léo...

Jean-Claude Denis s'est fait connaître avec la série de récits complets dont son personnage emblématique, Luc Leroi, était le héros ; ses histoires s'inscrivaient dans le registre de la comédie sous l'influence de Woody Allen.
Puis, le scénariste et dessinateur a commencé à réaliser des "romans graphiques", narrativement plus ambitieux, comme Le Pélican, Quelques Jours à l'Amélie ou La Beauté à Domicile, révélant un auteur plus subtil et complexe. Le Sommeil de Léo, paru en 2006, appartient à cette catégorie (tout en réservant un caméo à Luc Leroi (page 72).

L'intrigue est à la fois étrange et habile : Léo est si efficacement hypnotisé qu'il ne peut rien faire par lui-même, prisonnier de son subconscient, et Melvin, son ancien camarade au lycée, qui l'a toujours méprisé, doit s'occuper de lui au moment où une série de crises vont le toucher (difficultés en affaires et amour). Melvin est décrit comme un type odieux, suffisant et séducteur, mais la situation l'oblige à composer : on savoure le supplice infligé par l'auteur à un personnage aussi déplaisant, comme une série de leçons dont on espère qu'elles vont le changer. Mais Jean-Claude Denis n'est pas du genre à écrire des fables où tout finit comme on l'attend.
Si Melvin sera bien puni, il n'en sortira pas vraiment transformé, et Anita, sa secrétaire, pardonnera vite à ce mufle, aveuglée par son amour pour lui. En revanche, il accorde à Léo une issue plus positive et assez malicieuse. Léo est une sorte de héros par défaut du récit, un procédé originalement employé, qui le voit ouvrir et fermer l'histoire, incarnant une sorte de boulet pour lequel on éprouve une immense sympathie car il en fait baver à Melvin, mais d'une manière innocente, inconsciente.
Cet aspect atypique qui fait du Sommeil de Léo ni vraiment une comédie ni un drame donne un bon aperçu de la singularité du regard que Jean-Claude Denis porte sur les êtres et les choses, par le biais d'un récit inattendu. On ne voit pas passer les 94 pages de cette histoire qui repose d'abord sur la caractérisation amusée des personnages, le ton doux-amer des situations, et une grande fluidité dans l'écriture.

Le dessin de J.-C. Denis n'a rien d'impressionnant, son trait est même parfois tremblant, avec des proportions maladroites, mais cette modestie formelle sert le propos en misant d'abord sur la justesse des expressions, des décors bien étudiés, et une mise en couleurs privilégiant les teintes chaudes et douces.
Ce n'est donc pas spectaculaire, et peut-être qu'entre les mains d'un artiste plus complet, le résultat serait plus efficace, mais il y a une vraie cohérence entre le fond et la forme, pour ne pas distraire le lecteur avec un graphisme qui ferait de l'ombre au récit.

L'album est très réussi, original et facile à la fois. Cerise sur le gâteau, il faut aussi souligner la qualité de la publication par Futuropolis, avec notamment un papier superbe, une impression exemplaire (notons-le car l'éditeur n'a pas toujours été aussi soigneux).

Aucun commentaire: