dimanche 23 mars 2014

Critique 427 : NEXUS OMNIBUS, VOLUME 3, de Mike Baron, Steve Rude, Paul Smith, Mike Mignola, Rick Veitch, José-Luis Garcia-Lopez, Gérald Forton, et Jackson Guice


NEXUS OMNIBUS, VOLUME 3 rassemble les épisodes 26 à 39 de la série co-créée et écrite par Mike Baron (exception faite de quelques back-up avec le personnage de Judah Maccabee, écrites par Roger Salick) et co-créée et dessinée par Steve Rude (#26-27, #33-36, #39).
Mike Mignola (#28), Rick Veitch (#29), José-Luis Garcia-Lopez (#30), Gérald Forton (#31), Jackson "Butch" Guice (#32) et Paul Smith (#37-38) illustrent les autres chapitres.
La série a été originellement publiée par First Comics en 1986-87, et réédité en 2013 par Dark Horse Comics.
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Horatio Hellpop alias continue d'inspecter les vestiges archéologiques d'Ylum dont le Merk (la créature qui lui donne ses pouvoirs) lui cache la signification. Mais il doit rapidement délaisser ses recherches pour renouer avec son activité de bourreau galactique : il fait face à Clayborn, qui lui donne du fil à retordre.
De retour à sa base, il doit gérer l'arrivée de son oncle Lathe, un prêtre fanatique de l'Ordre d'Elvon qui s'oppose au progrès technologique et va voler des armes pour détruire la station Gravity Well - projet interrompu in extremis par Nexus.
Comme pour le récompenser, le Merk confie à Horatio une précieuse relique, un appareil lui permettant de se déplacer dans le temps et l'espace et lui permettant, pour l'occasion, de visiter la bibliothèque d'Alexandrie, sauvée et intégrée à la plus grande bibliothèque de l'univers. 
Cependant, les 2 filles d'Ursula XX Imada (Sheena et Scarlett), dont le père est Nexus, doivent suivre les enseignements d'un professeur particulier pour maîtriser les pouvoirs qu'elles ont hérité de leur géniteur et c'est Judah Maccabee qui obtient le poste. 
Durant la même période, des tensions diplomatiques opposent la Terre, Mars, Procyon et Ylum à cause des ressources énergétiques et des moyens d'y pourvoir et donc des accords commerciaux dans ce but. 
Kreed et Sinclair (les 2 extraterrestres Quatros, gardes du corps de Horatio) requièrent la présence de Nexus lors de l'assemblée annuelle des assassins sur la planète Acacia. Une fois sur place, ils vont se trouver au coeur d'une vengeance ourdie par une victime des deux anciens tueurs.
 
Après cela, Nexus doit exécuter un autre tyran en exercice mais quand il arrive sur sa planète, les opprimés lui demandent de mener leur révolution ou, au moins, de les accueillir comme réfugiés sur Ylum.
Horatio Hellpop décide de rendre visite à ses filles, bien qu'Ursula Imada le lui est interdit. Durant son absence, il confie à Kreed et Sinclair le soin d'éliminer une liste de criminels de guerre mais les deux Quatros, pris d'un accès de folie, commettent un terrible massacre sur Mars. Nexus obtient de ramener les coupables sur Ylum en promettant qu'il sévira. 
Horatio retourne ensuite dans l'empire Sov pour y visiter les églises, en espérant trouver un lien avec les vestiges d'Ylum, mais son projet est contrarié quand il doit secourir une femme prêtre persécutée. Il ne se doute pas que les trois filles du Général Loomis, qu'il a tué (voir Nexus Omnibus volume 1), Michana, Lonnie et Stacy, s'emploient à acquérir des pouvoirs semblables aux siens pour le faire payer.

Avec ce troisième volume des rééditions des épisodes de Nexus, la série subit, malgré son flot de péripéties, une baisse notable de régime. Le scénariste Mike Baron a, dans les 25 premiers épisodes (et les 4 premiers du premier volume), établi un nombre considérable de pistes qui, alignées, formaient un feuilleton palpitant et si haletant qu'on ne souciait guère de leur aboutissement. Ici, il semble vouloir à la fois poursuivre les aventures pour procurer au lecteur sa dose de rebondissements, de décors exotiques, de personnages hauts en couleurs, tout en veillant à faire le point sur ce qui s'est passé précédemment et nous assurer que rien n'est oublié.
La première conséquence de cette narration hybride est que le rôle de Nexus n'est plus qu'occasionnellement utilisé : certes, il remplit encore quelques missions de bourreau et rencontre même, au tout début, avec Clayborn, un adversaire redoutable, mais on se rend compte au terme de ce tome qu'il a passé plus de temps à réagir aux situations qu'à exécuter des "contrats". Horatio Hellpop est désormais moins harassé par ses rêves et ses obligations de Nexus que préoccupé par sa paternité, ses investigations d'historien ou son désir de renouer avec Sundra Peale. C'est comme s'il était devenu un héros à temps partiel, traversant des intrigues où l'essentiel se joue sans lui, n'intervenant plus seulement parce que le Merk l'y oblige mais parce qu'il est témoin des évènements ou sollicité par une nouvelle venue sur Ylum. 
 
Tout cela laisse un sentiment étrange et frustrant. Mike Baron est comme pris à son propre piège : son imagination féconde lui a permis d'installer toute une galerie de situations de personnages, d'endroits, et il lui faut maintenant gérer tout ça, ce qui fait que le temps consacré à s'occuper de ces intrigues pléthoriques et de cet abondant casting dans d'innombrables localités l'empêche d'animer Nexus normalement (au risque d'ajouter encore plus de futurs problèmes à résoudre). 
Le fan de la première heure qui était curieux de ce anti-héros au métier peu commun et à la morale équivoque et qui était resté en étant emporté par les aventures à la fois percutantes et subtiles ne pourra qu'être déçu par l'évolution à l'oeuvre dans ce volume.
Les résolutions ne sont pas toutes au rendez-vous, et quand elles le sont, parfois de manière expéditive (comment expliquer que Nexus ne punisse pas Kreed et Sinclair, auteurs d'un véritable carnage sur Mars, comme tous les assassins de masse qu'il exécute d'ordinaire ?).
D'autres pistes narratives s'étirent au-delà du raisonnable, comme c'est la cas avec les filles d'Horatio et Ursula (l'idée était intéressante mais le scénariste semble être embarrassé à présent, ne pas savoir quoi en faire). Vers la fin, la réapparition des filles Loomis et leur projet de vengeance ranime un peu l'intérêt, mais Baron n'est visiblement pas pressé (elles en sont encore à se demander comment elles vont pouvoir agir contre un être aussi puissant que Nexus).
Il reste cependant de très belles séquences, progressant à la marge de la série, mais peut-être amenées à la nourrir ultérieurement : la capsule qui permet à Horatio (avec Dave ou Sundra) de voyager dans le temps et l'espace, l'histoire de la femme prêtre, permettent à Nexus d'être écrit comme un explorateur ou un justicier plus que comme un bourreau maudit, le personnage y gagne en sensibilité.

La série possède également un lot de seconds rôles sympathiques qui rendent la série plus légère tout en lui conservant une ambivalence séduisante. Ylum n'est pas qu'un refuge pour d'anciennes victimes de régimes oppresseurs, c'est aussi une résidence grouillante de monde, où des voyous tentent d'imposer leur loi par la force, où les autorités sont souvent dépassées (avec des fonctionnaires trop négligeants) : en bref, il n'y a pas assez de place pour tous, et finalement la notion d'abri y est toute relative. En filigrane, Mike Baron suggère que, même avec les meilleures intentions, on ne peut accueillir toute la misère du monde, et que si, hier on était persécuté, on peut devenir persécuteur dans un endroit administré avec laisser-aller.
Ce qui est toutefois dommage, c'est que Baron, toujours limité par le dénouement d'histoires précédentes et d'espace disponible pour le faire, ne peut qu'écrire succinctement des seconds rôles comme Dave, Sundra, Tyrone, des personnages pourtant intéressants, pris dans des intrigues originales, aux relations prometteuses, mais condamnés à de la figuration.

C'est un comble mais Nexus est en vérité victime, comme série, de sa (trop grande) richesse en termes de personnages, de situations et de récits. Il faut s'accrocher, être patient, car néanmoins le voyage vaut le détour, mais cette quinzaine d'épisodes est une transition quasi-obligée : c'est un peu long, il y a des épisodes dispensables, mais le suite devrait être plus digeste.

Et puis, parfois, au cours d'un chapitre, Mike Baron nous rappelle pourquoi Nexus est si épatant à lire, avec une concision diabolique : alors, un canevas se forme sous nos yeux, rassemblant plusieurs fils narratifs autour d'un thème précis.

Le 31ème épisode est à cet égard une grande réussite : Horatio règle son compte à dictateur (classique) mais le peuple qu'il croit avoir libéré sait que cela ne suffira pas et pour s'assurer que la situation va vraiment et durablement s'améliorer, réclame à Nexus de conduire une révolution. Il est alors coincé, pris au piège des évènements, dans l'obligation morale de s'impliquer dans un mouvement qui, sinon, risque de causer encore plus de dégâts et donc de rendre son action initiale nulle. Au lieu de broder autour d'affrontements spectaculaires, Baron choisit alors de montrer clairement les limites de la rébellion mais aussi celles de son héros : il ne suffit pas d'éliminer un tyran pour délivrer un peuple, il faut aussi l'accompagner. La politique du bourreau et du pourvoyeur d'asile que mène Horatio se heurte alors à une réalité qui le contraint à composer avec des lignes de force plus profondes que les cauchemars provoqués par le Merk. 
Par ailleurs, Baron parvient aussi à faire converger plusieurs composantes de sa saga : l'épisode 37 synthétise là encore la nécessité pour le héros de réfléchir à sa position sur une échelle plus vaste. Individu investi d'un pouvoir considérable, Nexus est au coeur des mouvements politiques internationaux et interplanétaires lorsqu'il s'agit de négocier l'énergie nécessaire aux besoins de toutes les civilisations. Il n'est plus alors seulement question d'un bourreau surpuissant intervenant ponctuellement mais d'une sorte d'arbitre galactique, un rôle plus trouble et inconfortable pour un personnage qui justement rechigne à jouer dans cette cour (déjà bien occupé par ses autres missions et une vie amoureuse et parentale compliquée). 

Dans ces cas-là, on comprend avec quelle minutie Baron a préparé son affaire, à quel point la construction dramatique de sa série est organique, et son ampleur considérable. Peu de bandes dessinées offre une telle ambition tout en se présentant comme un divertissement plaisant au premier degré.

Enfin, le scénariste sait aussi dépayser le lecteur en l'entraînant lors de 2 ou 3 épisodes d'affilée et complets dans une vadrouille insolite, presque comique mais aussi inventive, invitant toujours à la réflexion (comme la visite de la bibliothèque galactique dans l'épisode 34).
L'autre raison pour laquelle on peut être aussi plus tiède avec ce volume est que, bien qu'il soit sur la couverture fait seulement mention de Steve Rude comme artiste, il n'assure en fait que la moitié des épisodes. 7 épisodes, vous me direz que c'est déjà formidable, et effectivement, ça l'est : chaque page de Rude est toujours aussi exceptionnelle, le trait est d'une beauté à couper le souffle, les détails sont incroyables, les compositions de chaque image sont d'une invention remarquable, les personnages possèdent une classe folle, avec un encrage extraordinaire de John Nyberg. 7 épisodes qui suffisent à convaincre n'importe quel amateur de beau dessin à acquérir l'album.

La part de Steve Rude "the Dude" dans le plaisir à lire Nexus est essentielle, on ne peut le nier. Imaginer la série sans lui suffit à mesurer l'importance de sa contribution. Du coup, quand il n'est plus là, et même s'il est remplacé par des dessinateurs très valables, ce n'est plus la même chanson, même si John Nyberg reste présent pour encrer les fill-in.

Sur le papier, citer des intérimaires comme Mike Mignola (#28) est alléchant mais un peu trompeur car vous ne trouverez pas le dessinateur de Fahrd and the Grey Mouser ou Hellboy mais un débutant encore maladroit.
Rick Veitch (#29) a un style chargé mais beaucoup moins plaisant que celui de Rude.
Gérald Forton est lui aussi un artiste dont le dessin a pris un sérieux coup de vieux (#31).
Et Jackson "Butch" Guice était lui aussi très loin du niveau d'excellence qu'on lui connait aujourd'hui (#32).
Les deux seuls vraiment sortir leur épingle du jeu sont José-Luis Garcia Lopez, un habitué de DC Comics, aux finitions soignées, qui s'est même d'ailleurs amusé à glisser quelques personnages comme Grim Jack, Wonder Woman et Batman dans la figuration (Rude reprendra ce petit jeu à son tour en glissant par exemple le Space Ghost parmi les résidants d'Ylum, mais il faut bien examiner les cases pour les repérer).
Et puis il y a Paul Smith, que les fans de Uncanny X-Men (cru 1983, grande année) connaissent bien, et qui va devenir un invité régulier de la série ensuite : il signe les épisodes 37 et 38 (en se chargeant aussi de l'encrage), et son style simple, très élégant, soutient la comparaison avec celui de Rude sans le singer. C'est de toute façon un régal de lire ce dessinateur si rare.

Tous les épisodes (sauf les #29 et 36) sont complétés par des back-up de 6-8 pages consacrés à Clonezone (#26-27), toujours aussi navrant, puis à Judah Maccabee (#28-35, #37-39), un peu meilleures mais dispensables, écrites par Mike Baron puis Roger Salick et illustrés par des artistes moyens ou médiocres. es rééditions auraient gagnées à zapper ces suppléments, en les remplaçant à chaque fois, sur un volume entier par quelques épisodes supplémentaires de Nexus.

Je vais me répéter mais ce 3ème omnibus est un opus mineur depuis le début de la collection. Il ne faut pas ne pas le lire car il s'y passe des choses importantes pour la suite, et aussi parce que, malgré tout, les épisodes réalisés par Baron avec Rude ou Smith sont superbes (et puis aussi parce que ça ne coûte pas cher, en neuf, et encore moins en occasion).
C'est toute l'ironie de l'affaire : Nexus a, ici, les défauts de ses qualités - c'est une série tellement riche, atypique, feuilletonnesque qu'elle en pâtit quelquefois, et c'est si merveilleusement dessiné que lorsque son artiste prend un congé, les substituts souffrent de la comparaison.
Mais rien de tout ça n'est assez préjudiciable pour ne pas poursuivre la (re)découverte de cette saga culte. 

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