samedi 8 mars 2014

Critique 421 : ALL-NEW X-MEN - VOLUME 2 : HERE TO STAY, de Brian Michael Bendis, David Marquez et Stuart Immonen


ALL-NEW X-MEN, VOLUME 2 : HERE TO STAY rassemble les épisodes 6 à 10 de la série écrite par Brian Michael Bendis, publiée en 2013 par Marvel Comics. Les dessins sont signés David Marquez (#6-8) et Stuart Immonen (#9-10).
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Les cinq premiers X-Men (Cyclope, Marvel Girl, le Fauve, Iceberg et Angel) ont choisi de rester à notre époque après un vote à main levée (seul Angel était contre) devant les professeurs et élèves de l'école Jean Grey tenue par Wolverine, où ils sont installés. Le griffu ne voit pas ça d'un bon oeil mais Kitty Pryde s'est dévouée pour chaperonner les nouveaux venus.
Soumis à un stress intense après avoir pris connaissance de la situation actuelle, les jeunes mutants s'acclimatent tant bien que mal. Jean Grey voit, par exemple, ses pouvoirs télépathiques se manifester et doit apprendre à les maîtriser : elle y parviendra plutôt bien, quitte à s'en servir de manière douteuse.
Le jeune Scott Summers est lui aussi éprouvé par l'expérience : sa place de leader est remise en cause, il est vu comme le meurtrier de Charles Xavier, et ne sait plus où donner de la tête dans cette époque où tous ses repères n'existent plus, comme il s'en rend compte lors d'une ballade en ville. Il fait là la connaissance de Mystique, la mutante métamorphe, qui entend bien utiliser la présence des premiers X-Men à son avantage.
Quant à Warren Worthington, depuis le début, il s'interroge sur ce qu'il est devenu de nos jours. Il rencontre son double actuel, se bat à ses côtés, mais surtout se rend compte que son inquiétude était fondée. Sa panique va avoir de lourdes conséquences...
(Extrait de All-New X-Men #6. Dessins de David Marquez.)
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Après cinq premiers épisodes très efficaces (et sortis en seulement trois mois), Brian Michael Bendis doit confirmer la bonne impression laissée par son premier arc narratif tout en convaincant le lecteur que son idée de ramener les premiers X-Men à notre époque n'est qu'un "coup" éditorial.  A cet égard, le titre choisi pour ce deuxième recueil est éloquent : Here to stay ("Ici pour longtemps"), ça ressemble à une déclaration d'intention, une adresse aux perplexes, presque un défi.

D'un point de vue dramatique, il y a moins d'action dans ces nouveaux chapitres (même s'il y a quelques séquences qui bougent bien), mais c'est parce que Bendis veut privilégier l'exploration psychologique de ses héros tout en soulignant l'impact que produit leur présence dans leur entourage, celui de l'école Jean Grey.
Le scénariste va s'intéresser plus spécialement à trois des jeunes X-Men pour mettre en évidence leurs caractères, montrer ce qui les distingue d'une communauté déjà bien fournie, et justifier que la série se prolonge. Le récit se déploie de manière très claire et linéaire, ce qui, là aussi, diffère du précédent arc narratif (où la chronologie était bousculée et les parallèles entre ce qui se jouait dans le réel et la psyché étaient privilégiés). Jean Grey, Scott Summers et Warren Worthington vont nous être présentés plus en détail au contact d'un autre X-Man, respectivement Kitty Pryde, Wolverine et Angel.

Le segment qui associe Jean et Kitty est très bien vu : Kitty est devenue la professeur de Jean alors que son personnage était apparue durant la mythique saga du Phénix Noir, qui allait aboutir à la (première) mort de Jean Grey. Bendis écrit superbement bien le personnage de Kitty, tutrice attentionnée et troublée de jouer ce rôle avec la version adolescente de l'héroïne qu'elle avait rencontrée quand elle-même n'était qu'une jeune fille. On a également la confirmation que le personnage de Jean est bel et bien celui que préfère visiblement l'auteur, celui autour duquel il articule ses intrigues.

Avec Scott Summers, Bendis insiste sur le décalage induit par l'époque dont vient le jeune homme, sa naïveté : il le montre sidéré par la modernité technologique mais aussi dupé par Mystique. Tout cela est écrit avec subtilité, alternant humour (en s'amusant de l'éternelle rivalité entre Cyclope et Wolverine) et gravité (quelle attitude adopter face au Cyclope moderne ?). L'apparition de Mystique suggère qu'elle va devenir un élément important dans le futur de la série : c'est un adversaire intéressant pour de jeunes héros inexpérimentés, dans un contexte où la disparition de Charles Xavier invite chaque mutant (bon, mauvais ou dans un positionnement plus équivoque) à se redéfinir (le professeur ayant toujours été la figure de référence, pour le pire et le meilleur, lui-même n'étant pas un mentor irréprochable).

Pour ce qui concerne Warren Worthington, Bendis fait preuve d'encore plus d'inspiration. En effet, il en a fait le seul X-Man originel réticent à séjourner à notre époque et il est resté parce que ses quatre acolytes ont voté pour rester. Sa méfiance s'explique aussi par le fait qu'il était le seul à ne pas avoir rencontré son double actuel et quand cela arrive (lors du #6), on comprend immédiatement que cela va avoir des conséquences lourdes et durables. Angel est en quelque sorte le pendant au personnage de Jean Grey : d'un côté, on a la jeune fille apeurée mais curieuse, déterminée ; de l'autre, on l'a, lui, tout aussi anxieux mais qui, plus il en sait, plus il est convaincu que sa place n'est pas ici (à cette époque et avec ces mutants). Bendis sait parfaitement décrire le trouble éprouvé par Angel à découvrir ce qu'il est devenu, très différent et pourtant très proche.
Il offre aussi au passage, au personnage et au lecteur, une séquence d'action très dynamique, reposant certes sur un prétexte facile, mais qui permet d'accentuer le malaise de Warren, précipiter les évènements, et souligner que son désarroi psychologique s'appuie aussi sur des faiblesses physiques (en effet, une fois en situation de combat, il ne fait pas le poids - comme un oiseau il a les os creux, une force proportionnellement normale, bref rien de bien redoutable).
 (Extrait de All-New X-Men #10. Dessins de Stuart Immonen)

A la fin du 10ème épisode, Bendis laisse le lecteur avec un cliffhanger très prenant puisque le Cyclope moderne vient directement à l'école de Wolverine pour recruter de nouveaux élèves et qu'un des cinq premiers X-Men décide de le suivre.
Quiconque n'a pas envie de savoir qui et ce que cela peut provoquer peut arrêter les frais tout de suite. Mais personne ne pourra dire que la série n'évolue pas et que Bendis n'avance pas.

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Malgré sa capacité à enchaîner les épisodes à toute allure sans perdre en qualité, Stuart Immonen est laissé au repos pour les trois premiers épisodes de cet album. C'est le dessinateur actuel d'Ultimate Spider-Man, donc un autre collaborateur habitué de Bendis, qui le supplée : David Marquez n'a pas le style de son collègue canadien mais se fond bien dans la série, le lecteur n'est pas choqué par ce remplacement.
Marquez a un trait élégant, privilégiant la finesse et les rondeurs, convenant parfaitement à la représentation de jeunes personnages auxquelles il sait donner de l'expressivité (que ce soit dans la gestuelle ou l'expression des émotions sur leurs visages). C'est un dessinateur agréable, et déjà solide techniquement - un peu trop même car il use et abuse des outils numériques pour le traitement des décors, ce qui donne un aspect froid à ces éléments. Ce défaut est d'autant plus flagrant qu'il alterne les plans avec des fonds détaillés et d'autres où se trouvent seulement les personnages, dans un environnement indistinct, vide. Ce qui est probant quand il s'agit de montrer une figuration importante (les élèves dans le réfectoire) devient plus embarrassant dans des pages où l'action se déroule sans décors, avec des traits de vitesse, dans la plus pure tradition des scènes d'action des mangas.
Par ailleurs si Marquez est à l'évidence un artiste doué, il lui manque aussi de la diversité pour camper des personnages d'âges différents et un encrage plus nuancé.

Le contraste est frappant quand Stuart Immonen revient pour les deux derniers épisodes du recueil, dont les planches sont infiniment mieux découpées, plus fournies, avec même des touches d'humour visuel savoureuses (la salle des dangers avec une fausse pub pour "Dazzler, the musical", un clin d'oeil à Marvel Zombies).
Le génie du dessinateur éclate surtout avec les expressions faciales des personnages qu'il s'amuse à exagérer au besoin, introduisant un second degré bienvenu au psychodrame. La manière dont il représente Kitty, qu'il arrive à rendre féminine sans vulgarité, ou Wolverine, dont il refait ce petit format trappu et bouillant, compte parmi quelques-uns des exemples les plus fabuleux.
Ses pages bénéficient de vignettes aux dimensions variées et disposées toujours de façon lisible, dégageant une grande énergie, et magnifiées par l'encrage de son complice, Wade von Grawbadger (aux contours admirablement modulés). Du grand art, des illustrations parmi les meilleures disponibles actuellement (et depuis des lustres pour les X-Men, qui ont vu défiler des dessinateurs très inégaux).
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Ce deuxième tome des All-New X-Men prouvent que le titre a un vrai potentiel, une matière riche à exploiter. Avec Marquez et Immonen, Bendis démontrent que ces personnages revitalisent la franchise "X", avec des personnalités affirmées et des enjeux passionnants.

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