dimanche 9 février 2014

Critique 411 : UNCANNY X-MEN #111-116, de Chris Claremont et John Byrne

#111 : Mindgames ! 
(Juin 1978)

Le Fauve, en congé des Vengeurs, part à la recherche des X-Men qui ont quitté, sans raison apparente ni indication sur leur destination, leur manoir. Il retrouve leurs traces dans une fête foraine où ils sont exhibés comme des montres et découvre alors qu'ils sont sous l'emprise d'un vieil ennemi des mutants, Mesméro. Ayant assisté à la capture du Fauve, Wolverine recouvre ses esprits et de libère avant de "réveiller" ses compères et d'aider le Fauve. Mais Mesméro est déjà vaincu et un nouvel adversaire se présente devant les X-Men...
 #112 : Magneto triumphant ! 
(Août 1978)

Les X-Men font face à celui qui a défait Mesméro : il s'agit de leur plus ancien et terrible ennemi, Magnéto. Diablo découvre en se téléportant hors de la roulotte où ils sont que celle-ci survole l'Amérique du Sud sous le contrôle du maître du magnétisme. Ce dernier révèle qu'il a retrouvé les X-Men en suivant le Fauve.
La roulotte poursuit son vol jusqu'en Antarctique à l'intérieur d'un volcan où Magnéto a construit une de ses bases. Un combat oppose le vilain à l'équipe et le premier vainc ses adversaires facilement, en profitant de leur inexpérience à se battre ensemble.
 
Les X-Men reviennent à eux dans une chambre sécurisée où ils sont entravés, leurs pouvoirs inhibés et privés de l'usage de la parole : Magnéto tient sa revanche de la plus cruelle des façons...
 #113 : Showdown ! 
(Septembre 1978)

Tornade parvient, non sans mal, à libérer ses camarades grâce à des épingles cachées dans son diadème et ses réflexes d'ancienne voleuse (durant son enfance au Caire). Retiré sur l'Astéroïde M en orbite autour de la Terre, Magnéto est obligé de regagner sa base en Antarctique dont l'alarme a retenti. 
Les X-Men lui tendent une embuscade et cette fois, en agissant collectivement, prennent l'avantage sur lui. Mais dans le feu du combat, la base est sérieusement endommagée et menace d'être détruite par le volcan au coeur duquel elle se trouve. 
Magnéto préfère fuir. Son repaire explose. Phénix réussit à s'en extraire avec le Fauve mais au prix d'un effort épuisant et sans avoir pu sauver les autres...

Tout d'abord, cela faisait un moment que je voulais relire ces épisodes et tenter d'en tirer un article (j'espère que d'autres suivront si j'en trouve l'envie et le temps) : ils constituent ma découverte des comics de super-héros au début des années 80, une expérience fondatrice. A l'époque, je lisais ceci dans la revue trimestrielle "Spécial Strange" éditée par Lug, dans une version qui subissait des retouches et des censures régulières, sans parler d'un important décalage entre la parution en anglais et celle en français (cela permet de relativiser aujourd'hui quand on n'a qu'à attendre que quelques mois pour lire une série...).

Historiquement, la relance des X-Men a commencé en 1975 avec la reprise en mains du titre par les scénaristes Len Wein et Chris Claremont et du dessinateur Dave Cockrum : les trois hommes ont carte blanche pour réanimer une marque en net déclin depuis longtemps. Leur idée : renouveler le casting des personnages en l'internationalisant et redynamiser leurs intrigues en mélangeant la dimension "soap opera" à celle du récit d'aventures spectaculaires.

Ainsi vont apparaître des personnages comme Diablo (Nightcrawler) qui est d'origine allemande, Tornade (Storm) l'africaine, Colossus le russe, le Hurleur (Banshee) l'irlandais - les trois premiers sont des réinterprétations de créatures designés par Cockrum pour la Légion des Super-Héros de DC, mais refusés par l'éditeur. Wolverine (à l'époque traduit par Serval en vf) était apparu auparavant dans une histoire de Hulk et il n'a dû son salut qu'à peu de choses : Claremont et Cockrum ne l'aimaient pas spécialement, il n'était même pas spécifié qu'il soit mutant au départ (ses griffes devaient être incorporées à ses gants), mais les lecteurs l'apprécièrent rapidement. C'est l'indien l'Epervier (Thunderbird) qui mourut à sa place (dans les #94-95), au début du run de Claremont (rapidement seul auteur de la série, même s'il a toujours impliqué ses dessinateurs dans l'écriture).

Jusqu'au n°107, Dave Cockrum assure les dessins de la série (parfois secondé par Bob Brown, et encré, souvent mal, par Sam Grainger). Au n°108, John Byrne le remplace. Puis Tony De Zuniga est "invité" à illustrer le n°110, avant que Byrne ne reprenne sa place. C'est le début d'une longue et fructueuse (mais parfois aussi houleuse) collaboration entre lui et Claremont, qui va hisser la série au sommet.

J'ai donc choisi de commencer ce passage en revue critique par cet épisode 111, qui marque le vrai début du tandem Claremont-Byrne, avec un épisode mémorable.

Très vite, on s'aperçoit que le scénariste découpe la série en séquences, en mouvements : la première aventure ne dure que trois épisodes (#111-113). Cette narration donne une énergie formidable au récit, chaque chapitre regorge d'action, de rebondissements, et se clôt sur un cliffhanger (souvent une pleine page) haletant. C'est aussi un moyen pour Claremont de diriger l'histoire en la déplaçant géographiquement : en fait, les aventures des X-Men sont une version de L'Odyssée d'Homère avec à chaque escale des péripéties, la rencontre avec une situation dramatique et un adversaire redoutable. Le voyage prendra fin, comme une première saison d'une série télé se termine, avec le retour programmé des X-Men à leur école d'où ils ont subitement disparu comme le découvre le Fauve (Beast) au début du #111.

Claremont ouvre donc ce premier cycle avec un premier décor surprenant où les X-Men sont exhibés comme des monstres de foire. Le mystère de cette situation est vite résolu et conduit aussitôt à un nouvel adversaire et un nouveau décor : Magnéto et sa base en Antarctique. Le vilain maître du magnétisme est l'ennemi emblématique de l'équipe, depuis ses débuts, c'est-à-dire dès sa première génération dans les années 60, quand elle a été créée par Stan Lee et Jack Kirby : qu'importe les élèves du professeur Charles Xavier, c'est ce dernier que vise toujours Magnéto en raison de leur différend insoluble sur la condition des mutants - Xavier défend une cohabitation pacifique entre mutants et humains, même si ceux-ci les craignent et les persécutent, tandis qu'Erik Lehnsherr pense que les mutants, que leurs pouvoirs placent au-dessus de l'homo-sapiens, doivent devenir les maîtres de l'humanité, conviction soulignée par son enfance passée dans un camp de concentration où il a subi les mauvais traitements des nazis.

L'histoire montre des X-Men encore désordonnés : Magnéto en vient à bout d'abord facilement car ils ne savent pas se battre en équipe, et un membre comme Wolverine refuse d'obéir à Cyclope, le leader historique de la formation, dont il n'aime pas le dirigisme et parce qu'il aime secrètement Jean Grey/Phénix, sa fiancée. D'autres sont simplement inexpérimentés à la lutte comme Diablo (qui a grandi en préférant se cacher), Colossus (le benjamin du groupe qui craint sa force) ou Tornade (qui redoute de tuer quelqu'un à cause de sa puissance).

Mais en dévoilant le passé de ses X-Men, Claremont rappelle aussi au lecteur qu'ils peuvent compter sur d'autres ressource que leurs pouvoirs : c'est ainsi que grâce à ses talents de voleuse-crocheteuse de serrures que Tornade sortira l'équipe de son mauvais pas.
En se disciplinant, apprenant de ses erreurs passées, les X-Men sont ensuite en mesure de dominer Magnéto. Mais la fin du #113 les voit séparés dans des circonstances dramatiques. Bien entendu, on se doute que les amis du Fauve et de Phénix ne sont pas morts comme ils le pensent, mais ce malentendu va alimenter la suite de la série.

Aux dessins, John Byrne, remarqué lors de son passage sur la série Iron Fist (déjà écrite par Claremont), fait preuve d'un abattage déjà remarquable : il produit des planches très vivantes, pleine d'énergie, aux personnages expressifs. Il tient bien son casting.

La représentation des pouvoirs est toujours efficace, souvent spectaculaire, sans jamais déborder d'un découpage classique : à cette époque, une des rares "excentricités" tenait à la réalisation de doubles pages (même si, déjà, des artistes offraient des cadres aux formes et aux dimensions plus baroques). Byrne semble au contraire se satisfaire de vignettes disposées sagement pour mieux soigner leur contenu et en maximiser les effets. 35 ans après, cela reste très concluant.

Néanmoins, tout n'est pas parfait et le jeune dessinateur (28 ans à l'époque) ne déroge pas aux clichés d'usage : ses héroïnes sont toutes des créatures très pulpeuses, aux formes et aux poses suggestives, et ses héros sont (à l'exception de Diablo, dont le design est de loin le plus atypique) des mâles alpha, taillés comme des culturistes.

L'encrage de Terry Austin (et plus encore la colorisation, auquel le papier glacé des albums ne rend pas justice) a aussi mal vieilli : il lisse le dessin, le "métallise" à outrance, et si ça fonctionne parfaitement quand il s'agit de la peau d'acier de Colossus, c'est parfois un peu froid sur les autres personnages. En revanche, les décors y gagnent avec force détails, d'une netteté toujours impressionnante. Byrne s'est souvent encré plus tard, sur d'autres séries, mais il a aussi connu, on peut le dire avec le recul, des partenaires qui lui convenaient finalement mieux qu'Austin (je pense à Bob Wiacek ou Jerry Ordway).

En tout cas, en trois épisodes, on est déjà pris à la gorge : belle prouesse !   
*
 #114 : Desolation 
(Octobre 1978)

Jean Grey et le Fauve sont sauvés alors qu'ils traversent une terrible tempête de neige en Antarctique. Ils ignorent que les autres X-Men ont également survécu et, en évoluant dans un tunnel souterrain, refont surface au coeur de la Terre Sauvage. 
Jean et le Fauve retrouvent le professeur Xavier à son école et lui apprennent que l'équipe n'a pas survécu.
Les X-men sont recueillis par une tribu de la Terre Sauvage dans se douter que leurs faits et gestes sont surveillés par un homme qui ne tarde pas à s'en prendre à Tornade en lui sapant sont énergie vitale...
 #115 : Visions of Death ! 
(Novembre 1978)

Sauron a drainé une part de l'énergie vitale de Tornade et a accompli sa métamorphose quand il est surpris par les X-Men. Grâce à son pouvoir hypnotique, il pervertit Wolverine qu'il force à attaquer ses acolytes, mais Cyclope et le Hurleur écartent temporairement Sauron qui, à bout de force, entreprend d'agresser Colossus pour se régénérer. 
Heureusement, en se transformant sous sa forme métallique, Peter Raspoutine empêche Sauron d'aller plus loin et la créature reprend son aspect humain de Karl Lykos lorsque Ka-Zar, le seigneur de la Terre Sauvage intervient pour mettre fin au combat.
Ka-Zar sollicite l'aide des X-Men pour neutraliser la prêtresse Zaladane qui a ressucité l'Homme de pierre, Garokk. La Terre Sauvage est la proie d'un hiver soudain qui risque de l'anéantir à cause de lui...
 #116 : To save the Savage Land ! 
(Décembre 1978)

Les X-Men abordent la cité de l'Homme de Pierre mais plusieurs d'entre eux sont capturés par la garde de Garokk, dont Ka-Zar. Seuls Wolverine, Diablo et Tornade sont libres et infiltrent l'endroit.
A l'intérieur, une cérémonie sacrificielle a lieu, dont les X-Men et Ka-Zar sont les victimes. Wolverine, Tornade et Diablo interviennent. Garokk fuit jusqu'au sommet de sa cité, d'où il tire l'énergie de la Terre Sauvage. Cyclope l'y rejoint et l'affronte, seul.
La cité s'écroule et Garokk tombe dans un précipice où Tornade tente de le récupérer, mais elle échoue à cause de sa clautrophobie.
Les X-Men peuvent à présent quitter la Terre Sauvage mais ils s'engagent à bord d'un radeau dans les eaux agitées du détroit de Drake...

Avec ces trois épisodes suivants, Chris Claremont expédie rapidement la partie concernant Jean Grey et le Fauve, secourus miraculeusement de l'Antarctique et de retour auprès de Charles Xavier, lui annoncent que les autres X-Men sont morts. Le traitement peut sembler cavalier mais il s'agit d'un procédé qui va devenir courant chez le scénariste : celui du "subplot", la mise en place très progressive d'une intrigue secondaire qui va converger vers l'histoire principale et aboutir à un récit global et un dénouement spectaculaire. Ici, il s'agit de placer en condition quelques personnages pour qu'ils croient les personnages principaux disparus : traumatisés, ils sont aussi plus vulnérables et cela aura des conséquences par la suite.


Bien entendu, Claremont sait que ce qui intéresse le lecteur, c'est de savoir si et comment les autres X-Men s'en sont tirés. Ils ont bien entendu survécu, mais dans quel état et pour aboutir où. On retrouve là direction géographique du récit puisque, comme je l'ai dit plus haut, à chaque nouvelle aventure correspond un nouveau décor. Et nous apprenons qu'en vérité les X-Men n'ont pas quitté l'Antarctique mais en découvrent une partie pour le moins singulière : la Terre Sauvage.

Avec ce décor exotique à la situation fantaisiste, son seigneur Ka-Zar (version Marvel de Tarzan), ses créatures sorties de la préhistoire (tigres à dents de sabre, ptérodactyles) et d'autres éléments aussi excentriques (divinités surpuissantes et menaçantes, prêtresses sexys et maléfiques, cité technologique en rupture avec la nature luxuriante), on est pleine récit d'aventures.

Le dérèglement climatique brutal auquel est confronté la Terre Sauvage donne même un accent écologiste à l'histoire, mais ce ne sera pas, là non plus, la première fois, que Claremont utilisera une intrigue pour aborder les conséquences sur la nature des agissements de l'homme ou du surhomme.

Le troisième point intéressant qui distingue cet arc narratif, c'est la volonté manifeste d'accorder à chaque étape un grand moment à un membre de l'équipe. Il s'agit soit de pointer un personnage qui déclenche l'action (comme le Fauve dans les épisodes précédant ceux-ci), soit de glorifier un héros qui aura raison du méchant. Ici, c'est Cyclope qui, en affrontant Garokk l'Homme de Pierre, au sommet de sa cité, dans un duel de rafales optiques semblable à un duel d'épéistes dans un film de cape et d'épées, a la vedette.

L'issue du combat est cependant teintée d'une certaine émotion lorsque Tornade est incapable de surmonter son angoisse des espaces clos et donc de sauver Garokk. La victoire n'a donc rien d'éclatant, même si elle est spectaculaire.

Aux dessins, John Byrne prend de l'assurance avec une rapidité impressionnante. Sa représentation des décors est foisonnante, précise, et l'encrage de Terry Austin rend justice à la méticulosité de l'artiste.

Il commence aussi à s'approprier les personnages en modifiant quelques détails de leurs physionomie : par exemple, Wolverine a une pilosité de plus en plus abondante, ce qui souligne son aspect bestial. Byrne veille aussi à ce que les silhouettes des personnages permettent au lecteur de les reconnaître immédiatement : Diablo est maigre, toujours dans des poses acrobatiques (évoquant Spider-Man), Colossus est très grand et athlétique, Wolverine est trappu...

Le découpage reste classique, très sage, mais l'art du storytelling de Byrne est déjà affuté et cet académisme ne l'empêche pas de donner beaucoup de dynamisme aux scènes, en variant la dimension des plans notamment. Les quelques splash ou doubles pages qu'il s'autorise sont toutes fabuleuses.
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A noter que ces épisodes sont tous disponibles dans 
X-Men : L'intégrale (T.2) : 1977-1978
chez Paninicomics, en vf :

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