mercredi 5 février 2014

Critique 408 : DAREDEVIL BY MARK WAID, VOLUME 4, de Mark Waid et Chris Samnee


Daredevil by Mark Waid, volume 4, collecte  les épisodes 16 à 21 de la série écrite par Mark Waid et dessinée par Mike Allred (#17) et Chirs Samnee (#16, 18-21), publiés en 2013-2013 par Marvel.
La série entame, mine de rien, sa deuxième "saison" sous la direction de Mark Waid avec ces épisodes : 21 épisodes et un sans-faute (à l'exception des numéros dessinés par Koi Pham, une erreur de casting vite corrigée), par un scénariste qui a su s'approprier le concept du titre tout en conservant des éléments disposés par ses prédécesseurs. Mark Waid a ainsi revitalisé Daredevil de manière spectaculaire.

Le premier chapitre de ce recueil, l'épisode 16, explore la suite directe des évènements traversés parle héros lors de son séjour en Latvérie où les expériences du Dr Fatalis l'ont privé de ses sens. L'histoire est un hommage directe à L'Aventure intérieure de Joe Dante, avec Ant-Man qui se balade littéralement dans la tête de Daredevil pour détruire les implants électroniques que Fatalis y a installé, tandis que Tony Stark/Iron Man et le Dr Strange supervisent l'opération.
Au passage, Waid établit un parallèle (à ma connaissance) inédit entre les parcours personnels de Daredevil et Ant-Man, prémisse à une collaboration entre les deux héros qui sera exploité ensuite. C'est inattendu mais parfaitement bien vu, comme tout ce qu'a entrepris le scénariste depuis le début de son run (où il a surpris aussi en renouvellant la galerie des adversaires du héros). 
Puis on assiste à un coup de théâtre macabre et imprévisible lorsque Foggy Nelson met Matt Murdock devant le fait accompli : ayant trouvé quelque chose de compromettant sur sa santé mentale, il congédie son ami et partenaire de leur cabinet juridique. Waid semble indiquer qu'effectivement le personnage a bel et bien perdu la tête après des années de traumatismes.
L'épisode suivant (le #17) est un peu spécial : il revient sur un moment passé, au début de leur carrière commune, de Foggy et Matt, où l'on devine que ce qui les sépare aujourd'hui prend ses racines dans des tensions plus anciennes, malgré une forte amitié.
Pour l'anecdote, il faut savoir que le dessinateur Mike Allred avait exprimé dans le courrier des lecteurs de la série son enthousiasme par rapport à la contribution de Mark Waid, et c'est ainsi que Marvel, profitant du départ de l'artiste de chez DC (où il réalisait, avec Chris Roberson, la série I, zombie, pour le label Vertigo), lui a offert de participer à ce chapitre.
Waid a taillé un épisode sur mesure pour le style surréaliste d'Allred en convoquant Stilt-Man (l'Homme aux échasses), un des vilains les plus grotesques de la série. La bataille qui l'oppose à Daredevil occupe une bonne partie de l'histoire, mais son épilogue demeure touchante.
Il est alors temps de passer au plat de résistance de l'album avec un arc en quatre parties (#18 à 21), à nouveau illustré par Chris Samnee.


A la manière du récit qui vit s'affronter Daredevil à Mole-Man (l'Homme-Taupe) dans le volume 2, Mark waid orchestre un haletant suspense, riche en rebondissements, et qui emprunte volontiers au genre horrifique. 
L'argument que creuse le scénariste consiste à faire croire au lecteur mais aussi aux proches de Matt Murdock et à Daredevil lui-même qu'il perd la raison. C'est suffisamment bien fait pour qu'on n'ait pas envie d'y croire alors que tout le laisse penser, mené à un rythme d'enfer, avec le retour d'Ant-Man en guest-star, ou de l'assistance du procureur, Kirsten McDuffie, avec laquelle Matt flirte depuis peu, mais aussi la réapparition d'un ancien personnage issu des runs de Brian Bendis et Ed Brubaker.
Des apparitions, réapparitions et disparitions, il en est beaucoup question dans cette histoire où le méchant, Coyote (une nouvelle création, au design conçu par Paolo Rivera, très réussi), possède un pouvoir relatif à la téléportation, et dont Waid tire des effets très inventifs et affreux.
Jusqu'à présent, Daredevil semblait dans un déni complet des traumas qu'il avait vécus (et ce depuis les runs de Frank Miller, Ann Nocenti jusqu'à Bendis, Brubaker et Andy Diggle). Waid semait pourtant des indices discrets sur la possibilité qu'il ne les avait pas surmontés (comme quand il le montrait souriant dans une cage aux lions dans l'épisode 4 ou appréciant visiblement d'être devenu l'homme le plus dangereux du monde pour plusieurs organisations criminelles à la fin de l'épisode 6).
Pour précipiter la chute du héros, Coyote, par la main de Waid, organise la rupture de Murdock et Nelson, puis s'en prend à la pègre locale via le meurtre d'un de ses barons dont est accusée son innocente infimière, fait resurgir un être cher pourtant incapable d'être là où elle apparaît... Autant d'éléments qui dirige les soupçons de Daredevil contre un des premiers adversaires qu'il a rencontré depuis que Waid écrit ses aventures. Mais là encore, l'auteur réserve une surprise à son héros et ses lecteurs.
La confrontation finale entre Daredevil et Coyote est spectaculaire et jubilatoire à souhait, mais s'avère n'être qu'une étape supplémentaire dans ce qui est désormais clairement une saga plus ample, plus souterraine : nous devinons en effet que tous les ennuis que traverse "Tête à cornes" depuis son retour à New York et la reprise de ses activités de juriste et de justicier est une opération dirigée par un mystérieux comploteur. Comment ne pas avoir envie de connaître la suite (et fin) de cet acte ?

Encore une fois, Mark Waid et le dessinateur Chris Samnee délivre une leçon de narration avec ces épisodes palpitants et sombres, mais qui savent se détacher des imposantes ombres tutélaires de Miller, Nocenti, Bendis et Brubaker.
Ce qui distingue ce run des précédents, c'est justement un goût plus prononcé pour l'action, l'aventure, au-delà de l'influence "série noire". Cet arc en est la brillante démonstration avec ces éléments fantastiques intégrés à une intrigue perverse, ses effets savamment dosés qui empruntent plus aux codes traditionnels des super-héros qu'à ceux du polar déguisé par le folklore super-héroïque.
Une grande part du mérite de cette réussite est dûe à la contribution de Chris Samnee, qui produit un fantastique travail depuis son arrivée sur le titre (tout en permettant, au passage, à la série, d'avoir un artiste capable d'aligner plus de trois épisodes d'affilée - et ce en les dessinant mais aussi en les encrant, à partir d'un script écrit selon la méthode Stan Lee, soit un découpage très libre sur lequel sont ajoutés des dialogues). 
Une des raisons pour lesquelles je crois qu'on tient là un des meilleurs comics actuels, meilleur même que durant les épisodes illustrés par Paolo Rivera et Marcos Martin (qui, ne vous méprenez pas sur mon jugement, sont quand même deux très grands artistes), c'est qu'il existe entre Waid et Samnee cette alchimie qui fait les grandes séries, qui signe les grands runs : ils travaillent simplement mieux ensemble, ils donnent le meilleur d'eux-mêmes ensemble. Il s'agit davantage d'une synergie et d'une énergie produites par ces deux créateurs que d'une simple et belle collaboration comme lorsque Rivera et Martin accompagnaient Waid. C'est, disons-le, même si l'expression est un cliché, la magie de la bande dessinée en action  quand un auteur et un artiste sont si évidemment sur la même longueur d'ondes, le scénariste stimulant le dessinateur qui cherche à servir au mieux le script.
Le cliffhanger de l'épisode 21, qui clôt ce recueil, ajoute à l'impatience de découvrir la suite. Chaque épisode est bon (très bon même), rien n'est en trop mais rien ne manque, la piste que suivent les auteurs donne envie de connaître le prochain chapitre, la trame générale qui se révèle progressivement est très prometteuse. Que demander de plus - sinon que ça dure !

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