mardi 22 janvier 2013

Critique 371 : THOR - ROI DES ORAGES, de Kurt Busiek et Steve Rude


Thor : Roi des Orages (Godstorm, en version originale) est une mini-série en trois épisodes, écrite par Kurt Busiek et dessinée par Steve Rude, publiée en 2001-2002 par Marvel Comics (traduite en 2002 par Paninicomics, l'album comporte aussi un bref épisode issu de "Marvel Holiday Special", écrit par Tom De Falco et dessiné par Sal Buscema).
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En 912, sur les rives de la Mer du Nord, deux gamins, Wilf et Ullar, sont invités par un énigmatique vieux conteur à écouter ses histoires concernant l'aventure du chef de leur village, qui porte en pendentif un fragment du marteau Mjolnir de Thor. C'est en prêtant assistance à ces vikings contre les Berzerkirs que le dieu du tonnerre, toujours jalousé par son demi-frère Loki, affronta pour la première fois de Roi des Orages, une créature mythique et puissante.
Plus tard, membre des Vengeurs, Thor combat le Faiseur de Pluie, alias Jared Carstairs, éconduit par Maureen Scanlan, la fille du directeur de la chaîne télé où il travaillait comme présentateur du bulletin météo. Il allait devenir à son tour l'instrument de la vengeance de Loki qui l'investit des pouvoirs du Roi des Orages...
Mais pour aider les terriers de Midgard et le royaume d'Asgard contre un assaut des Trolls (complices de Loki pour s'emparer du trône d'Odin), Thor allait redoubler d'efforts et de vaillance contre cet adversaire peut-être plus fort que lui...
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Kurt Busiek fait partie de ces auteurs dont la connaissance des comics est encyclopédique en même temps que ses récits s'articulent souvent et d'abord à partir du point de vue de "l'homme de la rue", ou du moins des "simples mortels" spectateurs des actions des super-héros, ressemblant alors à des dieux. Il était le scénariste tout désigné pour raconter une histoire ayant pour protagoniste Thor, personnage divin que son père, pour lui apprendre l'humilité, envoya sur Terre en le transformant en un docteur infirme (Don Blake).
Dans cette mini-série prestigieuse, aux épisodes plus longs qu'à l'accoutumée (une trentaine de pages), on retrouve donc les signes distinctifs de Busiek : l'histoire a les allures d'un conte en plusieurs parties, ses auditeurs sont des adolescents, les humains sont à la fois les jouets et les victimes des dieux nordiques, les différents alias de Thor sont évoqués (Blake mais aussi Jake Olson, apparu durant le run de Dan Jurgens), et les thèmes de la transmission (orale par le récit, matériel avec le fragment de Mjolnir du pendentif, fantastique avec le pouvoir du Roi des Orages légué à Jared Carstairs) et du rapport entre fiction et vérité (l'identité véritable du conteur n'est révélée qu'à la toute dernière page du troisième acte et réserve une surprise qui donne une perspective malicieuse à ce qui a précédé) sont bien présents.
L'avantage indéniable de cette saga réside aussi dans sa forme réduite où excelle Busiek, auteur brillant, qui a a un sens de l'épique indéniable, mais qui peut aussi aboutir à des récits plus ou moins digestes quand ils sont très longs. Pour ma part, je préfère Busiek quand il s'astreint aux "short-stories", comme dans certains des volumes d'Astro City, ou comme ici, quand s'amuse avec les codes du genre avec un casting réduit sans sacrifier son goût pour les péripéties.
Par ailleurs, Thor : Roi des Orages ne manque pas d'un certain humour. La chute du dernier épisode, comme je l'ai mentionnée plus haut, indique que ces aventures sont elles-même narrées par un fin manipulateur, ce qui confère une ambiguïté savoureuse à l'ensemble. Mais surtout Busiek, en fin connaisseur des comics, a rendu un hommage teinté d'ironie aux bandes dessinées des années 60 avec un style volontiers naïf et ampoulée à la fois, comme les rédigeaient Stan Lee et Jack Kirby. On mesure à quel point la manière de raconter les histoires a évolué, le langage a mûri, mais aussi quel charme il s'en dégageait.

L'édition française comporte une brève histoire de 1991, écrite par Tom De Falco et dessinée par Sal Buscema, très dispensable. Dommage que Panini n'ait pas plutôt proposé les deux épisodes de l'album américain, dessinés par Mike Mignola, demeurés inédits chez nous...
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Et puis il y a Steve Rude. Admirez la longue séquence-clé ci-dessous, issue du premier épisode (Thor, et les premiers Vengeurs, affrontent le Faiseur de Pluie ; Odin rappelle son fils à l'ordre, Loki ourdit son plan diabolique, et le Roi des Orages resurgit...) :














Quelle classe, n'est-ce pas ? Si Busiek est un très bon scénariste, Steve Rude est lui un authentique génie, dont chaque page procure toujours la même forte impression. Dessiner Thor a dû être pour lui un rêve puisqu'il a souvent exprimé (en mots comme en images) son admiration pour le "King" Kirby, dont ce fut un des personnages fétiches.
Et pour honorer le maître, son meilleur disciple a finement adapté son style au sien, en adoptant un découpage similaire (gaufrier de six cases, splash-pages percutantes et bien dosées, effets explosifs superbement reconstitués), mais sans le singer. Car Rude, ce n'est pas faire injure à Kirby, a un coup de crayon bien plus fin et élégant (influencé par John Romita Sr et Russ Manning), qui lui permet de peaufiner des cases d'une richesse exceptionnelle (justifiant son rythme de production plus inégal) : la méticulosité de ses arrière-plans est époustouflante, la beauté de ses personnages, la justesse de leur expressivité (faciale et corporelle) bluffantes. On peut passer des heures à contempler ses images qui ne sont pas que jolies mais qui défilent avec une fluidité incroyable, comme les comics traditionnels en proposent peu.
Il est en plus cette fois encré par Mike Royer, qui fut un des collaborateurs fidèles de Kirby, et dont les tracés et à-plats noirs, la justesse de ses finitions, est également un enchantement (même si mal encrer Rude équivaudrait à du sabotage).
Ce graphisme extraordinaire fait de Thor : Godstorm une mini-série à part.
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Voilà un album à posséder absolument si vous aimez les bonnes bédés, les belles bédés, Thor, Busiek et surtout le trop rare Steve Rude.

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