mercredi 24 octobre 2012

Critique 356 : Fritz Leiber's FAFHRD AND THE GRAY MOUSER, de Howard Chaykin, Mike Mignola et Al Williamson

En 1991, Epic Comics, le label "adulte" de Marvel Comics, publie, à l'initiative de Carl Potts, une mini-série en quatre épisodes adaptée de sept histoires écrites par Fritz Leiber : Fafhrd and the Gray Mouser, connue en France sous le titre de Cycle des Epées (éditée chez Delcourt). 
Au sommaire, on trouve donc : I'll Met in Lankhmar (#1), The Circle Curse et The Howling Tower (#2), The Price of Pain Ease et Bazaar of the Bizarre (#3), et enfin Lean Times in Lankhmar et When the Sea King's Away (#4).
Les scripts sont rédigés par Howard Chaykin (qui avait déjà utilisé ces personnages dans les années 70 pour DC Comics), et les dessins sont signés par Mike Mignola (avant qu'il ne crée son comic-book Hellboy, lui-même inspiré par les romans de Leiber), encrés par Al Williamson.
La série complète a été réédité en un seul album en 2007 par Dark Horse Comics.
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- Dans la première histoire, deux membres de la Guilde des Voleurs de la cité de Lankhmar ramènent à la Maison des Voleurs un gros magot quand ils sont détroussés en chemin par deux fines lames qui ne s'étaient pourtant pas concertés. L'un est Fafhrd, un colosse nordique, roux et barbu, l'autre est le Gary Mouser, un jeune homme volubile, brun et séduisant. Ils décident d'être partenaires. En se présentant leurs fiancées et en apprenant que celle du Gray Mouser a survécu à une attaque des voleurs lors de laquelle sa troupe de comédiens a été tuée, les deux bretteurs entreprennent une expédition punitive contre la Guilde. Mais l'opération aura des conséquences dramatiques...

- Dans le deuxième histoire, les deux camarades quittent Lankhmar et parcourent le monde en quête de nouvelles aventures. Ils font alors pour la première fois connaissance avec le sorcier Sheelba.

- Dans la troisième histoire, ils découvrent une tour étrange dans le désert où vit un occultiste dément, effrayé par des loups, et qui les attire dans un piège.

- Dans la quatrième histoire, Fafhrd et le Gray Mouser, avinés, volent un pavillon de marbre blanc. Mais ils requiert pour cela l'aide des sorciers Sheelba et Ningauble. L'expérience va raviver de douloureux souvenirs...

- Dans la cinquième histoire, le Gray Mouser explore une incroyable boutique maudite d'où devra le sauver Fafhrd.

- Dans la sixième histoire, le Gray Mouser et Fafhrd se disputent et se séparent. Fafhrd rallie la cause d'un prêcheur annonçant la venue du mythique Issek à Lankhmar, tandis que le Gray Mouser devient l'homme de main d'un chef de racketteurs.

- Dans le septième et dernière histoire, ayant pris la mer, Fafhrd entraîne le Gray Mouser dans les profondeurs où une vieille légende raconte que réside le Roi des Mers. Il compte profiter de son absence pour coucher avec ses favorites et piller son trésor. Mais ils y risqueront plus qu'ils n'y gagneront, comme le craignait depuis le début le Gray Mouser...
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De 1936 à 1983, Fritz Leiber écrira les aventures de Fafhrd et le Souricier Gris dans sept livres, contenant des histoires de volumes divers, allant de l'épopée à la nouvelle. Ces deux personnages sont des archétypes, empruntant aussi bien aux figures de la chevalerie que des récits de cape et d'épée ou du fantastique type heroic-fantasy, ce sont à la fois des maîtres d'armes, des gentilhommes, mais aussi des coureurs de jupons, des chasseurs de trésor, des boit-sans-soif, aux tempéraments exhubérants et complémentaires, physiquement dissemblables mais toujours unis malgré des brouilles passagères.
L'album s'ouvre par une préface de Chaykin et se ferme par une postface de Mignola, qui expliquent tous les deux que Fafhrd et le Souricier Gris ont été des lectures de jeunesse qui les ont toujours passionnées et qu'ils rêvaient d'adapter en bande dessinée.
Longtemps, pourtant, malgré le prestige de ces adaptateurs, ces épisodes sont restés introuvables et ils n'ont dû leur réédition qu'au succés de Mike Mignola, qui les dessina peu de temps avant de créer Hellboy, en 1993. Il travailla par ailleurs, à la même époque, sur le titre Ironwolf (Fires of the revolution), déjà écrit par Howard Chaykin.
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Cette oeuvre atypique marque un tournant dans la carrière de Mignola et l'évolution de son style : il exerce de plus en plus son talent pour les ambiances ténébreuses, à grands coups de masses noires, s'éloignant progressivement du dessin classique réaliste, notamment pour représenter les visages et les corps, et évoquant plus qu'il ne les détaille les décors.
D'une certaine manière, il n'a pas encore cédé aux facilités développées dans Hellboy, et à cet égard, on ne le répétera jamais assez, il ne faut pas juger un livre à sa couverture, qui a été réalisée ultérieurement et ne rend pas compte des pages intérieures ici.
Grâce à son encreur, l'extraordinaire Al Williamson (qui sublima pareillement John Romita Jr sur Daredevil), Mignola va vers une épure certaine tout en bénéficiant de finitions soignées, avec des hâchures bien réparties, des visages expressifs et élégants, des décors minitieux lorsque c'est nécessaire.
Dans le premier épisode, qui est le plus abouti, c'est là que le tandem Mignola-Williamson est le plus appliqué, donnant à la cité de Lankhmar, ses quartiers, ses ruelles, une atmosphère et une identité remarquablement puissante. Les vêtements des personnages comme des figurants sont également exemplaires dans leur esthétique élaborée. C'est à la fois exotique, inquiétant, riche. Quand il s'agit de figurer les incantations d'un sorcier, les deux artistes trouvent des réponses graphiques très évocatrices, et les cascades et combats sont aériens, dynamiques.
L'histoire est classique mais menée sur un rythme soutenu.
Par la suite, Mignola s'emploie à inventer visuellement avec la même énergie d'autres paysages du monde de Newhon, avec une fortune diverse : parfois il propose des trouvailles fulgurantes, parfois il répéte des motifs auxquels il se contente d'apporter juste quelques modifications. Les intrigues sont inégales, même si Chaykin sait s'appuyer sur un duo de héros très sympathique, qu'on suit avec plaisir.
A la cinquième histoire, Chaykin, Mignola et Williamson retrouvent leur souffle en nous entraînant dans un fascinant et angoissant bazar magique. Le récit est une critique acide du consumérisme mélangée avec bonheur aux ingrédients de sorcellerie et d'aventures déjà exploités auparavant. Les décors sont magnifiques, et Mignola imagine des astuces pour rendre compréhensibles les tours utilisés par Fafhrd devant sauver son ami (comme la cape d'invisibilité ou le masque de vérité). 
La colorisation de Sherlyn Van Valkenburgh est également superbe, avec une texture particulière, des nuances subtiles qui se démarque des techniques de l'époque (n'oublions pas que la mise en couleurs informatique n'existait pas).
Les deux derniers récits sont aussi efficaces, l'un raillant les croyances de prêcheurs et les conversions de parvenus, l'autre dans un registre fantastico-féerique aux rebondissements échevelés.
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On l'aura compris, tout n'est pas excellent, mais l'ensemble est dépaysant, divertissant, et surtout admirablement dessiné par un tandem historique. Les prouesses de Mignola et Williamson rattrapent les maladresses de Chaykin - et quelques malentendus (Mignola ayant souhaité travailler sur d'autres histoires que certaines choisies par Chaykin).
Il aurait été agrèable qu'une collection d'épisodes compilés comme ceux-là soit accompagnés de bonus, pour apprécier encore plus l'adaptation. On trouvera quand même deux textes de Fritz Leiber (pour comparer sa prose avec ce qu'en a tiré le scénariste) à la fin.
Mais, en l'état, c'est un bel et bon album, dont la lecture procure des moments savoureux. 

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