mercredi 26 septembre 2012

Critique 350 : GUS, TOME 1 - NATHALIE, de Christophe Blain

Gus : Nathalie est le 1er tome de la série écrite et dessinée par Christophe Blain, publié par Dargaud en 2007.
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L'album est composé de cinq histoires, de longueur variable :

Nathalie (8 pages), met en scène Gus, recevant une lettre d'une jeune femme rencontrée quelques années plus tôt, lors d'une démonstration de ses talents au fouet, dont il s'est épris - mais cet amour semble être sans issue à cause des activités de voleur du héros et surtout parce que sa dulcinée est déjà en couple. Mais alors, pourquoi tient-elle à le revoir ?

  

- Gus, Clem, Gratt (11 pages), est une suite de saynètes sur le thème de la poursuite. Gus suit une jeune femme attirante à sa descente du train avant de la perdre de vue dans la foule. Gus attaque avec ses complices Clem et Gratt un train et pour s'échapper ensuite, détache la locomotive des wagons, mais leur course folle se termine par une chute vertigineuse dont ils sortent miraculeusement indemnes - et avec leur butin !

- El Dorado (34 pages) entraîne Clem et Gratt sur les pas de Gus qui leur a raconté avoir trouvé une ville capable d'assouvir toutes leurs envies. En route, Clem s'arrête chez sa femme, Ava, et leur fille, Jamie. Puis une fois dans cette fameuse cité, c'est une série de folles nuits où, pendant que Clem séduit une belle photographe prénommée Isabella, Gus et Gratt tentent aussi leurs chances avec plusieurs filles, avec plus ou moins de bonheur. Finalement, les trois cowboys quittent l'endroit, plongeant Clem dans une déprime teintée de culpabilité - car son infidélité a été découverte par un autre desperado...
- Linda McCormick (13 pages) est la maîtresse de Gratt, alors qu'avec Gus et Clem, il est devenu, suite à un improbable concours de circonstances, le shériff d'un pueblo. Deux problèmes se posent alors : d'une part, le mari de la dame est un juge réputé pour ses verdicts expéditifs, et d'autre part, Gratt est obsédé par ses performances sexuelles autant qu'il est indisposé par l'odeur de son amante...

- Isabella (12 pages) montre les trois outlaws qui ont trouvé une planque tranquille dans la campagne. Gus se pique de transformer cette cabane en un vrai foyer et investit dans la décoration avec une partie de l'argent de leurs vols. Gratt goûte rapidement à cette nouvelle vie tandis que Clem ne reste jamais bien longtemps, accaparé (dit-il) par sa femme et sa fille. En vérité, après avoir été débusqué par des chasseurs de prime, Gus et Gratt vont découvrir le secret de leur ami, en rapport avec leur séjour dans l'El Dorado...
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Entre deux tomes d'Isaac et les pirates et de Quai d'Orsay, Christophe Blain a cherché et trouvé un autre terrain de jeu où exercer son talent de narrateur : le western était tout indiqué pour sa vision décalée et décapante. Mais ne vous attendez pas à une visite convenue dans cet univers bien connu...   
Le Far West a toujours fasciné les auteurs européens (franco-belges mais aussi italiens) qui en ont tiré des histoires à la fois dramatiques, épiques ou parodiques - dans cette dernière veine, son plus célèbre exemple est et reste Lucky Luke par Morris (puis avec Goscinny, et d'autres scénaristes par la suite). C'est à l'évidence aussi la référence de Blain, en particulier la période où Morris écrivait et dessinait les aventures du cowboy qui tire plus vite que son ombre.
Mais, en lieu et place d'une intrigue classique, avec quelques gags, il a choisi une forme plus libre avec des récits à géométrie variable, dont le véritable thème, aussi bien narratif que visuel, est le mouvement.
Plus que les codes stricts du western, c'est au rapport des hommes et des femmes que s'intéresse Blain : pour en parler, il démonte les stéréotypes et met en scène trois pieds-nickelés aussi, sinon plus intéressés par la gente féminine que par leurs attaques de trains, de diligences ou de banques. Chacune de ses histoires est articulée autour d'une (ou plusieurs) figure(s) féminine(s) qui sont là pour mettre en évidence la gaucherie, la vantardise, les complexes de ces aventuriers aussi audacieux dans leurs entreprises criminelles que peu inspirés quand il s'agit d'amour ou de séduction.
Ce contraste produit des effets savoureux et souvent hilarants quand de durs-à-cuire, nos trois olibrius deviennent des drageurs plus ou moins efficaces, inégalement performants, rongés par le doute, complexés, embarrassés par leur relation, ou comme contaminés par l'envie de devenir de parfaites ménagères (irrésistible dernier épisode où Gus arrange leur cachette comme une fée du logis). 
Ils sont aussi touchants, Gus, Clem et Gratt, quand le romantisme les rattrape : Gus sincèrement épris par Nathalie, Gratt voulant rompre avec Linda sans être désobligeant, ou Clem honteux d'avoir trompé sa femme Ava mais entretenant une liaison secrète avec Isabella. 
Là encore, ils passent en vérité plus de temps à rêver à l'âme soeur qu'à aligner les conquêtes, et ce côté fleur bleue agit en contrepoint drôlatique à l'assurance décomplexée des femmes qu'ils croisent.

Graphiquement, Blain confirme son exceptionnel sens du mouvement, qui rappelle effectivement le Morris des débuts ou plus encore Franquin : ses héros semblent animés d'une bougeotte constante, et leur gestuelle est exagérèment soulignée pour mieux que lecteur saisisse cette espèce de fièvre.
Le découpage à la fois simple et formidablement percutant présente ces cowboys dans des décors réduits à l'essentiel, dans des vignettes au contour tracé sans règle, tremblantes presque, comme si l'artiste lui-même ne tenait pas en place, était pressé d'enchaîner avec l'image, la planche suivante.
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Avec Gus, Blain confirme bien qu'il est un des auteurs complets les plus passionnants et impressionnants de la scène française de la bande dessinée. 

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