samedi 21 avril 2012

Critique 321 : CAPTAIN AMERICA & BUCKY - THE LIFE STORY OF BUCKY BARNES, d'Ed Brubaker, Marc Andreyko et Chris Samnee



Captain America and Bucky : The Life Story of Bucky Barnes rassemble les épisodes 620 à 624 de la série Captain America, écrits par Ed Brubaker et Marc Andreyko et dessinés par Chris Samnee, publiés en 2011 par Marvel Comics.
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Qui est vraiment James Buchanan Barnes dit "Bucky", devenu le sidekick de Captain America durant la IIème Guerre Mondiale puis le Winter Soldier, agent de la Russie ? C'était d'abord un gamin turbulent, traumatisé par la mort de sa mère, puis séparé de sa soeur cadette après le décès de leur père. Son tempérament bagarreur le fait remarquer par un haut gradé de l'armée américaine qui l'envoie suivre une formation de commando avant de lui présenter Steve Rogers, le super-soldat Captain America, afin qu'il devienne son partenaire sur les champs de combat en Europe.

Il devient un des Invaders puis est déclaré mort après avoir tenté d'arrêter le Baron Zemo... Mais il est récupéré et conditionné par les russes qui vont en faire un tueur, le Soldat de l'Hiver. Il rencontrera alors la Veuve Noire, une espionne, dont il tombe amoureux. Jusqu'à ce que sa route croise à nouveau celle de Captain America et qu'il recouvre la liberté...
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Quand dans le 9ème épisode de Captain America, en 2006, Ed Brubaker confirme le retour de Bucky Barnes, il brise un des plus vieux tabous de la mythologie Marvel car le personnage faisait partie de ces morts qu'on ne ramène pas (ou alors de façon détournée et temporaire), comme Captain Marvel ou Gwen Stacy. Pourtant, aujourd'hui, avec le recul, et plus encore à la lumière de cet album, on mesure à quel point Bucky est le pivot du run de Brubaker.
Non seulement le scénariste a réussi le tour de force de réintégrer le personnage en satisfaisant les fans et les critiques, mais il a considérablement enrichi le passé de Bucky et a créé une sorte de nouvelle icone, peut-être la première depuis Elektra ou le Punisher, ce qui dans un univers aussi figé que les comics super-héroïques, où les nouvelles têtes (ou les anciennes remises à jour) recueillent peu de suffrages.
La série Captain America a vu, dans un premier temps, son héros apprendre que son co-équipier de la 2nde Guerre Mondiale n'était pas mort (seul Nick Fury était au courant) mais aussi qu'il était devenu un agent russe, tueur implacable au cerveau lavé. Au terme de leur premier face-à-face, grâce au cube cosmique, Bucky recouvrait la mémoire mais disparaissait à nouveau, hanté par son passé. Ensuite, il est devenu un second rôle, apparaissant épisodiquement dans tel ou tel arc, et cherchant d'abord à se venger de Crâne Rouge.
La "mort" de Steve Rogers à la fin de Civil War allait précipiter son véritable retour au premier plan en même temps qu'elle allait considérablement altérer les plans de Brubaker. La série Captain America vécut plusieurs mois durant sans son héros, sans voir ses ventes chuter (au contraire même), et simultanèment on voyait Tony Stark chercher un successeur à Rogers et Bucky vouloir récupérer le bouclier du héros disparu. Finalement, il devint, sans pour autant se soumettre, le nouveau Captain America. Mais dès le départ de cette nouvelle ére, il était visible que ce rôle allait être très (trop) lourd à porter.
Lorsque Rogers réapparut (avec la saga Reborn et durant le crossover Siege), celui-ci refusa pourtant de déposséder son partenaire de son nouvel alias. Mais piégé par le Baron Zemo (fils du premier) puis rattrapé par la justice russe, la carrière de Bucky comme Captain America arrivait à échéance. Pour le reste, cela s'est joué dans Fear Itself...
Ces cinq épisodes sont à la fois l'occasion de boucler le volume de Captain America avant son relaunch (consécutif à Fear Itself) et de dévoiler, littéralement et dans le détail, "l'histoire de la vie de Bucky Barnes". Ce qui était résumé dans ce fameux 9ème épisode de 2006 est ici développé afin d'éclaircir plusieurs points et d'opérer la liaison avec les récents évènements.
Ed Brubaker a collaboré avec Marc Andreyko (Manhunter chez DC) selon une méthode sans doute similaire à celle d'Immortal Iron Fist avec Matt Fraction : le premier a posé le synopsis auquel le second a ajouté les dialogues avant d'éventuelles retouches. Depuis, trois autres épisodes ont été ajoutés, co-écrits avec James Asmus et dessinés par Francesco Francavilla, mais ce recueil se suffit à lui-même.
Chaque chapitre est une étape dans le parcours de Bucky, de son adolescence au cours de laquelle il perd ses parents et est séparé de sa soeur à ses activités comme Winter Soldier et sa réhabilitation, en passant par le début de son partenariat avec Captain America, sa participation aux batailles avec les Invaders et sa découverte d'un camp de concentration.


Ce segment est sans doute le plus mémorable. D'aucuns estimeront que situer une aventure de super-héros dans l'endroit qui résume le plus durement la barbarie nazie n'est pas opportun. D'autres (dont je fais partie) pensent que la vocation des comics est aussi d'autoriser de telles scènes, non pour le simple divertissement, mais parce que la popularité du média peut également servir à instruire ses lecteurs. Il n'y a pas à polémiquer là-dessus tant que c'est écrit intelligemment et dignement, et sur ce point Brubaker et Andreyko sont irréprochables : il montre la stupéfaction, l'horreur et la colère qui s'emparent de Bucky quand il découvre les charniers puis les prisonniers et leurs geôliers - ce gamin à qui on appris à tuer et suivre les ordres, venu pour libérer un informateur, reçoit en pleine figure ce qu'il voit et on peut imaginer que son courroux est l'expression de son incompréhension (devant la cruauté des nazis, devant le fait que les alliés n'ont pas empêché la déportation, etc).
Juste avant la séquence à l'intérieur du camp, les scénaristes suggèrent encore plus efficacement ce qui va s'y jouer quand, dans une jeep, Bucky et Toro sont surpris de voir de la neige tomber... Avant de comprendre qu'il s'agit non pas de flocons mais de cendres, celles des détenus condamnés au four crématoire. Images à la fois glaçantes et puissamment évocatrices.
Cet épisode suffit à dire que cette histoire, sous son apparence entraînante, parfois amusante, est étonnamment cruelle et poignante car Bucky, tout du long, traverse de terribles épreuves (deuil, séparation, conditionnement). Le personnage en sort plus attachant et plus incarné que bien d'autres de ses confrères aux destins plus fantaisistes...
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Chris Samnee dessine les cinq épisodes avec sa classe habituelle : son art à quelque chose d'intemporel, à la fois classique et moderne, comme peuvent l'être les travaux de Marcos Martin (héritier de Ditko) ou Steve Rude (héritier de Kirby).
Son trait est expressif, fin, élégant, précis, sans fioritures, mais avec un sens éprouvé du découpage. On pense souvent à l'immense Alex Toth en vérité et, après le délicieux Thor the mighty avenger, il est évident qu'une grande carrière s'ouvre pour ce dessinateur à la fois productif et racé.
La colorisation soignée et intelligente, nuancée à point, de Bettie Breitweiser achèvera de séduire le lecteur.
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Une formidable collection d'épisodes par une équipe créative de premier plan : ne passez pas à côté, même si vous avez l'impression que vous connaissez déjà l'essentiel de cette histoire.

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