mercredi 29 février 2012

Critique 312 : DAREDEVIL, VOL. 1, de Mark Waid, Paolo Rivera et Marcos Martin


Daredevil, Volume 1 rassemble les épisodes 1 à 6 de la nouvelle série écrite par Mark Waid et dessinée par Paolo Rivera (#1-3) et Marcos Martin (#4-6 + la back-up du #1), publiée en 2011 par Marvel Comics.
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Rappel des faits : Devenu maître de l'organisation criminelle de la Main, Matt Murdock a, en nettoyant son quartier natal de Hell's Kitchen avec son armée de ninjas, affronté certains de ennemis (tuant même Bullseye) et quelques héros. Mais il était alors sous l'emprise d'un démon et, revenu à lui, a choisi de prendre le large (confiant son territoire à Black Panther).
De retour à New York après un passage au Nouveau-Mexique, il convainc son ami Foggy Nelson de rouvrir un cabinet d'avocats. L'objectif pour Murdock est double : renouer avec son métier de conseil juridique et restaurer son image de justicier...

Fred Van Lente (texte) et Marcos Martin (dessin)
résument les origines de Daredevil.

- Épisodes 1 à 3. Dessinés par Paolo RiveraDaredevil surgit lors d'une cérémonie de mariage dont les époux font partie de deux familles mafieuses de New York et empêche l'enlèvement d'un des invités en affrontant the Spot, un mercenaire.
En tant que Matt Murdock, il accepte ensuite de plaider la cause d'un certain M. Jobrani dans une affaire de violence policière et d'expropriation. La séance au tribunal se passe mal car l'avocat de la partie adverse insiste sur la partialité de Murdock et sa double vie de justicier. Foggy Nelson finit par lâcher le dossier mais Murdock sous le masque de Daredevil mène l'enquête et découvre que l'épicerie de son client abrite les machinations d'un super-vilain...
Entretemps, DD doit également faire face à Captain America, bien résolu à lui réclamer des comptes à propos de ses agissements passés.



4 planches de Daredevil # 1 dessinées par Paolo Rivera.

- Épisodes 4 à 6. Dessinés par Marcos Martin. Matt Murdock et Foggy Nelson se reconvertissent en conseillers juridiques pour coacher leur clients afin qu'ils puissent se défendre seuls, et donc éviter à la partie adverse de mentionner Daredevil. Plusieurs clients se succèdent, jusqu'à ce qu' Austin Cao, un jeune interprète aveugle, brutalement renvoyé de son entreprise après avoir surpris accidentellement une conversation entre clients, retienne l'attention de Murdock. 
En investigant, Daredevil découvre que plusieurs organisations terroristes sont en affaire avec l'ex-employeur de son client. Surpris, il doit affronter the Bruiser, mais il va mettre la main sur un précieux document...

2 planches de Daredevil #4 dessinées par Marcos Martin.
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Après le départ d'Ed Brubaker et Michael Lark et le run controversé d'Andy Diggle et Roberto de la Torre, Marvel choisit de suspendre la publication de Daredevil. Il ne s'agit pas seulement de préparer un relaunch (qui s'inscrira dans le cadre de l'opération "Big Shots" avec les relances de Moon Knight, par Brian Bendis et Alex Maleev, et du Punisher, par Greg Rucka et Marco Checchetto) mais aussi d'un aboutissement logique, qui a vu la série sombrer dans des lignes narratives de plus en plus sombres et extravagantes (surtout avec Diggle et son crossover Shadowland).
Parti de chez DC, Mark Waid accepte de reprendre les commandes du titre mais  en lui insufflant un nouveau souffle, une direction inattendue : il faut sortir Daredevil de cette spirale infernale et en (re)faire une bande dessinée d'action, bref rompre avec "l'école" Frank Miller (perpétuée avec Bendis et Brubaker) et renouer d'une certaine façon  avec l'époque Ann Nocenti. Plus encore, c'est aux origines historiques de la série que Waid veut faire référence, à l'époque où Stan Lee avec Bill Everett et Wallace Wood pilotaient l'Homme sans peur.
Il ne s'agit pas de transformer Daredevil en comédie super-héroïque ou en pseudo-Spider-Man, mais d'y réinjecter de la légèreté. Ainsi, après tous les coups durs qu'il a endurés, Matt Murdock change d'état d'esprit : plutôt que subir, il redevient pro-actif et optimiste (quand bien même il accepte que Foggy Nelson considère cette attitude comme du déni), et il se sert de Daredevil pour mener l'enquête sur les clients de Murdock, qui décide de devenir un conseiller juridique parce qu'il ne peut plus plaider sereinement. C'est très habile. Mais ce n'est pas tout.
En effet, Waid n'a pas effacé les évènements relatés par Bendis, Brubaker et Diggle : il y fait des allusions discrètes mais claires, comme lorsque Daredevil est appréhendé par Captain America - leur face-à-face laisse la situation en suspens, l'avenir nous dira si Waid y reviendra (Bendis a, lui, déjà décidé d'intégrer DD aux Nouveaux Vengeurs, dans la tourmente de Fear Itself - Waid avait d'ailleurs exprimé que si son héros devenait un Vengeur, sa réhabilitation serait plus rapide).
Ensuite, le scénariste renouvelle la galerie des ennemis de l'homme sans peur : il a décidé d'écarter (pour longtemps à l'en croire) les ninjas et le Caïd. Dans la première histoire, c'est Klaw, le maître du son, qui est opposé à DD ; dans la seconde, c'est un catcheur colossal à la solde de plusieurs organisations criminelles : dans les deux cas, ces adversaires permettent à Waid d'exploiter les super-sens de son héros, en particulier son radar (très ingénieusement quand il est jeté dans l'eau, par exemple, ou face à the Spot). En tout cas, on a affaire à des ennemis atypiques mais retors, qui démontrent que, même si la série est plus bondissante, elle ne ménage pas sa vedette.
Waid insiste beaucoup, mais toujours intelligemment, sur le fonctionnement des pouvoirs de Daredevil et ses relations avec son entourage "normal", introduisant même un nouveau personnage avec l'assistante Kirsten McDuffie et sa colocataire (dont on devine qu'elles vont accompagner sentimentalement Murdock et Nelson). Ces directions trouvent un écho remarquable dans leur représentation visuelle, mais ont d'abord pour qualités de redonner de l'air frais à la série, où alternent, à parts égales, les combats traditionnels et les rapports humains (sans qu'ils soient forcèment dramatiques).
L'auteur prouve que, lorsqu'il est vraiment inspiré, il n'a guère de rivaux pour régénèrer un titre, comme à la glorieuse époque où (avec Mike Wieringo) il avait écrit Fantastic Four.
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Visuellement donc, cette nouvelle version est un régal, même si elle tranche radicalement avec ce à quoi Maleev ou Lark nous avaient habitués.
Paolo Rivera et Marcos Martin ont des styles distincts, mais complémentaires (hélas ! Martin a quitté la série après ses trois épisodes). Paolo Rivera (qui est encré par son père, Joe) a un trait appliqué, à la ligne claire, où on retrouve son souci du détail, de la justesse et de la lisibilité : à la fin du recueil, une interview de l'artiste et une de ses planches permet d'apprécier la méticulosité dont il fait preuve (et par conséquent pourquoi il ne peut pas enchaîner plus de trois épisodes d'affilée). On pense à Everett et Wood, et ce n'est pas un petit compliment.
Marcos Martin se montre peut-être moins étincelant que dans ses épisodes de Spider-Man, même s'il propose quelques trouvailles épatantes. Néanmoins, l'expressivité de ses personnages, la souplesse de ses découpages et l'élégance de son trait font merveille. Plus encore, il joue énormèment sur la représentation du son et parvient ainsi à traduire avec force le script de Waid.


trois planches de Marcos Martin (Daredevil #3). 
Les couleurs de Javier Rodriguez et Muntsa Vicente sont très vives, confirmant la luminosité nouvelle, l'entrain et le plaisir contagieux du héros. C'est audacieux mais parfaitement accompli.

Un choix de couleurs volontairement plus "flashy" (Daredevil #6.)
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Le pari de Mark Waid était risqué, sa réussite n'en est que plus éclatante. A la fin de ces six premières issues, la situation de Daredevil est redéfinie et promet des développements accrocheurs. Par conséquent, ne manquez pas ce relaunch qui s'impose déjà comme une des meilleures productions Marvel du moment.

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