samedi 28 janvier 2012

Critique 306 : MESSIRE GUILLAUME, L'INTEGRALE - L'ESPRIT PERDU, de Gwen De Bonneval et Matthieu Bonhomme


L'esprit Perdu rassemble en un seul volume l'intégralité de la série Messire Guillaume, initialement publiée en trois tomes. Le scénario est écrit par Gwen De Bonneval et les dessins sont signés Matthieu Bonhomme. L'ouvrage est édité par Dupuis.
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Le jeune Guillaume vit avec sa soeur Helis depuis la mort, récente mais survenue dans d'étranges circonstances, de leur père. Sa mère se remarie avec un Seigneur peu aimable, Brifaut, qui oblige toute la famille à déménager. Hélis est convaincue que son père cherche à communiquer avec elle depuis l'au-delà, peut-être pour lui révèler comment il est mort, et décide de fuguer pour partir à sa recherche. Guillaume se lance, sans prévenir personne, à sa recherche. Il s'engage alors dans un long périple, croisant le chevalier Brabaçon, le troubador Courtepointe amoureux de la tante de Guilluame, la belle magicienne Ysane, et rencontrant, dans le monde médiéval et ailleurs, de multiples créatures et d’excentriques personnages.
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Cette réédition/compilation est d'abord un beau livre : rebaptisé L'Esprit Perdu, l'Iintégrale de Messire Guillaume a fait l'objet d'un reformatage à l'italienne, avec des demi-planches en largeur, qui permet d'apprécier pleinement l'écriture de Gwen De Bonneval et le graphisme de Matthieu Bonhomme (en noir et blanc, débarrassé des couleurs quelconques de Walter).
Le casting de la série : (de gauche à droite) Brifaut, Brabaçon, 
Hélys, Courtepointe, Guillaume, sa mère, et sa tante Anyse. 

Le récit s'ouvre sur des planches muettes, dans un paysage sauvage saisi en pleine nuit puis à l'aube : on est tout de suite happé par cette introduction intriguante et visuellement superbe, qui possède une atmosphère mystérieuse. Gwen De Bonneval ne perd pas de temps pour nous entraîner dans son aventure en posant rapidement les enjeux de l'histoire : une soeur en fuite, une famille préparant son déménagement, une région menaçante, un beau-père inquiétant, un père décédé qui appelle ses enfants depuis l'autre monde, son plus jeune fils décidant de fuir à son tour et rencontrant très vite des embûches...
Alors que Guillaume progresse dans sa quête, il fait la connaissance d'un chevalier dans un village pillé et incendié, dont tous les habitants ont été tués. Ce n'est pourtant que le début d'une épopée qui va devenir de plus en plus étrange, glissant dans le fantastique, avec son lot de créatures étranges, de royaumes fantaisistes, de paysages hostiles.
Le scénario convoque des éléments mythologiques (comme le griffon), folkoriques (comme les territoires médiévaux, le troubadour, le chevalier) et fantasmagoriques (des humanoïdes sans tête mais avec le visage sur le torse, la cour d'un prêtre dont la vanité l'aveugle, des dauphins parlants, une version carcérale de l'enfer...).
En vérité, à mesure que l'on avance dans ce voyage, on comprend que le trajet est plus important que sa destination, que l'on assiste à un récit initiatique, où la résolution du mystère de la mort du père compte moins que la manière dont ce décés affecte ses enfants (Guillaume trouvant l'apaisement, contrairement à Hélys, Brabançon trouvant l'amour...).  
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Le livre est impressionnant par la représentation de son univers. Le périple est magnifié par le dessin splendide de Matthieu Bonhomme : son trait est à épuré, précis, expressif, contrasté (lumineux le plus souvent, mais aussi avec des jeux d'ombres nuancés), réhaussé par des coups de crayon, parfois estompés, qui donnent une texture, une matière magnifique à l'image. 
L'imagination du dessinateur pour les paysages (la campagne entre l'automne et l'hiver, le désert, la mer, les châteaux), les créatures (aux physionomies très élaborées et variées), et la justesse de ses personnages humains, est mise valeur par un extraordinaire découpage, avec des effets de travellings d'une remarquable fluidité. Le résultat est si abouti que le reformatage à l'italienne semble révèler que l'histoire a été conçue pour lui.
On dévore les 290 pages de cet album en en percevant leur densité et leur rythme. 
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Un seul bémol peut être émis : bien qu'on s'attache sans difficulté aux protagonistes et à son héros en particulier, que l'enchaînement des péripéties ne faiblit jamais, sa quête suscite une attente dont on devine qu'elle ne sera pas tout à fait comblée. En effet, dans sa dernière partie, la vérité sur la mort du père et l'ultime hommage de ses enfants n'ont peut-être pas le relief escompté, ce dénouement n'a pas la magie des situations qui l'ont précédé, comme si De Bonneval avait voulu trop ostensiblement éviter le morceau de bravoure.
Mais cela ne suffit pas à gâcher le grand plaisir qu'on a eu à suivre cette aventure, à la fois sensible, épique et atypique, rédigée avec efficacité et illustrée avec maestria.

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