samedi 31 décembre 2011

Critique 298 : 5 RONIN, de Peter Milligan et Tomm Coker, Talibor Dalajic, Laurence Campbell, Goran Parlov, Leandro Fernandez

La couverture du recueil
(illustration de John Cassaday et Laura Martin
Les 5 Ronins - de gauche à droite : Deadpool, Wolverine,
Hulk, le Punisher, Psylocke (illustrations de David Aja).

5 Ronin est une mini-série de cinq épisodes publiée en 2011 par Marvel Comics. Le scénario est écrit par Peter Milligan et les dessins sont signés par Tomm Coker (Wolverine), Dalibor Talajic (Hulk), Laurence Campbell (Punisher), Goran Parlkov (Psylocke) et Leandro Fernandez (Deadpool).
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5 Ronin est un projet atypique, un recueil d'histoires curieux et original. L'idée a été lancée par l'éditeur Sebastian Girner, passionné par le Japon, et mise en forme par le scénariste Peter Milligan, lui-même fan du cinéaste Akira Kurosawa et de son chef-d'oeuvre, Les 7 Samouraï.
Imaginer des versions de cinq personnages iconiques transposés dans le Japon féodal du XVIIème siècle permet de les revisiter, détachés du terreau fantastique propre aux comics super-héroïques tout en conservant ce qui fait l'essence de chaque héros : Wolverine le tueur, Hulk le monstre, le Punisher le vengeur, Psylocke la métisse, et Deadpool le fou.
En 1600, le Japon est également à la croisée des chemins : une ére est sur le point de se conclure (l'époque féodale), une autre va débuter : dans ce contexte incertain, lié par une cause commune, cinq personnages vont eux-mêmes être obligés de faire des choix existentiels déterminants.

Peter Milligan n'a pas choisi cette date par hasard, comme il l'a précisé en interview : en 1600 eût lieu une bataille sanglante et décisive à Sekigahara, entre clans de l'Ouest et de l'Est du Japon. Au terme de cet affrontement, la répartition des provinces fut établie. C'est donc un carrefour historique, une époque violente, qui sert au scénariste de métaphore pour parler de notre propre époque, également troublée par des guerres de civilisations, de cultures, de philosophie, de suprémacies.

Le choix des cinq personnages ne doit rien non plus au hasard : il s'agit évidemment de héros-phares dans l'univers Marvel, mais qui ont en commun un aspect "borderline", et dont l'auteur a respecté l'esprit tout en les privant de leurs caractéristiques paranormales habituelles.
Chaque épisode se concentre sur l'un des protagonistes, mais leurs histoires sont interconnectées : à chaque chapitre, le lecteur découvre des éléments supplémentaires sur l'origine de l'intrigue et la situation des 5 ronins. Ils ont tous des problèmes particuliers à résoudre mais ces problèmes puisent à la même source : Daimyo, un chef de guerre, a ruiné leurs vies, en les privant de leur maître, de leur humanité, de leur famille, de leur dignité, de leur raison, au cours de la bataille de Sekigahara.
Une planche de Wolverine par Tomm Coker.

Le premier épisode ouvre de manière percutante la série avec Wolverine, qui a perdu son maître dans la bataille. Milligan trouve une astuce très habile pour évoquer les pouvoirs du mutant griffu : ses griffes sont remplacées par des lames attachées à un bracelet, et son invulnérabilité par le fait qu'il a plusieurs frères jumeaux, laissant supposer à celui qui en croise un qu'il s'agit du même guerrier.
Wolverine retrouve l'un de ses frères ayant pris le parti du chef Daimyo au point de tuer un de ses jumeaux. L'atmosphère étrange et troublante du récit, soutenu (comme les autres épisodes) par une voix-off suggestive et sobre, est une réussite, les scènes d'action sont fulgurantes et sans complaisance. Milligan nous accroche immédiatement.
Les dessins de Tomm Coker contribuent remarquablement à l'intensité du récit dans un style photo-réaliste. L'effort apporté aussi bien aux designs des costumes qu'à la reproduction des décors est exemplaire.

Une planche de Hulk par Dalibor Talajic.

Le deuxième épisode est encore plus original, peut-être le plus déroutant de la série : en effet, la version que Milligan donne de Hulk est certainement la plus inattendue. Il en a fait un moine, retiré du monde sur une montagne, après avoir activement participé au massacre de la bataille de Sekigahara : la cruauté et la brutalité dont il fit preuve ce jour-là l'a horrifié au point qu'il se consacre désormais à une vie de méditation. Lorsque le village voisin sollicite ses services de guerrier pour repousser une nouvelle attaque des troupes de Daimyo, il hésite à accepter par crainte de réveiller la bête au fond de lui.
David Aja, qui a participé aux designs des personnages, avait, comme on peut le voir dans les bonus de l'album, d'abord imaginé donner à ce Hulk l'aspect d'un lutteur sumo (peut-être en souvenir de Fat Cobra, une des Armes Immortelles des 7 Capitales Célestes, qu'il avait dessiné durant son run sur Immortal Iron Fist). Finalement, Dalibor Talajic a imposé une silhouette d'ascète au personnage, totalement méconnaissable par rapport au Hulk classique ou même à son alter ego Bruce Banner.
Mais l'idée est séduisante et efficace, tout comme la traduction du dilemme moral qui se pose au personnage est très bien rédigée.
En outre, on voit à nouveau apparaître Deadpool, après le segment consacré à Wolverine, devenant le fil rouge de la saga tout en conservant son mystére.
Une planche du Punisher par Laurence Campbell.

Le Punisher devait faire partie de l'aventure 5 Ronin... Mais à la vérité, l'évidence de sa présence rend aussi son emploi trop conventionnel et il faut bien avouer que c'est le chapitre le moins intéressant de l'histoire. Milligan n'a rien à changer aux origines classiques du personnage pour l'intégrer dans le projet : ici comme ailleurs, le Punisher va régler ses comptes après que sa famille ait été massacré par, non plus des mafieux, mais des soldats de Daimyo.
Sa vengeance est implacable, son déroulement sans surprise.
Laurence Campbell opte pour un découpage à la fois radical et paresseux, uniquement composé de vignettes horizontales, cinq bandes par page en moyenne. Ce qui pourrait aboutir à un séquençage nerveux ne produit souvent que des plans trop sombres, sans décor, où les couleurs de Lee Loughridge (qui occupe ce poste sur tous les épisodes, sauf le premier où il est remplacé par Daniel Freedman), elles-même majoritairement sommaires, soulignent les défauts de ces partis-pris.
C'est la seule fausse note de l'entreprise - sans doute qu'un personnage moins prévisible aurait été préférable, ou alors avec un traitement plus étonnant.
Une planche de Psylocke par Goran Parlov.

Heureusement, avec l'épisode consacré à Psylocke, Milligan et son nouveau partenaire, Goran Parlov, rattrapent le coup. La cousine du Captain Britain classique est devenue une jeune femme prostituée après la mort de son père, tué par Daimyo, et s'emploie à devenir la fille de joie la plus convoîtée de Yoshiwara afin que son ennemi l'appelle chez lui. Ce projet de vengeance est pervers et déplace subtilement le récit en y introduisant de la sensualité.
C'est aussi le chapitre où deux personnages ont une relation plus rapprochée et consistante puisque Psylocke et Wolverine s'y rencontrent longuement - cette rencontre va d'ailleurs considérablement altérer la conviction de la jeune femme.
Parlov, disciple de l'école italienne des fumetti, donne à ses pages un dynamisme qui tranche avec les autres artistes, délaissant la stylisation au profit d'illustrations plus classiques. Mais sa Psylocke est dôtée d'une beauté à la hauteur de la magnifique couverture d'Aja. 
Une planche de Deadpool par Leandro Fernandez.

Le dernier chapitre met en scène Deadpool, le mercenaire fou : il est apparu dans les segments précédents, tantôt simple figurant, tantôt acteur décisif, mais ici, on découvre qu'il a fait partie de l'armée de Daimyo. Abandonné et laissé pour mort par son maître sur le champ de bataille, il a perdu la raison - au point d'aller défier son ancien chef dans son domaine.
Au duel attendu proprement dit, Milligan n'accorde pas une importance démesurée : il le met en scène d'une façon expéditive, suggestive, en le dialoguant magistralement. Une fois ce face-à-face liquidé, comme il l'a déjà fait précédemment, le scénariste a recours à un flash-back pour resituer le personnage et son cheminement. Il traite avec subtilité la folie de son héros, et lui fait croiser Wolverine, tandis qu'auparavant Psylocke est apparue et que Hulk tente (en vain) de raisonner le Punisher. Si les 5 ronin ne se rencontrent pas tous, leur présence simultanée dans le même périmètre à la fin de l'aventure est amenée avec naturel, et la conclusion du récit est très bien rédigée.
Leandro Fernandez (l'autre designer le plus actif du projet, avec Aja) livre des planches à la fois épurées et soignées.
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Recueillie dans un bel album hardcover, regorgeant de bonus (sketches, couvertures - somptueuses - de David Aja, variant covers...), cette mini-série est un de ces projets insolites que Marvel serait bien inspiré de produire plus souvent. A quand un "5 Cowboys", "5 Knights", ou "5 Soldiers" ?

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