samedi 10 décembre 2011

Critique 293 : CAPTAIN AMERICA 10 - THE TRIAL OF CAPTAIN AMERICA, d'Ed Brubaker, Daniel Acuña et Butch Guice

Captain America, book 11 : The Trial of Captain America rassemble les épisodes 611 à 615 de la série, écrits par Ed Brubaker et dessinés par Daniel Acuña (#611) et Butch Guice (#612-615), publiés en 2010-2011 par Marvel Comics.
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Depuis que Bucky Barnes a endossé le costume et le nom de Captain America, il a pu mesurer la difficulté d'une telle responsabilité en devant gagner le respect de l'opinion publique, des Vengeurs, et en affrontant les ennemis de Steve Rogers. Sa dernière bataille en date l'a opposé au fils du Baron Zémo, qui l'a habilement piégé en dévoilant publiquement son passé de tueur à la solde de services secrets russes sous le pseudonyme du Soldat de l'Hiver.
Cette révèlation séme rapidement le trouble au sein des Vengeurs (seuls Rogers, Tony Stark, le Faucon et la Veuve Noire étaient au courant), dans les médias et la population. Le président des Etats-Unis est obligé de plier et exige de Rogers que Barnes comparaisse devant un tribunal pour décider s'il a agi pour le KGB en étant conscient de ses actes ou en étant manipulé mentalement. Bucky accepte d'être jugé par souci d'apaisement et pour faire face à son passé.
Mais l'affaire se corse lorsque le nouveau Master Man aide Sin, la fille de Crâne Rouge, à s'évader de l'asile psychiatrique où elle est internée, pour attirer Bucky dans un traquenard qui achèvera de brouiller sa réputation...
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Cette histoire se déroule avant la saga Fear Itself, durant laquelle le sort de Bucky Barnes connaît un tournant encore plus décisif. Mais ces épisodes, parmi les derniers avant le relaunch de la série (il reste encore un arc), indiquent déjà la direction qu'Ed Brubaker souhaitait imprimer à son héros et ses aventures.
On peut même affirmer que ce qui se joue dans Fear Itself pour Bucky a été inéluctable car Brubaker n'a jamais ménagé son personnage depuis qu'il l'a ressucité au tout début de son run sur la série.
Le tour de force du scénariste aura certes été d'oser ramener, avec succès (aussi bien critique que commercial et en gagnant les fans à son idée), le sidekick de Steve Rogers, mais si l'on y réfléchit bien, ce retour a été jalonné d'obstacles : d'abord amnésique, Bucky a dû ensuite naviguer en eaux troubles (avec la complicité de Nick Fury, lui-même dans le maquis) pour se venger de ceux qui l'avaient manipulé, puis il a perdu son mentor (après Civil War) et s'est employé à récupérer son symbole. Cela l'a conduit à négocier avec Tony Stark, à l'époque devenu le super-flic des Etats-Unis, et a hériter du rôle de Captain America. Puis, comme tous les héros, il a agi dans la clandestinité durant le "Dark Reign" avant de retrouver Rogers durant le Siege d'Asgard. Confirmé à son poste, il a alors dû empêcher un fou furieux surgi du passé de salir le symbole de Captain America, et finalement c'est le fils du Baron Zémo (façon cruelle de boucler la boucle dans un parcours d'héritier) qui a précipité sa chute.
Ed Brubaker a donc insisté, particulièrement depuis que Bucky est devenu Captain America, sur le doute : doute du personnage à être digne de ce rôle, doute de ses partenaires et de son mentor à remplir sa tâche, doute de l'opinion devant ce remplaçant, et maintenant doute concernant son passé. Bucky n'est en quelque sorte revenu que pour mieux tomber et le fait qu'il soit jugé, en bonne et dûe forme, était donc inévitable (même si son calvaire n'est pas terminé).
Bien sûr, on peut juger que cette déchéance était programmée pour préparer le retour de Rogers au premier plan et que le plan de Brubaker a suivi celui d'une logique plus commerciale que purement artistique. Mais Brubaker a été le premier surpris, comme il l'a avoué en interview, du succès du retour de Bucky et de sa promotion, Rogers ne devant pas être "mort" si longtemps. Il est, de fait, parvenu avec Bucky à (re)créer un personnage de premier plan, apprécié du public et de la critique, alors que Marvel (comme DC) n'a guère créé de nouvelles icones depuis longtemps (chez Marvel, il faut remonter à Deadpool, et avant Elektra, le Punisher ou Wolverine).
Dans cet arc, Bucky est donc traduit en justice et son cas divise : qu'il ait été manipulé dans le passé ne fait pas de doute, mais il a commis des actes répréhensibles indéniables, qui le rendent indigne de porter le nom et l'emblême du pays qu'il représente désormais. Au procés proprement dit, Brubaker accorde une place honorable, sans plus, en insistant surtout sur les témoignages à charge - c'est un peu dommage et étrange, car on pouvait attendre un défilé d'amis de l'accusé. En parallèle, les manigances de Sin et de Master Man sont presque plus conséquentes, mais, curieusement, le dénouement manque d'intensité. Le vrai final a lieu à la toute dernière page avec un rebondissement à la fois sombre et accrocheur.
Il est évident que Brubaker a déjà son plan pour après Fear Itself (et l'annonce d'une série Winter Soldier en 2012 l'a depuis confirmée), mais il a eu à coeur de boucler proprement le dossier avant le relaunch (avec le retour de Rogers au premier plan et renumérotation à la clé - dans le droit fil de l'adaptation cinéma de 2011). Du coup, tout ça manque un peu de nerf et de surprise, sans être désagrèable à lire, mais confirme quand même que la période Bucky/Cap n'aura pas été si forte que prévue.
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La partie graphique de la série semble également témoigner du flottement ambiant. En gros, depuis l'époque Epting-Perkins (le début du run de Brubaker donc), tout en conservant une qualité enviable, le titre manque de stabilité esthétique.
Récemment, l'arrivée de Butch Guice lui a redonné du souffle et de l'allure : l'artiste signe ici quatre des cinq épisodes de cet arc et son style enlevé, dynamique et racé, fait merveille. Dommage cependant qu'il n'ait pas à sa disposition un encreur régulier : si Stefano Gaudiano l'épaule efficacement, Mark Moralés (un "ligneur" plus classique et rigide) lui convient moins, et les concours parsemés d'autres partenaires (comme Tom Palmer, Rick Magyar) produisent des effets parfois maladroits.
L'espagnol Daniel Acuña réalise le premier épisode, dans son registre habituel, très coloré, et surprenant pour une série qui a toujours cultivé les ambiances sombres, entre série noire et spy-stories. Appliqué à une histoire particulière, cela n'aurait pas été si troublant, mais là, c'est un peu déplacé.
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Un arc irrégulier, à l'image de la série, en quête d'un deuxième souffle.

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