jeudi 8 décembre 2011

Critique 292 : LES SENTIERS DE LA PERDITION, de Max Allan Collins et Richard Piers Rayner

Les Sentiers de la Perdition (Road to Perdition en vo) est un récit complet écrit par Max Allan Collins et dessiné par Richard Piers Rayner, publié en 1998 par Paradox Press, un label de DC Comics, et traduit en 2002 par Delcourt.
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Dans les années 30, Michael O'Sullivan est le plus efficace et fidèle tueur du caïd John Looney. Marié et père de deux fils, celui que l'on surnomme "l'ange de la mort" fait le plus souvent équipe avec Connor, le fils unique de Looney, un désaxé, maniaque de la gachette.
Une nuit, ils vont "raisonner" un des associés de Looney père mais la situation dégénère et s'achève dans un bain de sang dont est témoin un des fils de O'Sullivan, Michael Jr. "L'ange" obtient de Connor qu'il lui laisse la vie sauve, se portant garant qu'il ne parlera à personne de ce qui s'est passé.
Pourtant, John Looney trahit son tueur en l'envoyant régler une affaire, profitant de son éloignement pour faire tuer par Connor la femme et l'autre fils de "l'ange". Seul Michael Jr survit et va dès lors accompagner son père dans une terrible vendetta. Dans un premier temps, la mafia, Al Capone le premier, décide de protéger les Looney pour préserver leur business, mais O'Sullivan est déterminé et implacable. Il négocie même avec le FBI et Elliott Ness pour faire tomber son ancien patron, concentrant ensuite ses efforts pour localiser Connor et le supprimer...
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J'avais lu une première fois ce roman graphique il y a quelques années et le résultat m'avait impressionné. Puis j'ai ensuite découvert l'adaptation cinématrographique dont il a fait l'objet en 2002, réalisée par Sam Mendes (American Beauty), avec Tom Hanks, Paul Newman et Jude Law (transposition décevante, disons-le).
La relecture de cet ouvrage volumineux (plus de 280 pages) était l'occasion de vérifier mon sentiment initial, et je n'ai pas été déçu, appréciant sans doute mieux certains éléments, après avoir "digéré" de nombreux romans policiers et beaucoup d'autres bandes dessinées depuis.
Le scénariste Max Allan Collins est un auteur aguerri à la série noire : né en 1948, il a signé quantité de romans, "novellisations" et scripts pour le 9ème art, mais Road to Perdition (titre plus pertinent et riche que sa traduction française puisque Perdition évoque aussi bien le destin du héros que le village où habitent ses beaux-parents, lieu qui verra la conclusion du récit) reste sans doute son ouvrage le plus connu. Il a d'ailleurs ajouté deux spin-off à ce tome, avec la collaboration au dessin de José Garcia-Lopez et Steve Lieber.
La narration est un modèle de nervosité et d'âpreté : découpé en trois chapitres (de presque cent pages chacun), le récit est d'abord un long réglement de comptes, abondant en gunfights spectaculaires. La trame est donc simple et ne se perd pas dans une intrigue complexe, son laconisme la rapproche en fait d'une autre adaptation récente de romans noirs, celle de Parker de Richard Stark par Darwyn Cooke (où l'on retrouve la même structure d'un loner contre une organisation entière).
Néanmoins, cette épure ne fait pas l'économie d'une ambiance très soignée et intense, souvent nocturne, sous la pluie ou dans des paysages enneigés, se partageant entre des séquences urbaines ou dans la campagne proche du western de l'Amérique des années 30. D'ailleurs, Road to Perdition pourrait très bien être un western ou récit médiéval à cause de son aspect brut de décoffrage, quasiment intemporel.
L'atmosphère se fait presque fantastique quand on songe à la manière dont O'Sullivan réussit à se sortir de toutes les fusillades qu'il provoque : il n'est pas tant invulnérable (comme le dit son fils, le narrateur, ce n'est ni un saint ni un boucher, mais un homme rongé par le doute, profondèment religieux) que transcendé par sa mission. Ce type de personnage ne peut qu'évoquer les silhouettes spectrales et impitoyables campées au cinéma par Clint Eastwood, dans des classiques comme L'Homme des Hautes Plaines ou Pale Rider.
Par ailleurs, enfin, Collins s'est sérieusement documenté sur l'époque : il décrit parfaitement la Prohibition comme une période de corruption absolue, avec des caïds plus proches de bureaucrates solidaires que de criminels primaires, et la présence de figures historiques authentiques comme Al Capone et Elliott Ness contribue encore à donner du relief à cette tragédie pétaradante et aux dialogues claquant comme des détonations.
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Une grande bande dessinée est remarquable par son écriture acérée mais aussi par un graphisme réellement exceptionnel, et Richard Piers Rayner est un artiste peu commun.
Le noir et blanc n'exige pas seulement d'un dessinateur une technique sans faille, où l'image doit exister sans des couleurs bien appliquées, elle nécessite des parti-pris souvent radicaux qui viendront à la fois souligner les points forts de la narration tout en portant l'oeuvre entière vers des cîmes visuelles.
Rayner emploie des contrastes intenses, avec des noirs profonds, mai surtout en jouant sur le blanc de la page pour créer des éclairages violents. Son trait est fondé sur un usage de croisements de lignes, de hâchures à la fois strictes pour les décors et plus nerveuses pour les personnages. Le résultat est franchement saisissant.
On notera au passage que, pour des plans rapprochés, Rayner donne à O'Sullivan le visage de Montgomery Clift, un choix à la fois troublant et judicieux puisque le comédien était spécialisé dans les compositions de personnages tourmentés.
Le découpage est élémentaire : une majorité de planches en trois ou plus souvent quatre cases d'égale valeur et des splash-pages surgissant comme de spectaculaires ponctuations. Cette économie de plans confère à l'histoire un rythme soutenu, haletant, et on dévore les 280 pages du livre.
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Un comic-book percutant, à ne pas manquer !

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