vendredi 18 novembre 2011

Critique 282 : FEAR ITSELF, de Matt Fraction et Stuart Immonen

Premier poster promotionnel de la saga Marvel 2011
(dessin de Stuart Immonen)







Fear Itself est une mini-série en 7 épisodes écrite par Matt Fraction et dessinée par Stuart Immonen, publiée en 2011 par Marvel Comics.
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La série débute par un Prologue (dont la lecture est cependant dispensable puisqu'en ignorer le contenu ne gêne pas la compréhension de ce qui suit). Dans Fear Itself : Book of the Skull, Crâne Rouge procède à un rituel, sur l'ordre d'Adolf Hitler, durant la seconde guerre mondiale, au terme duquel le marteau de Skadi tombe sur Terre, en Antarctique. Le vilain se rend sur place mais est incapable de brandir l'objet. Il en confie donc la garde à la Société de Thule.
Plusieurs années après, Sin, la fille de Crâne Rouge, et le Baron Zémo, fils du premier du nom, récupère le Livre du Crâne qui va permettre à la jeune femme de localiser le marteau. Mais elle sème Zémo pour se lancer à sa recherche.

Ecrit par Ed Brubaker, ce Prologue n'est guère inspiré. Tout juste permet-il au scénariste de Captain America d'écrire un épisode avec quelques Invaders (Cap, Bucky, Namor) et de situer la saga à venir dans un lointain passé. Scot Eaton illustre ce chapitre introductif, encré par Mark Moralès, sans briller davantage.


Fear Itself 1-7 :

Inquiets du climat de colère et d'angoisse qui règne en Amérique, après qu'une manifestation ait éclaté à New York sur le site de Ground Zero, les Vengeurs se réunissent pour faire le point, mais il s'avère qu'aucun super-vilain ne se cache derrière cet évènement. Tony Stark en profite alors pour convaincre les héros de participer avec lui à une conférence de presse à Broxton, Oklahoma, où il va lancer un chantier pour rebâtir Asgard (détruite par Sentry durant la saga Siege).
Cependant, Sin, la fille de Crâne Rouge (devenue son sosie après avoir été défigurée lors de la saga Captain America : Reborn), retrouve en Antarctique, dans une forteresse protégée par les derniers gardiens de la Société de Thule, le marteau de Skadi, que son père avait fait venir sur Terre. A son contact, elle se transforme en Skadi et brandit cette arme d'origine Asgardienne grâce à laquelle elle part à la recherche du Serpent.
Ce dieu nordique est prisonnier dans les profondeurs d'une fosse marine et prétend être le véritable "All-Father" (le Père de Tout) à la place d'Odin. Ce dernier ressent la libération de son rival et ordonne à ses sujets de quitter la Terre pour regagner les ruines d'Asgard dans l'espace. Pour se faire obéir, il n'hésite pas à désarmer et emmener de force Thor, qui s'est opposé à sa décision devant les Vengeurs médusés et désormais livrés à eux-mêmes face à une menace dont ils ignorent tout.
Le Serpent, qui pour récupérer sa puissance, doit susciter la peur dans le coeur des hommes, provoque alors la chute de quatre nouveaux marteaux sur Terre pour posséder des surhumains capables d'effrayer et de dévaster le monde : c'est ainsi que le Fléau devient Kuurth, le destructeur de pierre ; Hulk, Nul, le destructeur de mondes ; Titania, destructrice des hommes ; et Attuma, destructeur des océans. Trois autres marteaux attendent encore leurs récipiendaires...
Les "Dignes" : les hérauts du du Serpent
(dessin de Stuart Immonen).


A la tête d'une armée de robots géants, flanqués de croix gammées, Skadi lance l'assaut contre Washington et New York.
En Asgard, Thor est mis aux fers et croupit dans une cellule pendant qu'Odin transforme son royaume en cité de guerre, avec pour objectif de détruire la Terre et le Serpent. Loki libère son demi-frère qui défie à nouveau leur père pour la protection de Midgard (la Terre). Odin renvoie donc Thor chez les humains...

A Washington, Bucky Barnes/Captain America s'emploie, avec le Faucon, la Veuve Noire et quelques autres héros, à stopper l'attaque de Skadi.
A New York, dans Yancy Street (le quartier natal de Ben Grimm), la Future Foundation examine un des marteaux du Serpent. La Chose s'en empare et se transforme à son tour en un des "Dignes", Angrir, le destructeur des âmes.
A Paris, la Gargouille Grise est devenue Mokk, le destructeur de la foi, et en Afrique, l'Homme-Absrobant s'est transformé en Greithoth, le destructeur de la volonté.
Skadi, défiée par Bucky, se déchaîne contre lui en combat singulier et finit par le tuer sauvagement...

Accablé par la mort de son héritier spirituel, Steve Rogers redevient Captain America et, avec le retour de Thor sur Terre et un plan imaginé par Iron Man, engage des représailles.
Captain America atterrit à New York. Iron Man se rend à Broxton dans les ruines d'Asgard pour y solliciter, par un sacrifice, une audience avec Odin. Thor part à la rencontre du Serpent en Antarctique et apprend qu'il est son neveu et qu'une malédiction d'Odin les condamne à périr tous les deux s'ils s'affrontent.
Renvoyé par la magie du Serpent à New York, Thor doit y faire face à ses deux plus puissants lieutenants : Hulk/Nul et la Chose/Angrir...

Le combat entre le dieu du tonnerre et ses deux adversaires est terrible, et Ben Grimm est mortellement blessé.
Le Serpent, ayant recouvré toute sa puissance, rejoint Skadi à New York où il défait les Vengeurs sans problème; brisant même le bouclier de Captain America.
Franklin Richards sauve la Chose, qui récupère son aspect et son caractère normaux.
Spider-Man obtient de Steve Rogers de quitter le lieu des combats après le départ du Serpent et de Skadi. Interrogé par Oeil-de-faucon sur le départ du Tisseur, Captain America explique qu'il le laisse partir car il pense qu'ils vont perdre cette bataille...

Blessé après son duel contre Hulk/Nul, Thor est ramené en Asgard par Captain America et quelques Vengeurs. D'autres héros sont chargés d'évacuer New York. Odin recueille son fils et le prépare à affronter le Serpent, au péril de sa vie, comme le dit la prophétie. Iron Man construit, dans les forges de Svartalfheim, des armes bénis par Odin pour équiper plusieurs Vengeurs et contre-attaquer les "Dignes".
Cependant, Spider-Man retrouve sa tante May, qui quitte New York comme tous les civils. Elle le convainc de retourner aider les héros.
A Broxton, Captain America se dresse, seul, sur la route des ruines d'Asgard et de l'Arbre-Monde au Serpent et à ses troupes...
Iron Man revient sur Terre et arme ses champions : Spider-Man, la Veuve Noire, Iron Fist, Ms Marvel, Oeil-de-faucon, Red She-Hulk et Dr Strange. Puis ils rejoignent Captain America sur le champ de bataille de Broxton.

Thor et le Serpent, transformé en dragon géant, s'affrontent et s'entretuent. Les "Dignes" perdent, avec leur maître, leurs marteaux et leurs pouvoirs, récupérés par Odin.
Tandis que les funérailles de Thor et Bucky Barnes ont lieu sur Terre, Odin ramène le corps de Cul, son frère, le Serpent en Asgard, et envoie sur Midgard plusieurs de ses sujets menés par Hermod.
Tony Stark offre à Captain America son bouclier réparé par les forgerons de Svartfalfheim. Les héros doivent maintenant (se) reconstruire après ces combats...
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La lecture de la grande saga évènementielle Marvel de 2011 était pour moi un test intéressant dans la mesure où elle était écrite par un scénariste que je n'apprécie pas mais dessinée par un artiste que j'admire. Par ailleurs, l'exercice permet souvent d'étalonner ceux qui le réalisent car, grâce à l'exposition qu'il offre, on peut vérifier s'ils sont à la hauteur (en réussissant à rédiger une histoire d'envergure avec efficacité, sinon avec originalité, et à l'illustrer avec le souffle nécessaire, tout en respectant les délais).
En 2010, invoquant une lassitude (de la part des auteurs et des lecteurs) des events, Marvel avait opté pour une formule plus "diétitique" avec les quatre épisodes de Siege, par Brian Bendis et Olivier Coipel. Le résultat avait été mitigé : on sentait qu'il s'agissait davantage de clore une époque (le "Dark Reign", extension de la période consécutive à Civil War, l' "Initiative") et de revenir à des fondamentaux (avec l' "Heroic Age"). Mauvais calcul puisque DC a décroché la timballe avec les huit volets de Blackest Night (sans que ça ne soit forcèment meilleur, narrativement parlant).
2011 marque donc le retour à une vraie saga, s'étalant sur plusieurs mois, et devant bouleverser profondément le (pourtant) tout récent statu quo. Signe des temps : le projet a été conçu pour correspondre avec la sortie en salles de films adaptés de comics (Thor et Captain America : the first avenger, avant Avengers en 2012). C'est donc la première fois qu'une histoire de ce type a été à ce point coordonnée avec un autre média en point de mire.
Pourtant, ce qui frappe le plus avec Fear Itself, c'est à quel point, malgré la volonté éditoriale de Marvel d'en faire un event global, l'origine du sujet a résisté à son excroissance : en effet, au tout début, l'idée de Matt Fraction et d'Ed Brubaker était d'écrire une aventure impliquant leurs deux héros, Thor et Captain America, en leur trouvant une base commune. Et de fait, même avec son casting enrichi, ses péripéties plus nombreuses, ses conséquences plus éparses, Fear Itself est resté un récit avec Cap et Thor en vedettes, plus qu'une saga avec les Vengeurs et quelques guest-stars (comme les FF ou les X-Men, réduits à de la figuration).
On peut comprendre que cela en ait frustré ou déçus certains, attendant une toile de fond où, comme le promettait le premier poster promotionnel, beaucoup de personnages-clés devait être impliqué : pour cela, il faut lire les tie-in (fort nombreux). Mais Fear Itself, répétons-le, est d'abord centré sur Thor et Captain America, leurs mythologies et leurs futurs.
Ecrit par un scénariste chez qui le sens du rythme n'est pas la qualité première (voir ses arcs interminables sur Iron Man), on pouvait redouter que les sept épisodes (dont deux ayant une pagination double par rapport à la normale) ne soient pas trépidants. Or, s'il est vrai que la saga aurait pu se contenter d'un, voire deux, chapitres de moins, et qu'elle aurait gagné à posséder des dialogues plus percutants, la vraie bonne surprise de Fear Itself est que cela se lit sans ennui : il y a de nombreux rebondissements (certes conventionnels, certains téléphonés), de l'action, du spectacle. Souhaitons que Fraction conserve cette énergie dans l'avenir.
Les morceaux de bravoure attendus comme la mort de Bucky, de Thor, les ravages des "Dignes", le sacrifice de Stark, la revanche des "Puissants" (les super-Vengeurs armés par Asgard), Cap voyant son bouclier brisé puis soulevant Mjolnir, tiennent leurs promesses et donnent au récit un côté vraiment épique. Cela compense un peu le fait que les "Dignes" ne soient pas bien exploités (en dehors de Hulk/Nul et de la Chose/Angrir, avec un combat mémorable contre Thor) et que le casting des "Puissants" ne soit pas plus étonnant (pour défendre la Terre contre des adversaires aussi terribles, Spider-Man n'est pas évident et la présence de Wolverine apparaît comme un quota mutant forcé). 
Pourtant, l'autre malentendu/méprise de Fear Itself est qu'il s'agit moins d'une histoire sur la peur (bien que le Serpent s'en nourrisse et que la progression du personnage est intelligemment menée) que sur la filiation et le sacrifice. Sin/Skadi trouve avec le Serpent un père qui l'accepte et la chérit plus que Crâne Rouge. Steve Rogers perd avec Bucky Barnes son fils spirituel, son héritier. Et Odin accepte le sacrifice de son fils Thor. De la même manière, d'autres personnages, plus en retrait, ont des scènes où ils consentent à payer de leur personne pour mieux repartir au combat : Tony Stark abandonne sa sobrièté pour obtenir une audience avec Odin (joli clin d'oeil à la saga Le démon dans la bouteille), May Parker autorise Spider-Man à repartir au combat après lui avoir rappelé que de "grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités", Loki aide Thor pour empêcher Odin de détruire la Terre, Franklin Richards ose user de ses pouvoirs pour guérir la Chose. Et comme un fil rouge, il y a ce personnage d'homme ordinaire, Rick, habitant Broxton, d'abord témoin puis acteur de la rebellion des héros.
Fear Itself, sans avoir l'audace métaphorique et la profondeur politique de Civil War (le meilleur crossover Marvel de la dernière décennie), bouscule indéniablement le statu quo (quand bien même certains morts ne le seront sans doute pas longtemps, et que déjà Marvel tease sur une prochaine saga...).
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Dessiner une saga ressemble à une épreuve du feu pour l'artiste à qui échoît ce cadeau empoisonné : il faut en effet maîtriser une foule de personnages, être aussi à l'aise dans des scénes spectaculaires que plus calmes, tout en respectant les délais. Et, une fois l'ouvrage terminé, le rebond est parfois compliqué : illustrer l'event de l'année, c'est accèder à une espèce de promotion. Que faire après ?
Stuart Immonen n'a plus rien à prouver et, à son niveau, il était sans doute plus solide pour supporter une telle tâche que ses prédécesseurs (Coipel, Steve McNiven, Leinil Yu - seul John Romita Jr avec World War Hulk était aussi bien armé). Il avait déjà signé les dessins d'un (mini) event chez DC (The Final Night, en vf JLA : Extinction), et depuis qu'il est chez Marvel, il a gravi patiemment mais irrésistiblement les échelons, depuis Nextwave jusqu'à New Avengers en passant par Ultimate Spider-Man. C'est un artiste complet, au style protéiforme, qui a réalisé par ailleurs des creator-owned.
Sa prestation sur Fear Itself est exemplaire. Il a non seulement livré ses planches en temps et en heure, en s'acquittant de 7 épisodes, dont deux doubles, et abattu un travail impressionnant, qui a dopé le script de Fraction dans des séquences où le récit menaçait de piquer du nez.
Comme toujours avec Immonen, l'expressivité des personnages, la variété des cadrages, l'énergie du découpage, vous emporte littéralement. Les morceaux de bravoure sont impeccablement traduits sans pour autant abuser de splash ou de doubles pages (mais quand il nous en gratifie, on en prend plein la vue et le chapitre final propose des images mémorables). 
Décidemment, le canadien confirme son exceptionnel talent : vivement que Marvel annonce son prochain projet.

Mentionnons aussi la qualité de l'encrage de Wade Von Grawbadger (le partenaire de longue date d'Immonen), toujours irréprochable (à peine assisté sur le final par Dexter Vines, sans que cela soit perceptible), et la magnifique colorisation de la reine de la discipline, Laura Martin (avec le concours ponctuel de Matt Milla et Justin Ponsor).
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Certes, narrativement, Fear Itself ne révolutionne rien (mais est-ce vraiment possible et objectif pour des sagas aussi calibrées), mais cet event a plus de souffle que Siege, de rythme que Secret Invasion et d'ambition que World War Hulk. Sans atteindre les cîmes de Civil War, c'est le crossover le plus abouti, celui qui procure le plus d'adrénaline, depuis House of M. Et visuellement, c'est un grand huit, riche en images fortes. C'est aussi, certainement, le dernier exemple d'une histoire de ce type puisque, pour le prochain, Marvel mise sur une équipe créative élargie (cinq scénaristes, les fameux "architectes", et trois dessinateurs).
Une épopée inégale mais quand même efficace.

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