mercredi 30 mars 2011

Critiques 217 : Y THE LAST MAN 3 & 4, de Brian K. Vaughan, Pia Guerra, Paul Chadwick et Goran Parlov

3 : ONE SMALL STEP (#11-17, 2004)

- One Small Step (#11–15) : A Oldenbrooks, dans le Kansas, Yorick, l'agent 355 et le Dr Mann viennent en aide à une jeune femme russe, Natalya Zamyatin, qui a pour mission de récupérer l'équipage de la station spatiale Soyouz, composé de deux hommes (l'un américain, l'autre russe) et une femme (également russe). Une avarie technique les oblige en effet à revenir sur Terre. Le quatuor rencontrent dans une base, spécialement conçue pour se protéger d'attaques biologiques, deux soeurs jumelles, Heather et Heidi, généticiennes comme le Dr Mann. Cependant, Alter Ts'elon, qui est informée par la propre mère de Yorick, est toujours sur la piste de ce dernier, grâce à un traceur implanté dans le singe Ampersand. L'agent 355 et Natalya s'éloignent pour réceptionner les astronautes et permettent ainsi à Alter d'attaquer avec sa camarade Sadie la base où elles enlèvent Yorick. La capsule des astronautes apparaît dans le ciel et Alter tente alors de la détruire avec un tir de bazooka, mais Sadie et Yorick l'en empêchent. Hélas ! Le module effectue un atterrisage qui achève de l'endommager et provoque son explosion : seul un membre de l'équipage en sort indemne - et il s'agit de la femme du trio ! Cette dernière se nomme Ciba Weber et avoue ensuite au Dr Mann qu'elle est enceinte d'un de ses anciens co-équipiers (mais elle ignore lequel, et il est trop tôt pour savoir si elle attend un garçon ou une fille). Natalya décide de rester avec Heather, Heidi et Ciba tandis que Yorick, 355 et le Dr Mann reprennent leur route et que Sadie repart après avoir mis Alter aux arrêts - refusant par là-même de continuer la mission qu'elle menait avec l'aide de la mère de Yorick.

- Comedy and Tragedy (#16–17) : Une troupe d'actrices itinérantes stationnent à Northlake, dans le Nebraska, où elles acceptent de donner une représentation pour les femmes y habitant. C'est alors qu'elles trouvent Ampersand et découvrent qu'il s'agit d'un mâle. Cela inspire à l'une des comédiennes une pièce intitulée The Last Man, dont le personnage principal est inspiré par le roman du même nom de Mary Shelley (la créatrice de Frankenstein). Le soir de la Première, la pièce est interrompue par une des habitantes (qui s'offusque du traitement d'un tel sujet) et par Yorick, le Dr Mann et l'agent 355, tous trois masqués, racontant qu'Ampersand est un singe hermaphrodite. Avant de se retirer, Yorick demande à l'auteure de la pièce comment elle finit et apprend que le héros se suicide.
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Ce troisième tome est encore une fois brillant : Brian K. Vaughan articule les épisodes 11 à 15 autour du retour sur Terre des trois astronautes de la station spatiale Soyouz, évènement qui va attirer les trois héros (Yorick, 355 et le Dr Mann), deux généticiennes, une russe chargée de récupérer ses compatriotes, et le commando dirigé par Alter. Avant le climax, lors duquel le sort d'Alter va basculer, on découvre que celle-ci reçoit ses informations au sujet des déplacements de Yorick de la propre mère de celui-ci : le personnage de cette dernière devient soudainement plus trouble et on apprend qu'elle ne fait aucune confiance à l'agent 355, appartenant au Cercle de Culper, assimilée à une société secrète d'assassins.
Le Culper_Ring n'est pas une fantaisie imaginée par Vaughan mais s'inspire d'une véritable organisation, fondée par George Washington. Le scénariste en fait quelque chose de plus ancien encore, au rôle plus influent et sombre que ce réseau d'espions (qui devait son nom aux frères Culper). Le pseudonyme même de l'Agent_355 se réfère à une femme ayant fait partie de cette société, dont on sait aussi peu de choses que son double fictif.
Les motivations d'Alter sont tout aussi discutables que celles de la mère de Yorick, qu'elle avait choisie de trahir, une fois le jeune homme capturé : cette militaire israëlienne donne une dimension politique au sort du dernier homme sur Terre en voulant s'en servir à des fins stratégiques et idéologiques (résumées en une réplique glaçante : "parfois nous devons faire dees choses terribles pour la paix"). Doublée par sa camarade Sadie, Alter Tse'elon ne semble toutefois pas condamnée à sortir de l'histoire et il y a fort à parier qu'on la reverra.
Tout cela est raconté avec beaucoup de rythme et la longue séquence du crash est un vrai morceau de bravoure, découpé avec un brio redoutable.
Les deux épisodes concluant ce volume sont plus anecdotiques, même s'il ne faut pas les zapper car ils introduisent un nouveau personnage menaçant pour les héros, la mystérieuse ninja Toyota, dont l'identité du commanditaire est une énigme vouée à être prochainement résolue.
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Les dessins de Pia Guerra gagnent en assurance et contribuent à l'efficacité du récit : c'est sans fioritures mais direct, clair, expressif, toujours cadré avec justesse et précision, en privilégiant les cases horizontales, très dynamiques. Il faut saluer l'encreur José Marzan Jr qui assure à la série une unité visuelle très louable puisque les deux épisodes à la fin de ce tome sont illustrés par Paul Chadwick, sans que cela n'introduise de rupture avec les planches de Pia Guerra.
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C'est un peu la fin d'un premier cycle mais la route des trois héros est encore longue, et Vaughan et Guerra semblent avoir encore des munitions pour pimenter leur odyssée.
4 : SAFEWORD (#18-23)

- Safeword (#18-20) : Yorick, l'agent 355 et le Dr Mann progressent jusqu'à Allenspark, dans le Colorado. Les deux femmes confient leur compagnon à l'agent 711, une ancienne du Culper Ring, pendant qu'elles emmènent Ampersand, malade, en ville pour le soigner. Seul avec l'agent 711, Yorick subit divers supplices qui ont pour but de le confronter à son sentiment de culpabilité : il se rappelle ainsi avoir été abusé sexuellement par un jeune garçon dans son enfance, la première fois qu'il a fait l'amour avec Beth, la découverte des rues de Brooklyn jonchées de cadavres (dont celui d'une femme agent de police qui s'était suicidée) après l'épidémie...
Lorsque l'agent 355 et le Dr Mann sont de retour avec Ampersand rétabli, Yorick est prêt à poursuivre le périple. Mais peu après leur départ, de mystérieuses tueuses en burqa abattent l'agent 711 à laquelle elles réclamaient l'Amulette d'Hélène.

- Widow's Pass (#21–23) : L'étape suivante conduit le trio à Queensbrook, en Arizona - huit mois se sont écoulés depuis les évènements relatés dans l'album One Small Step. Un groupe de 8 femmes surarmées bloquent le passage vers l'Etat voisin, empêchant nos héros de gagner la Californie. Yorick, l'agent 355 et le Dr Mann rencontrent également P.J., qui tient le garage de feu son père. Ensemble, ils forceront le blocus, au prix de douloureux sacrifices - et de quelques révèlations. A Oldenbrook, dans le Kansas, Ciba Weber, la cosmonaute, donne naissance à un garçon. C'est alors que Hero, la soeur aînée de Yorick, arrive sur place...
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Ce 4ème tome compte deux histoires d'égale valeur, en nombre d'épisodes. Néanmoins, le premier récit est le plus étonnant et va provoquer un profond bouleversement chez Yorick. Brian K. Vaughan laisse planer le doute sur la complicité entre les agents 355 et 711 au sujet du traitement de choc que réserve cette dernière au jeune homme, sur lequel 355 a pris de nombreuses notes dans un journal. Il s'agit de le délivrer d'un fort sentiment de culpabilité, semblable à celui des survivants de l'Holocauste : Yorick ne supporte plus d'être l'unique rescapé de l'épidémie et la pression qui pèse sur ses épaules de devoir, à terme, être celui qui permettra à l'humanité de se perpétuer. L'agent 711 lui inflige des humiliations dont le spectacle reste étonnant, voire dérangeant, dans un comic-book américain, quand bien même les séries Vertigo de DC Comics ont la spécificité d'être plus transgressives que le tout-venant. Mais bon, ce n'est pas tous les jours qu'on voit le héros contraint à une séance de bondage, forcé d'avaler du viagra, quasiment violé et noyé par une dominatrice-manipulatrice !
Le second récit fait la part belle à l'action : l'agent 355 doit délivrer le Dr Mann des griffes d'une bande de furies, à la fois brisée par la perte de leurs pères, maris et fils, et influencées par des thèses conspirationnistes délirantes. Là encore, Vaughan n'épargne pas ses héroïnes, torturées, et échappant de peu au peloton d'exécution. Parallèlement, Yorick fait aussi ce qu'on pourrait appeler "l'apprentissage du sang" en tuant une de ses miliciennes, autant par vengeance que par esprit de conservation. Mais c'est aussi l'occasion de révèlations cruciales car Alison Mann avoue à l'agent 355 que ses expériences de clonage avaient échoué à engendrer un homme - recherches d'abord menées par son père. Cette confession jette le trouble sur la suite de l'aventure en posant la question de ce qui se passera une fois que le trio aura rejoint le laboratoire du Dr Mann à San Francisco... Le suspense reste donc entier et Vaughan l'entretient avec un vrai brio.
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Chaque histoire est illustrée par un artiste différent : Pia Guerra se charge de la première et son trait a effectivement gagné en maturité, en précision, en finesse depuis le début de la série. Le changement de coloriste (Pamela Rambo a cédé sa place au studio Zylonol) permet à la dessinatrice de réaliser des planches à l'ambiance saisissante, dans ce huis-clos étouffant, traversé de scènes oniriques, fantasmatiques ou passées.
Puis Goran Parlov signe les pages des épisodes 21 à 23, avec un trait plus rond, et des cadrages plus aérés, plus énergiques, adéquats pour une histoire plus centrée sur l'action. Là encore, l'encrage de José Marzan Jr permet à la série de conserver une vraie cohérence esthétique.
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Quasiment à mi-parcours, la série demeure passionnante et on a hâte de découvrir la suite.

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