vendredi 18 février 2011

Critique 209 : RICHARD STARK 'S PARKER - BOOK 1 & 2 : THE HUNTER + BOOK 2 : THE OUTFIT, de Darwyn Cooke



Critiques groupées pour les deux premiers volumes de Parker, adaptés des romans noirs de Richard Stark (alias Donald Westlake) par Darwyn Cooke : The Hunter (Le Chasseur, en vf, chez Delcourt) et The Outfit (L'Organisation, en vf, chez le même éditeur).
Parlons peu, parlons bien : deux claques !
Maintenant, développons un peu.

Parker : The Hunter est le premier roman de la série des Parker, créée par Donald Westlake sous le pseudonyme de Richard Stark, adapté et illustré par Darwyn Cooke, publié par IDW Publishing en 2009.
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1962, New York. Un homme robuste et inquiétant erre sur le pont George Washington. Ce quasi-vagabond se fait rapidement de l'argent grâce à une arnaque et retrouve une allure distinguée. Mais ce gentleman va se révèler un redoutable tueur.
Cet homme, c'est Parker, un voleur de génie, mais aussi un criminel implacable, en quête de vengeance : la première étape de sa traque est son ex-femme qu'il interroge sans ménagement pour savoir qui lui paie son loyer chaque mois. Puis il rencontre d'autres informateurs qui lui permettent de localiser celui qu'il cherche. On a compris que Parker a été trahi par un complice après un casse et il s'agit moins de récupérer un butin que de châtier celui qui l'a laissé pour mort après l'avoir doublé.
Cependant, sa cible bénéficie de la protection de la puissante Organisation, qui dirige le grand banditisme, et si Parker en a fait partie, il est désormais l'homme à abattre. Mais la détermination de Parker est telle que rien ne l'arrêtera...
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Dans l'oeuvre abondante de Donald Westlake (1933-2008), un des auteurs américains de romans policiers les plus épatants et les plus jubilatoires de la seconde moitié du XXème siècle, deux personnages se distinguent, tels les deux facettes d'une même médaille : d'un côté, il y a Dortmunder, un braqueur malchanceux, impliqué dans des hold-ups tordus et tordants, et de l'autre, il y a Parker, un autre maître-és braquage, mais froid et brutal, le jumeau sombre de Dortmunder.
C'est sur Parker, dont Westlake a signé les aventures sous le pseudonyme de Richard Stark, que Darwyn Cooke, l'auteur de la géniale mini-série La Nouvelle Frontière (qui revisitait le Silver Age des super-héros de DC Comics), a jeté son dévolu. Un choix qui a la force de l'évidence pour Cooke après des comics comme Catwoman - Le Gros Coup de Selina Kyle ou ses épisodes du Spirit de Will Eisner.
The Hunter a auparavant connu les honneurs d'adaptations cinématographiques, avec Point Blank (1969) de John Boorman, avec Lee Marvin et Angie Dickinson, un chef-d'oeuvre, et Payback (1998), de Brian Helgeland, avec Mel Gibson, nettement plus inégal. Cette série noire à l'argument brut - un voleur trahi se venge - est un bloc fascinant dont un auteur inspiré comme Cooke pouvait tirer une bande dessinée où se déploierait son inventivité visuelle.
Et effectivement, ce qui est frappant, c'est de constater que, dès les premières planches - une bonne quinzaine, majoritairement muette, en caméra subjective - , Cooke capture l'essence du livre et de son héros avec une puissance remarquable.
Ce morceau de bravoure n'est pas gratuit : il présente le personnage avec le laconisme qui le symbolise, à travers ses yeux, dans une série d'actions simples, narrée séchement - il s'approprie un compte en banque sans user de violence, avec une économie de geste, qui signale son professionnalisme, son sang-froid, sa volonté. Cette longue séquence est comme un manifeste pour Cooke car elle identifie son entreprise : un récit épuré, efficace, qui va droit au but, à l'atmosphère tendue.
Lorsqu'enfin on découvre le visage de Parker, c'est comme le déclic annonciateur de la vendetta à venir, un réglement de comptes crépusculaire et glaçant, à l'image de son protagoniste. Cooke respecte l'esprit de Westlake : jamais il ne cherche à rendre Parker sympathique, mais il restitue avec simplicité sa grande intelligence tactique, sa rigidité effrayante. Abusé, le gangster prend sa revanche sans scrupules : de ce champ de bataille, toute idée d'honneur n'est pas absente, Parker se bat pour le principe. Dans son univers, son milieu, sans foi ni loi, dès lors qu'on a été trompé, on a droit à une réparation brutale à la mesure de ce dont on a été victime. Peu lui importe alors que pour atteindre un homme, il lui faille affronter toute une organisation (dont on devine davantage l'importance qu'on ne la voit, seuls les cadres apparaissent) : son objectif est clair et soit il l'atteindra, soit il mourra.
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Comme dans les romans de Westlake/Stark, Cooke traduit avec brio le génie de Parker qui, tel un champion d'échecs, a toujours un coup d'avance sur ses adversaires - et sur le lecteur. Sa cruauté est terrifiante et jouissive à la fois car on prend le parti de ce monstre en souhaitant le voir réussir dans son projet.
Si écrire, c'est savoir faire des choix, adapter la matière romanesque, c'est-à-dire du texte évoquant des images et des "états" (comme les nommait Nathalie Sarraute), des émotions, alors Cooke s'en acquitte avec une totale perfection car il n'inflige pas au lecteur des pavés narratifs en voix off. Il s'appuie d'abord sur le déroulement de l'action et des dialogues économes, dans la plus pure tradition du "hard boiled", sans sombrer dans les clichés d'un Frank Miller avec Sin City (visuellement ébouriffant, mais scénaristiquement grossier). Ce livre de plus de 150 pages se dévore plus qu'il ne se lit, on en tourne les pages avec rapidité et avidité - au point qu'on peut revenir, une fois l'histoire terminée, admirer les compositions du dessinateur, où l'on reconnaît son passé de cartoonist virtuose (Cooke a collaboré avec le maestro Bruce Timm).
Le style graphique évoque en effet les dessins animés de la Warner, avec un formalisme dépouillé, des figures carrées, une géométrie et un sens de l'espace incomparables. En peu de traits, Cooke saisit les expressions, les décors, place ses personnages dans un environnement immédiatement identifiable.
Il a réduit la colorisation à trois catégories : le blanc originel de la page pour la luminosité, le noir des contours et des à-plats, et le bleu qui apparaît comme une variation chromatique du gris des films policiers de l'époque, évoquant la nuit (le crépuscule ou l'aube), le rêve, la froideur, suggère un climat quasi-onirique, très élégant.
Comme il a commencé, le livre se termine sur une autre séquence quasi-muette d'anthologie où Parker accède à une stature presque légendaire, dont la silhouette semble dépasser celle de l'organisation qu'il a défié, et résume son destin.
Transformer cet anti-héros en démon presque surnaturel mais vraiment unique : voilà qui synthétise cette adaptation et lui permet de ne pas tomber dans la parodie ou une énième version des vigilants genre Punisher.
Un grand livre dont la simplicité en même temps que l'esthétisme en fait une oeuvre à part, inscrite dans un genre précis dont elle transcende les codes. Et dire que le volume suivant surpasse celui-ci...


Parker : The Outfit est la deuxième adaptation de la série de livres écrite par Donald Westlake, illustrée par Darwyn Cooke, publiée par IDW Publishing en 2010.
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1963, Miami. Parker passe du bon temps avec une poule de luxe dans un palace lorsqu'il est agressé par un tueur à gâges. Mais le voleur domine son assassin et lui fait avouer le nom de celui qui l'envoie. Après que le flingueur ait assuré à son commanditaire qu'il avait rempli sa mission, Parker le congédie.
Exaspéré, d'autant plus qu'il a pris soin de changer de visage grâce une opération chirurgicale, il choisit non pas de fuir mais d'affronter le caïd de la pègre, bien qu'il en ait déjà défiée les pontes auparavant. Mais en même temps, il sait pertinemment : 1/ que c'est sa précédente vengeance qui lui vaut des représailles, et 2/ que cette affaire ne peut que se régler par les armes.
Parker frappe donc où ça fait mal en commettant avec des complices loyaux une série de braquages audacieux qui atteignent la fortune de son ennemi tout en pointant la faiblesse de son empire (et de ses systèmes de sécurité). L'efficacité de Parker lui vaut simultanèment le respect des autres barons de l'Organisation, en particulier de Karns, qui accepte de le laisser s'expliquer avec Bronson contre sa promesse de cesser d'attaquer les intérêts de la pègre.

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Pour sa deuxième incursion dans la production "parkerienne" de Westlake/Stark, Cooke fait feu de tout bois en adaptant non plus un seul mais deux textes (The Man with the getaway face et The outfit), aux intrigues plus sophistiquées que The Hunter. Et à nouveau, le résultat est éblouissant, dépassant encore en qualité et en invention le premier tome.
Comme précédemment, Cooke a su conserver l'insensibilité de son héros embarqué dans une nouvelle mission dont il est à la fois la victime et le responsable (son passé le rattrape), mais il a ajouté une dose d'humour (noir, ça va de soi) à l'entreprise, tout à fait dans le ton de Westlake.
Pour cela, il a introduit des seconds rôles, qui deviendront des figures familières de la série de romans (comme le comédien Grofield, le gigolo Salsa, le flingueur Handy McCay), qui donnent un relief nouveau à Parker : ce n'est plus un loup solitaire, mais un gangster dôté d'un réseau d'amis fidèles et aussi aguerris que lui, chacun dôté de talents particuliers employés dans un but et des circonstances précis. Je rêve de voir ce que Cooke ferait avec un titre comme The Handle (Parker rafle la mise) où Parker opére avec un véritable gang, dans un casse spectaculaire...

Graphiquement, ce nouveau volume est dans la lignée du premier : le trait rappelle le cartoon et évoque avec une désarmante facilité le design des 60's, avec le mobilier "atomique", les voitures aux carosseries rétro, les vêtements aux coupes géométriques.
L'aisance de Cooke pour restituer ces éléments dans un dessin à la fois très simple, parfois sommaire, aux limites de l'abstraction, et très élaboré, où rien n'est laissé au hasard, où tout participe au rappel de ce look vintage si familier, est fascinant.
Le découpage est encore une fois un modèle du genre : sous un apparent classicisme, on voit avec quel souci l'artiste choisit ses angles, joue avec le rythme en alternant petites vignettes et doubles pages panoramiques (parfois des splash-pages), décadre les scènes, insiste sur les gros plans. C'est vraiment magistral.
Pourtant, malgré son savoir-faire, Cooke ne se contente pas des mêmes recettes et ose des ruptures narratives et visuelles qui, après avoir dérouté brièvement le lecteur, ajoute à la jubliation de l'adaptation. Ainsi il pastiche les articles de journaux en illustrant plusieurs pages majoritairement constituées d'un texte relatant un braquage, puis il enchaîne avec des planches dans le style du "Reader Digest" avec un dessin rappelant les génériques de Saül Bass ou de la série animée La Panthère Rose par Friz Freleng, avec ou sans bulles. L'exercice permet de narrer plusieurs casses sans se répéter et avec une audace graphique qui répond à l'audace stratégique de Parker.
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The Outfit, avec tous ces trésors d'imagination, échappe donc au piège de la redîte, même virtuose, pour accéder à un palier supérieur. La suite annoncée pour 2012 est déjà attendue avec impatience, même si Cooke va devoir se surpasser pour nous éblouir autant. Mais quelque chose me dit qu'on ne sera pas déçu - on parie ?

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