vendredi 17 décembre 2010

Critique 192 : DOCTOR 13 - ARCHITECTURE & MORTALITY, de Brian Azzarello et Cliff Chiang

Doctor 13 : Architecture and Mortality est un roman graphique écrit par Brian Azzarello et dessiné par Cliff Chiang, publié par DC Comics sous le label Vertigo, en 2006-2007. Il s'agit à l'origine d'une mini-série en 8 épisodes, éditée comme "back-up story" pour Tales of the unexpected.
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Le Docteur Terrence Thirteen a été créé en 1951 : c'est un sceptique qui ne croit pas dans le surnaturel, ce qui en fait une curiosité dans le monde des super-héros DC. En 1969, le Dr Thirteen devient un second rôle notable dans les aventures du Phantom Stranger, figure mystique, puissante et mystérieuse, archétype de tout ce à quoi il n'adhère pas.
Puis il vit quelques histoires en solo où son statut de rationaliste forcené lui donne surtout l'aspect d'un aveugle un peu stupide puisqu'il rejette l'évidence, c'est-à-dire l'omniprésence du paranormal dans un univers fondé là-dessus - et admis comme tel par les lecteurs.
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Le récit présent pousse le concept du personnage au maximum de l'absurde puisque, comme l'indique le sous-titre, le DCverse (et par extension l'univers des super-héros) est articulé par les notions d'architecture et de mortalité. Autrement dit, quel avenir pour un personnage de seconde zone qui en plus ne croit pas au monde extravagant qui l'entoure ?

Enquêtant sur un crash dans les Alpes françaises en compagnie de sa fille Traci, le Dr 13 veut élucider les raisons de l'accident mais aussi celle de la disparition de plusieurs passagers. Il rencontre alors I, Vampire (dont, évidemment il nie la nature) puis est entraîné dans une succession de rebondissements de plus en plus inexplicables lorsque sa fille est enlevée.
C'est ainsi qu'il doit faire équipe avec le vampire puis un pirate fantôme, le Captain Fear, et un néanderthalien sauvé des glaces, Anthro, pour attaquer un fort perdu dans la jungle et tenu par des gorilles nazis, the Primate Patrol. Il rencontre alors un gamin omniscient, Genius Jones, et une héroïne du XXXIème siècle, Infectious Lass.
La sagesse scentifique du Docteur est ébranlée par ces créatures au point qu'il admet que rien de tout ce qui lui arrive n'est un hasard, ce que lui confirme Genius Jones en évoquant les énigmatiques Architectes (déjà mentionnés par Anthro) dont l'objectif serait de les éliminer pour réécrire l'Histoire.
Le Dr 13, accompagné du Vampire et du gorille nazi, d'un côté, et le reste de la bande mené par Traci, de l'autre, séparés accidentellement après leur premier affrontement direct contre les Architectes, se retrouvent pour les défier sur leur terrain, dans les bureaux d'un building célèbre. Condamnés à être supprimer, ils vont devoir les convaincre que ce sont les lecteurs qui décident ou non de l'existence des héros. Mais cette issue n'est-elle pas déjà prévue par l'adversaire ?
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L'évocation d'Architectes et de personnages de fiction appelés à être écartés, le tout dans les replis du DCverse : l'allusion aux grands bouleversements survenant lors de sagas évènementiels pilotées par des scénaristes-vedettes de la firme est évidente. Mais Brian Azzarello et Cliff Chiang ont préféré abordé cette aventure sur le ton de la comédie méta-textuelle que sur celui de la diatribe aigrie.
Publiée au même moment que la maxi-série hebdomadaire Infinite Crisis : 52, l'histoire répond directement à ses concepteurs, le quatuor Mark Waid-Geoff Johns-Greg Rucka-Grant Morrison, qui ont refaçonné l'univers DC à cette occasion. Mettant en vedette des héros déjà secondaires, 52 posait indirectement la question de l'existence de personnages encore moins connus, voire oubliés, inutilisés, voués à une mort certaine. De fait, le Dr 13 trouvera la mort dans 7 Soldiers of Victory : Zatanna #1, écrit par Morrison, et on n'a plus revu depuis I, Vampire, Anthro, Genius Jones, Primaul, Captain Fear ou Traci 13.
Néanmoins, la "morale" de cette fable est que seuls les lecteurs en continuant d'acheter les comics décident de la vie ou de la mort des personnages, plus encore que les scénaristes (et les éditeurs). A défaut de la sauver, la "Team 13" réunie par Azzarello et Chiang peut au moins être (re)découverte ici et, ma foi, c'est une belle sortie, un beau baroud d'honneur, plein de fantaisie, très drôle, inventif, rythmé et léger.
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Cette histoire exubérante aurait pu sombrer dans la pochade délirante gratuite sans Cliff Chiang dont les dessins sont une nouvelle fois merveilleux.
L'artiste apporte une finesse et une élégance au récit, et son trait "ligne claire", à la croisée de Curt Swan et Edgar Jacobs, est un pur régal. Il respecte le côté savoureux, ironique de l'histoire tout en lui ajoutant une classe et une beauté jamais prises en défaut. Et encore une fois il excelle particulièrement dans la représentation des personnages féminins, ajoutant même une note sulfureuse (comme dans cette scène étonnante où le Dr 13 rêve de sa fille en déshabillé sexy).
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Doctor 13: Architecture and Mortality est un divertissement, mais sensible et intelligent : l'hommage de deux auteurs à des héros méconnus, ringards, mais touchants, et une réflexion subtile sur la manière dont on fait et défait les comics, le rapport des lecteurs avec les oeuvres et l'nfluence du public par rapport aux scénaristes.

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