mardi 29 juin 2010

Critique 151 : DAREDEVIL par BRIAN MICHAEL BENDIS et ALEX MALEEV (2/3)

Brian Michael Bendis et Alex Maleev sont de retour pour la deuxième partie de leur run. Ce nouvel article va détailler les épisodes 56 à 65, autrement dit les arcs intitulés Le Roi de Hell's Kitchen (#56-60) et La Veuve (#61-65 + l'épisode spécial anniversaire des 40 ans du titre, L'Univers).
Tout d'abord, il faut préciser qu'entre la parution de ces épisodes et ceux de l'histoire précédente de Bendis et Maleev, Hardcore (#46-50), la série a connu un interlude plutôt superflu (à moins qu'il n'ait servi pour Maleev à se régénérer, ce qui ne serait pas impossible puisqu'il va ensuite enchaîner 25 chapitres sans fill-in !).

Marvel décide donc de "couper" le déroulement de la saga en y intercalant un arc en cinq volets intitulé Echo - Vision Quest, écrit et illustré par David Mack, qui revient donc sur le titre après les numéros 16 à 19 (Wake Up, déjà écrit par Bendis), ayant précédé le passage de Bob Gale et Phil Winslade et la "titularisation" du tandem Bendis-Maleev (à partir d'Underboss, #26-31).

Je ne commenterai pas le récit mettant en scène Echo, l'héroïne sourde (qu'on reverra ensuite dans New Avengers, avant qu'elle ne disparaisse dans la nature à l'issue du crossover Secret Invasion) pour la bonne raison que je ne l'ai pas lu.

Néanmoins, si cette histoire intervient plutôt maladroitement au coeur du feuilleton imaginé par Bendis pour Daredevil, ce break n'est pas catastrophique car lorsque commence Le Roi de Hell's Kitchen, le scénariste démarre avec une pirouette narrative à la fois audacieuse et intégrant le coupure éditoriale effectuée par le passage de Mack...
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DAREDEVIL, VOLUME 9 : LE ROI DE HELL'S KITCHEN (King of Hell's Kitchen),
(#56-60),
de Brian Michael Bendis et Alex Maleev.

King of Hell's Kitchen débute un an après les faits survenus dans Hardcore, à l'issue desquels Murdock a évincé publiquement, devant les malfrats du quartier, Wilson Fisk, pour s'autoproclamer nouveau "caïd".
Daredevil a, comme on l'apprend par un résumé prononcé par Ben Urich, nettoyé le district de sa racaille. Mais son action lui attire l'inimitié d'autres héros New-Yorkais, pourtant ses amis, qui lui reprochent d'avoir déplacé les voyous dans d'autres endroits de la ville. Parmi ses détracteurs, on trouve Luke Cage (avec lequel il est en froid depuis la mort du Tigre Blanc), Spider-Man (à qui il reproche d'avoir révèlé sa double identité aux autres - un problème dont il connaît bien les affres), Mr Fantastic et Dr Strange.
Pourtant, convaincu de sa méthode, Murdock envoie bouler ses opposants, refusant d'envisager qu'il s'est engagé dans une voie périlleuse (moralement et physiquement - de ce point de vue, Ed Brubaker ira jusqu'au bout de cette problèmatique au cours de son run). DD s'est dessiné une cible sur le front et le premier à vouloir l'abattre sera un yakusa.
Quand Ben Urich récapitule la situation, il s'adresse en fait à Milla Donovan, dont on apprend qu'elle a épousé Matt... Qui a disparu depuis plusieurs jours. Le journaliste va le retrouver, blessé, ayant admis ses erreurs de jugement, mais déterminé à en découdre. Luke Cage, Iron Fist et Spider-Man acceptent de lui prêter main forte.
Mais, simultanèment, grâce à - ou à cause de Foggy, Milla réalise que l'attitude de plus en plus radicale de son mari n'a pas commencé avec la révèlation de sa double identité, mais avec la mort de Karen Page : révèlation brutale qui va de nouveau bouleverser l'existence du héros...

Cet arc est inégal (comme la suite et fin du run de Brian Michael Bendis). Le scénariste a eu une idée génialement audacieuse - faire de DD le nouveau caïd - mais acrobatique, qui va entraîner la série dans une direction radicale.

La meilleure idée est, sans doute, celle qui a provoqué le plus de débat, à savoir l'ellipse d'un an, et l'évocation rapide des évènements qui ont succèdé à l'avènement de Murdock comme nouveau seigneur de Hell's Kitchen : Bendis résume la situation par la voix de Ben Urich et dispose des éléments percutants (la rupture avec les autres héros de la ville, le mariage avec Milla, l'infirmière de nuit) sans perdre de temps.

En revanche, il oppose à Daredevil un nouvel ennemi décevant (le yakusa et sa clique - réduite à une bande anonyme), réutilisant la ficelle de la MGH (la drogue élaborée par le Hibou) et balaie trop vite les dissensions entre son héros et ses amis quand les combats reprennent (Murdock montrera vite, ensuite, qu'en fait il n'est pas disposé à changer comme il le promet).

De même, la réaction de Milla, lorsqu'elle apprend pour Karen Page, est trop vite expédiée et, comme souvent chez Marvel, on a l'impression que le mariage d'un héros n'est pas exploitable.

Néanmoins, cet arc se lit avec plaisir, d'abord parce qu'il est mené sur un rythme soutenu et offre une belle bagarre finale.

Alex Maleev est très en forme : le premier volet (jusqu'à l'apparition du yakusa en pleine rue, sous la pluie, la nuit) est un de ses meilleurs travaux, et la colorisation de Matt Hollingsworth est impressionnante.

La série cherche son second souffle, le récit suivant le confirme...
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DAREDEVIL, VOLUME 10 : LA VEUVE (The Window),
(#61-64),
de Brian Michael Bendis et Alex Maleev.

La série stagne avec ces quatre épisodes qui n'ont en vérité aucun impact sur sa thématique et place même Daredevil à la périphérie des évènements : il s'agit en effet davantage d'une histoire d'espionnage que d'un récit "noir", dans laquelle le héros est impliqué malgré lui mais sans que cela change grand'chose à sa situation. Les vraies vedettes, ici, sont Natasha Romanov et son boss, Nick Fury, le patron du SHIELD. Et de ce point de vue, il s'agit presque d'un avant-goût de ce que fera Bendis avec le Marvelverse, via des crossovers comme Secret War jusqu'à Secret Invasion.

Murdock apparaît très peu dans son costume de diable rouge, trop occupé par l'annulation de son mariage demandée par Milla et le retour de la Veuve Noire, que le gouvernement veut livrer à ses anciens employeurs après que les Vengeurs aient arrêté à l'étranger (contre la volonté des autorités locales) Mme Hydra. Après avoir aidé à éliminer un tueur lancé aux trousses de la belle espionne et démasqué son commanditaire, Matt réalise que, s'il aime Milla, il préfère cependant la quitter plutôt que de risquer sa vie. Il lui reste cependant fidèle en refusant de renouer avec la Veuve.

L'histoire a la forme d'une fable, dans sa brièveté et sa morale : Brian Michael Bendis décrit DD comme un justicier qui désormais renonce après avoir conquis, qui délaisse la force et se résigne. Il ne le fait pas sans noblesse puisqu'il libère Milla pour mieux la protéger, mais en même temps c'est un homme au bord du gouffre, sur le point de chuter, après avoir cru tout contrôler, après avoir pensé récupérer sa vie.

Sa trajectoire ne vous rappelle personne ? C'est quasiment celle de celui dont il a pris le trône, le Caïd : comme lui, parvenu à renverser une situation compromise (la trahison de la pègre/ la révèlation de sa double identité), il va perdre la femme aimée (Vanessa / Milla) et son royaume (le crime organisé/la mainmise sur le quartier)... Et bientôt sa liberté car il a franchi la ligne rouge (le retour à New York/la transformation en caïd).

Le sens de ce récit ne se révèle qu'après coup, car Bendis nous distrait avec le retour de la Veuve et ses ennuis. Cette manière de présenter indirectement les faits est la signature de l'auteur depuis le début de son run : ce qui la rend moins efficace, c'est la répétition du procédé.

Graphiquement, ces épisodes sont un peu en deçà de ce dont est capable Alex Maleev : hormis sa représentation superbe de la Veuve, à laquelle il donne (comme à toutes les femmes de la série) une allure sensationnelle, le découpage est sommaire et parfois même paresseux (comme ces deux double-pages exagérant inutilement deux moments qui n'en méritaient pas tant - la Veuve et DD contre Jigsaw et la fusillade à la terrasse de café). L'encrage se fait plus gras, avec des effets tramés parfois disgracieux, et même l'irréprochable Matt Hollingsworth est moins inspiré dans ses couleurs.

L'épisode 65 est spécial à plus d'un titre : pompeusement baptisé The Universe, c'est un chapitre indépendant qui fait le point sur tout ce que Bendis a mis en place depuis son arrivée et dont les dessins sont assurés par plusieurs artistes. Chaque segment est traité selon le point de vue d'un personnage dans l'entourage plus ou moins directe de Daredevil.

On voit ainsi :

- Nick Fury offrir à Murdock un poste au sein du SHIELD ;
- Peter Parker s'inquiéter pour son ami et la perspective d'être à son tour démasqué ;
- Captain America lui proposer d'intégrer les Vengeurs (la scène se situe donc avant la naissance des New Avengers) ;
- le Punisher contester son projet de devenir caïd à la place du Caïd ;
- et enfin Matt demander au Dr Strange de ressuciter Karen Page.

Les séquences avec Fury et le Punisher sont les plus originales et les plus troublantes, les autres sont quelconques, la dernière passablement déplacée et même ridicule (le rapport à la spiritualité du héros a été décrite de manière plus éloquente par Frank Miller et Ann Nocenti et s'accorde mal à cellee d'un personnage sollicitant soudain le sorcier suprême pour lui rendre sa vie passée).
D'ailleurs, ce sont aussi les moments les mieux dessinés qui fonctionnent le mieux, même si, à part Chris Bachalo (avec le Dr Strange), les artistes crédités ici sont tous bons : Craig Russel, Phil Hester, Michael Golden - même Greg Horn livre de belles planches. David Finch signe une page avec Hulk et DD totalement hors-sujet, Jae Lee dessine le diable rouge sans se forcer. Mais Frank Quitely offre une superbe image avec le justicier aux prises avec des ninjas de la Main.

L'épilogue, par Maleev, fournit l'amorce de l'arc suivant avec la sortie de prison d'un certain Alexander Bont, qui fut le "parrain" avant Wilson Fisk et dont Murdock fut l'avocat... Mais cela, ce sera pour une prochaine critique.

The Widow (en v.o.) signale évidemment le retour de la Veuve Noire, figure emblématique de la série, entrevue dans le Scoop mais ici au centre de l'intrigue.

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