mardi 27 octobre 2009

Critique 107 : JLA - THE NAIL, d'Alan Davis

JLA: The Nail est une mini-série en trois épisodes publiée en 1998 par DC Comics. C'est un récit complet écrit et dessiné par Alan Davis qui se situe en dehors de la continuité.
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Dans cette histoire, Martha et Jonathan Kent devant se rendre à Smallville découvrent qu'un pneu de leur pick-up est crevé par un clou. Ce détail apparemment insignifiant va pourtant conduire à un bouleversement de l'univers DC tel qu'on le connaît : les Kent ne découvriront pas la navette spatiale à bord de laquelle se trouvait Kal-El, le futur Superman, qui s'est crashée sur Terre après la destruction de Krypton. La question qui se pose alors est la suivante : que serait le monde sans l'Homme d'Acier ?
L'argument de ce comic-book est inspirée d'un poème de George Herbert : "Faute d'un clou l'on perdit le fer, Faute d'un fer l'on perdit la monture, Faute d'une monture l'on perdit le héros, Faute d'un héros l'on perdit la bataille. C'est ainsi que l'on perdit un royaume, A cause du royaume on perdit la vie. Faute d'un clou."

Dans le monde décrit ici, existe quand même la JLA, dont les membres sont Batman, Wonder Woman, Aquaman, Flash (Barry Allen), Hawkwoman, Atom (Ray Palmer), Martian Manhunter et Green Lantern (Hal Jordan). Mais elle agit dans un contexte de xénophobie envers les "métahumains" : Perry White mène cette campagne de dénigrement au nom de Lex Luthor, réélu maire de Metropolis, et Green Arrow, devenu paraplégique après un combat contre Amazo (au cours duquel a aussi péri Hawkman), accuse ses anciens partenaires masqués d'être des envahisseurs extraterrestres.
Les uns après les autres, les super-héros sont mystérieusement éliminés ou capturés, parmi lesquels la Doom Patrol et les Outsiders (dirigés par l'ex-compagne de Green Arrow, Black Canary).
Muni d'une arme dévastatrice, le Joker libère plusieurs détenus de l'asile d'Arkham. Batman se rend sur place avec Robin et Batgirl, qui sont atrocement tués par le dément. Mais Catwoman intervient et permet à Batman de s'échapper après que les caméras de télévision aient filmé la vengeance du Dark Knight contre le Joker. Le geste de Batman exacerbe la haine contre les métahumains et Bruce Wayne reste prostré dans sa Batcave, traumatisé par les morts de Robin et Batgirl.
Progressivement, la JLA découvre qu'un vaste complot est à l'oeuvre contre les super-héros. Lex Luthor prend des mesures radicales pour les arrêter en envoyant à leurs trousses une armée de robots capables de voler et dôtés d'une force incroyable, les Liberators. Seuls Batman, Flash, Atom et Catwoman leur échappent.
Lois Lane, qui soutient les héros, rencontre dans une base militaire, où sont détenus les métahumains, le Dr. Lana Lang, qui l'oriente discrètement vers Smallville, où les Kent
procurent un refuge pour les fugitifs. Lois décide ensuite de parler à Lex Luthor de ses découvertes pour les dénoncer publiquement mais elle est à son tour capturée par le véritable cerveau de cette conspiration : Jimmy Olsen. Celui-ci a subi plusieurs expériences génétiques qui en ont fait un surhomme mais ont également altéré sa raison. Après avoir découvert la navette spatiale de Kal-El et utilisé des échantillons de son ADN, il a créé des clones cachés sous le costume des Liberators (l'équivalent de Bizarro). Désormais, Jimmy Olsen projette de remplacer les humains par de nouveaux kryptoniens génétiquement modifiés comme lui.
L'emprisonnement d'autres métahumains était destiné à prélever leur ADN pour parachever ce plan. Batman, en compagnie de Batwoman (l'ex-Catwoman), Atom, et Flash libèrent leurs amis incarcérés et détruisent les Liberators. Mais face à Olsen et ses pouvoirs kryptoniens, ils sont dominés et la bataille se déplace jusqu'à un village Amish. Alors qu'Olsen va tuer Batman, il est stoppé par un des fermiers qui essaie de le raisonner, mais en vain.
Néanmoins ce fermier résiste aux rayons optiques d'Olsen qui tue ses parents adoptifs et contre-attaque. Il s'agit en vérité de Kal-El, devenu adulte. L'affrontement est terrible mais s'achève par la victoire du rescapé kryptonien alors qu'Olsen, consumé par son pouvoir, se désintégre littéralement.
La défaite d'Olsen et des Liberators permet à la JLA de regagner la confiance du public et l'équipe compte désormais un nouveau membre : Superman.
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Cette BD fait l'effet d'un tourbillon : aux antipodes de la narration décompressée et des clichés des comics récents, c'est un concentré d'action, à l'intrigue solide et complexe et aux dessins virtuoses. Assurèment, on a là affaire à un des chefs-d'oeuvre d'Alan Davis, du même calibre que son FF : La Fin (qui se déroulait également en dehors de la continuité).
On comprend pourquoi l'auteur est si à l'aise dans ce genre d'entreprise : en se détachant de la mythologie classique, Alan Davis a toute lattitude pour réécrire les personnages et les évènements-clés. Cela aboutit à une vision décalée, décapante, des icônes et de leurs aventures.
Mais là où Kingdom Come procédait sur un mode futuriste, JLA : The Nail réinvente le passé. Paradoxalement, c'est en imaginant un monde privé de Superman qu'il redonne du relief au héros emblématique de DC : Lex Luthor en a profité pour devenir le maire de Metropolis, Jimmy Olsen s'est changé en monstre, Lois Lane en journaliste contestataire, Lana Lang en scientifique complice. Parce que cette ville n'a pas eu de super-héros, elle est devenue une cité intolérante, sous le joug d'un régime sécuritaire.
Davis semble nous suggérer que le monde privé de ses super-héros perd son équilibre. Ces extraordinaires créatures suscitent la méfiance, certes, mais sauvent aussi des vies : c'est en négligeant les "relations publiques" que les justiciers provoquent l'ire des humains ordinaires, comme le fait remarquer Lois Lane à Batman (qui juge plus important de faire régner l'ordre que d'apparaître sympathique).
Or, justement, la sympathie, c'est ce qu'inspire naturellement Superman, le bon samaritain par excellence, le brave parmi les braves, protégeant son monde adoptif sans rien attendre en retour. Sans Superman, sans cette figure éminemment aimable, les autres héros ressemblent à des monstres, des bêtes de foire, des huluberlus : l'Homme d'Acier, selon Davis, n'est pas seulement LE super-héros, c'est aussi un exemple, un guide.
Comme scénariste, Alan Davis aime les histoires complexes : l'identité du conspirateur est savamment entretenue pendant les trois-quarts du récit. Il sait accrocher le lecteur en mettant vraiment ses héros en danger : c'est palpitant, le rythme est échevelé, les dialogues ciselés, la caractérisation savoureuse - un vrai régal.
Il dispose même un subplot (en montrant le début d'une guerre cosmique entre les New Gods de New Genesis et Apokolips, impliquant l'intervention du Green Lantern Corps) - qui sera développé dans la suite JLA : Another Nail.
C'est un comic-book gourmand, parfois too much, mais où il est impossible de s'ennuyer, où on en prend plein la vue, un récit d'une densité fabuleuse.
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Cette mini-série en met aussi plein les mirettes grâce à un dessin prodigieux, d'une énergie sans pareille : Alan Davis assure un découpage magistral, d'une fluidité exemplaire, qui rend la lecture extrèmement agréable.
Il nous gratifie également de pleines et doubles pages époustouflantes - un effet dont il sait ne pas abuser mais qui offre à chacun de ses héros son "morceau de bravoure", saisi en pleine action. La maîtrise qu'affiche cet immense artiste a quelque chose d'euphorisant et d'intimidant : on ne peut que déplorer qu'il se fasse si rare et surtout qu'il semble avoir perdu son enthousiasme.
Saluons également l'encrage de Mark Farmer, un des meilleurs à ce poste, dont la complicité avec Davis donne un résultat parfait : là encore, on comprend pourquoi l'artiste insiste autant sur la relation de confiance qui doit exister entre les membres de l'équipe artistique d'un comic-book pour aboutir à de vraies réussites.
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JLA : The Nail est un livre jubilatoire, un objet proche de la quintessence du genre : à la fois un divertissement accompli et une oeuvre personnelle, exécutés avec maestria.

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