lundi 13 juillet 2009

Critique 73 : ASTRO CITY 3 - FAMILY ALBUM, de Kurt Busiek, Brent Anderson et Alex Ross



Kurt Busiek's Astro City:Family Album réunit les épisodes 1 à 3 et 10 à 13, du volume 2. Ces sept histoires sont écrites par Kurt Busiek, dessinées par Brent Anderson, encrées par Will Blyberg, avec les designs d'Anderson et d'Alex Ross, qui signe également les couvertures. DC Comics a publié les 7 épisodes de ce recueil en 1998, au sein du label Wildstorm.
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Comme dans le premier volume (Life in the big city), c'est une sélection de récits distincts, dont deux comptent deux parties :

- Welcome to Astro City raconte comment un père célibataire, Ben Pullam, et ses deux filles, venant de Boston, s'installent en ville pour y refaire leur vie. Ils vont devoir s'habituer au folklore local, avec sa communauté surhumaine combattant parfois dans la rue, devant chez eux. Ce voisinage inquiète ce père de famille, qui songe à repartir avant de se raviser lorsqu'il découvre la solidarité des civils et des super-héros le lendemain d'une bataille épique contre un dieu menaçant.
- Everyday life et Adventures in other worlds s'intéressent au cas de la First family et plus spécialement de la benjamine de ce groupe de scientifiques aventuriers, Astra. A dix ans, celle-ci souhaiterait quitter le quartier général de l'équipe pour vivre parmi des enfants de son âge. Aussi décide-t-elle de fuguer et d'intégrer une école ordinaire. Sa disparition plonge ses parents dans une terrible inquiètude et les conduit à la rechercher partout, convaincus qu'elle a été kidnappée. C'est l'occasion d'en apprendre plus sur le passé de cette famille hors du commun, leurs ennemis... Et pour la jeune fille d'accomplir son rêve.
- Show'em all relate la quête de reconnaissance d'un vieux super-vilain, le Junkman. Cet ancien inventeur de jouets brutalement licencié est devenu un redoutable voleur, mais c'est moins l'appât du gain qui le motive que l'envie de prendre sa revanche sur la société et de prouver qu'il n'est pas un "has been". Il commet alors un audacieux cambriolage, ridiculise plusieurs héros à ses trousses et se fait arrêter par Jack-in-the-Box. Mais le filou a eu ce qu'il voulait : la célébrité.
- Serpent's teeth et Father's day se focalisent justement sur Jack-in-the-Box, qui est amené à rencontrer les possibles incarnations futures de ses trois fils. Deux d'entre eux (un cyborg et un psychopathe) décident de le supprimer lorsqu'il comprenne qu'il ne partage pas leurs méthodes expéditives. Le troisième est devenu un enseignant-chercheur, étudiant les anomalies temporelles. Notre héros réalise ainsi que, s'il mourrait, sa progéniture pourrait devenir aussi dégénérée que les Jacksons et il va devoir trouver une nouvelle manière d'agir tout en devenant un père responsable puisque son épouse vient de lui annoncer qu'elle est enceinte.
- In the spotlight met en vedette Looney Leo, un personnage de dessin animée devenu réel à la suite d'un concours de circonstances. Son adaptation à sa nouvelle condition en fera une vedette avant qu'il ne connaisse un cruel déclin puis réussisse à à remonter la pente, comme il le confie à un jeune publiciste venu lui offrir un contrat.
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Un père de famille effrayé par la ville où il a entraîné ses filles. Une super-héroïne de dix ans qui aspire à goûter à la vie d'une enfant de son âge. Un voleur qui réussit le crime parfait - et même trop parfait. Un justicier confronté à sa future paternité et à la nécessité de trouver un remplaçant. Une ancienne gloire qui ressasse son passé. Autant de portraits saisissants pour broder sur les thèmes de la responsabilité, de la famille, et de la reconnaissance... Et autant de nouveaux exemples de la qualité de cette série unique en son genre !
Alors que l'industrie des comics américains s'est progressivement mise à produire des receuils composés d'arcs narratifs complets en lieu et place de fascicules périodiques, des lecteurs se sont plaints de cette tendance à écrire davantage en pensant en termes d'albums. Cette nouvelle compilation d'épisodes d'Astro City prouve pourtant qu'on peut encore concevoir des histoires courtes, connectées par thème ou rédigées de manière à établir un univers avec une temporalité et une spatialité. De ce point de vue, Family album synthètise tout le talent de son auteur, Kurt Busiek, et la singularité de son projet.
Le récit qui ouvre ce nouveau tome est une introduction idèale pour les nouveaux lecteurs. Il s'agit moins d'un récit sur les super-héros que sur la manière dont les civils les considèrent, le fondement même de la série depuis ses débuts. Cette étude psychologique à la fois simple et subtile d'un père divorcé qui s'interroge sur la bonne éducation à donner à ses filles résume à elle-seule la foi du scénariste en son idée : comment les humains ordinaires cohabiteraient avec des créatures extraordinaires, comment cela affecterait leur quotidien et les révèleraient à eux-même. C'est aussi un témoignage émouvant sur la solidarité, écrit avec beaucoup d'humanisme et de sobriété.
L'autre perle de ce livre est Show 'Em All, à nouveau habitée par un personnage savoureux. Le Junkman est certes un criminel génial mais moins intéressé par le bénéfice que lui rapporte ses larcins que par l'envie d'être reconnu par le public comme un génie du crime. Cependant, plutôt que de céder au stéréotype du super-vilain égocentrique et mégalomane perdu par sa vanité, Busiek brosse le portrait d'un vieil homme roublard et attachant.
In the Spotlight, l'autre récit en un acte, est encore un superbe condensé sur les histoires de gloire et de déclin comme en ont connues maintes célébrités d'Hollywood.
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C'est grâce à cette cohérence thématique et cette varité d'angles de vue qu'on peut vraiment apprécier les efforts conjugués d'Anderson et Ross, dont les designs sont un enchantement. Grâce à des graphistes de ce calibre, on peut aussi bien se passionner pour un personnage de cartoon comme Looney Leo que pour d'autres protagonistes faits de chair et de sang, vulnérables et touchants.
Le découpage est un modèle de fluidité et c'est un régal absolu pour les yeux. Le plaisir palpable avec lequel, par exemple, Anderson chorégraphie les acrobaties de Jack-in-the-box donne littéralement au justicier la grace d'un danseur. Et lorsqu'il met en scène ce même personnage, démasqué, il sait lui insuffler une vérité, une épaisseur, remarquables.
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Si toutefois, il fallait distinguer un segment, alors mon choix irait vers le récit en deux actes Everyday life-Adventures in other worlds, qui explore magistralement la notion d'esprit de famille suggérée dans le titre du livre.
Cet hommage vibrant et élégant aux Fantastic Four et aux Challengers of the unknown, dont s'inspire ouvertement la First family, dépeint parfaitement n'importe quel enfant aspirant à s'émanciper tout en s'amusant. C'est également l'occasion pour Busiek de convoquer une belle galerie de monstres, pour laquelle là aussi Anderson et Ross ont accompli des recherches à la fois référencées (s'inspirant de Bill Everett, le créateur de Namor, notamment) et accessibles. Tout l'art de la caractérisation de Busiek éclate dans ce dyptique au rythme soutenu, alternant plages intimistes et séquences spectaculaires.
D'une façon similaire mais néanmoins différente, l'autre "duo" Serpent's Teeth/Father's Day relève un défi aussi corsé : comment concilier ses responsabilités de héros avec celles de mari et de futur père de famille ? Dans Life in the Big City, un personnage comme Samaritan sacrifiait sa vie privée pour remplir ses missions de justicier. Ici, Jack-in-the-box hésite davantage et imagine un stratagème plus ambigü pour résoudre ce dilemme. Son cas est plus épineux, la résolution du problème est plus palpitante et son histoire toute entière est plus troublante.
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Vous l'aurez compris : tous les récits proposés ici sont intéressants et développées avec un savoir-faire d'orfèvre. Encore un volume de haute volée qui fait de cette série un authentique "must-have" : c'est du super-hero comics différent mais qui ne déçoit jamais. Une telle prouesse mérite tous les lauriers !

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