jeudi 25 juin 2009

Critiques 64 : JUSTICE LEAGUE OF AMERICA 0 & TORNADO'S PATH, de Brad Meltzer et Ed Benes



Après avoir passé en revue tous les crossovers importants de DC depuis 1985, force est d'admettre que les cartes ont été amplement rebattues, pour le pire et/ou le meilleur. Quoiqu'il en soit, au terme de 52, la firme de Broadway avait le champ libre pour relancer au numéro 0 ses deux séries-phares (du moins celles dont les équipes de super-héros tenaient la vedette) : la JLA et la JSA.
Il est donc temps de voir ce que ces "relaunchs" ont donné, et je commencerai donc par le premier arc de la nouvelle JLA, inauguré par un curieux n°0...
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Justice League of America #0 a été publié par DC Comics en Juillet 2006, sur un scénario (ou plutôt un canevas) signé Brad Meltzer et illustré par plusieurs dessinateurs (dont je donnerai la liste complète à la fin de cet article).
Puisqu'il n'y a pas d'histoire à proprement parler dans ce numéro, mais plutôt une succession de séquences se déroulant dans le passé, le présent et le futur de l'équipe, passons tout de suite à l'analyse de l'ouvrage.
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Avec les bouleversements survenus à la fin d'Infinite Crisis, le retour de la JLA se devait d'être un évènement piloté par des auteurs à la hauteur. Une année s'était passée, dont les détails furent racontés dans l'hebdomadaire 52, et DC devait proposer une refonte du titre à la fois surprenante et accessible, respectant cependant le "bagage" de la continuité avec toutes les incarnations que connut son groupe de super-héros le plus fameux : synthèse périlleuse...
Relancer la Justice League of America avec une nouvelle équipe créative était un challenge difficile, pour ne pas dire impossible : des fans allaient forcèment râler, et rien n'assurait que de nouveaux lecteurs seraient séduits. Mais c'était aussi une opportunité de revitaliser le titre, en le purgeant de nombreuses scories, en osant emprunter une nouvelle direction, un nouveau casting.
En confiant cette tâche à Brad Meltzer, DC faisait le choix de la qualité et de l'audace : n'était-il pas l'homme qui avait réussi avec Identity Crisis à bousculer les conventions en rédigeant une histoire dérangeante mais à l'écriture soignée ?
Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, Meltzer a pris les chemins de traverse : dans ce numéro 0, c'est à un voyage au coeur de l'histoire de la JLA qu'il nous convie, un périple dont la "trinité" formée par Superman, Batman, et Wonder Woman sont les guides. A travers eux, nous allons revivre en une multitude de flashes des épisodes d'hier, d'aujourd'hui et même de demain, au moment même où ils se réunissent pour décider si leur équipe doit renaître de ses cendres - et avec qui, comme nous le révèlera Tornado's path.
Pour chaque période, Meltzer s'exprime via un de ces trois illustres personnages, avec leur sensibilité, leur vision des choses : qu'ont-ils retenu de toutes leurs aventures communes ? Et dans quelle mesure l'enseignement qu'ils vont en tirer va les inspirer ? Plus encore : quel avenir se dessine pour eux et la Ligue ?
On peut reprocher au scénariste, avec ce procédé, d'égarer le lecteur (a fortiori débutant) et de ne pas avoir (su choisir) un vrai point de vue. C'est particulièrement éloquent lorsque Meltzer nous montre d'hypothétiques scènes dans le futur, où l'on se demande s'il nous révèle de possibles et réelles histoires à venir ou s'il s'amuse simplement à nous lancer sur des pistes n'ayant aucune chance d'être exploitées. Les éditeurs de DC ne voient eux-même certainement pas aussi loin que Meltzer... Même si certaines scènes sont troublantes (ainsi, on devine qu'il arrivera malheur à Batman lors d'un dialogue entre Superman et Wonder Woman. Meltzer savait-il alors que Grant Morrison allait signer Batman R.I.P. ?).
Chacun appréciera (ou non) cet exercice d'anticipation...
En revanche, l'évocation du passé ponctuée par ce qui se passe aujourd'hui et ce qui a suscité la réunion de Superman et Wonder Woman dans la Batcave de Batman (la décision de ranimer la JLA et le choix de ses membres) est tout à fait plaisante : c'est exposé avec rythme, connaissance, souci de clarté, et l'entreprise permet d'apprécier la contribution d'une foule d'artistes très différents pour illustrer chaque époque. Tous ces dessinateurs ont effectué un formidable travail, certains recréant même le style des épisodes passés cités par Meltzer. Il se dégage de tout cela un étrange mélange de sentiments : nostalgie, excitation, expectative...
Si le but recherché était dee mettre l'eau à la bouche tout en adressant un clin d'oeil à la mythologie, c'est indéniablement réussi.
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Et comme promis, en conclusion, voici la liste des artistes crédités pour ce n°0 : Ed Benes, George Pérez, Jim Lee, J. H. Williams, Gene Ha, Dick Giordano, Eric Wight, Tony Harris, Kevin Maguire, Dan Jurgens, Howard Porter, Luke McDonnell, Rags Morales, Ethan Van Sciver and Phil Jimenez.
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Maintenant, place à l'action !

Justice League of America : Tornado's path est donc le premier récit, comptant 7 chapitres, mettant en scène la nouvelle muture de l'équipe. Le scénario a été écrit par Brad Meltzer et les dessins ont été réalisés par Ed Benes (encrés par Sandra Hope). Ce story-arc a été publié en 2006-2007 par DC Comics.
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La Bat-cave sert de décor à une réunion importante entre Batman, Superman et Wonder Woman : ceux-là même qui avaient dissous la Ligue de Justice (après Infinite Crisis) débattent de l'opportunité de la reformer puis de qui y intégrer. Chacun a ses favoris et ses arguments pour défendre ses candidats, le casting va être l'objet d'âpres négociations.
Diana vise l'efficacité et la complémentarité. Clark désire des membres motivés et aux aspirations nobles. Bruce privilégie la confiance (normal, après que ses "collègues" aient voulu le rendre amnésique suite à ce qui s'est passé dans Identity Crisis...).
Cependant, Roy Harper et Hal Jordan s'entretiennent de leurs projets lorsqu'ils sont interrompus par la bague de Green Lantern : Kathy, la compagne de Red Tornado, s’inquiète car l'androïde, sévèrement blessé mais normalement capable de se reconstruire, ne revient pas à lui aussi vite que d'habitude...
Par ailleurs, Jefferson Pierce, alias Black Lightning, mène l'enquête, en se faisant passer pour un émissaire de Lex Luthor, au sujet de la disparition inexpliquée et récente de plusieurs super-vilains - spécialement Plastique et l'Electrocuteur.
Celle qui pourrait le savoir est Vixen mais elle est justement piègée en allant à la rencontre de la Question ...
Dans l'ombre sont à l'oeuvre T.O. Morrow, l'inventeur de Red Tornado, qui s'est allié avec Felix Faust et Salomon Grundy. Et si Morrow est là, Amazo n'est pas loin non plus : la situation s'annonce explosive et la JLA n'attendra pas longtemps pour reprendre su service !
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Comme Red Tornado, la JLA est encore en pleine reconstruction et il faudra 7 épisodes à Brad Meltzer pour réassembler toutes les pièces d'une intrigue complexe mais, disons-le tout net et sans attendre, bien moins convaincante qu'Identity Crisis (qu'il considèra comme sa première histoire avec la JLA).
Si l'on cherche une analogie au processus de fabrication du récit ici proposé, c'est à une recette de cuisine qu'on pense : une pincée d'existentialisme chez Red Tornado, un peu de totem de Vixen, un zeste de magie de Felix Faust, quelques grains de savant fou façon T.O. Morrow, une pointe de mort-vivant avec Salomon Grundy, quelques gouttes de réplicant fou genre Amazo, le tout pimenté par les négociations du trio Batman-Wonder Woman-Superman, et le plat est prêt à être servi !
Mais le met est-il bon pour autant ? Pas autant qu'il aurait pu (dû ?)... En fait, Meltzer s'amuse avec le lecteur en ne lui donnant pas ce à quoi il s'attend - ce à quoi il était en droit d'attendre même. Finalement, c'est moins la refondation de l'équipe que des intrigues séparées mais se croisent qu'il s'agit : ces jonctions doivent former par la force des choses un groupe et un récit, mais si cette nouvelle Ligue comporte quelques bonnes surprises, ce dans quoi elle est embarquée est moins captivant à force d'être délayé.
Le lien entre tous ces évènements est l'androïde Red Tornado, décrit comme une version de Pinocchio... mais plus violente. Choisir d'axer l'histoire autour de ce héros de seconde zone n'est pas une option vraiment passionnante (à moins d'adorer le personnage). Ensuite, Meltzer, fidèle à sa réputation, ne ménage pas le lecteur avec des effets "gore" qui sont franchement complaisants ici. On a alors la désagréable impression qu'Authority s'est invité dans les pages de la JLA, comme si la parodie avait eu raison de l'original dont elle s'est inspirée - un comble !
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Le dessin détaillé et massif d'Ed Benes souligne cette tendance "dure" avec laquelle Meltzer traite son sujet. L'artiste brésilien est un bon artisan au style solide, dans la veine d'un Jim Lee, et il respecte fidèlement les directives du scénariste. Les amateurs de planches (souvent doubles) spectaculaires seront comblés, mais ceux qui préférent la fluidité et la finesse devront passer leur chemin.
J'ai en outre trouvé que Benes affichait des faiblesses préjudiciables dans ce type d'entreprises, incapable de varier le physique de ses héros et héroïnes - les premiers sont tous des armires à glace aux mâchoires carrées, les secondes des créatures pulpeuses aux poses exagérèment sexys. Le casting fourni de cette nouvelle Ligue souligne ces lacunes.
Lorsqu'on repense à l'association de Meltzer avec un graphiste bien plus complet comme Rags Moralès, la comparaison n'est pas favorable à Benes.
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Néanmoins, le scénariste a bien compris 5 points essentiels à une renaissance de la JLA comme équipe et comme titre :
- 1/ elle doit inclure les icônes du "DCverse",
- 2/ elle doit s'ouvrir à de nouvelles recrues,
- 3/ elle doit être intimement connectée à l'Univers DC,
- 4/ elle doit avoir des ennemis dignes d'elle,
- et 5/ elle doit savoir surprendre ses lecteurs.
A l'évidence, Meltzer aime ces personnages et écrire leurs aventures, mais justement cette affection l'empêche de rendre une copie plus satisfaisante et plus mesurée.
Le précédent "revival" de la JLA avait été dirigé par Grant Morrison et l'écossais s'était appuyé sur une formation plus classique mais aussi plus dense, celle des "big 7" – Superman, Batman, Wonder Woman, Green Lantern, Flash, Martian Manhunter et Aquaman. L'équipe avait de l'allure et de la consistance car elle n'était composée que de héros icôniques.
Meltzer a converti le concept des "big 7" de Morrison en "big 3" : sa Ligue repose toute entière sur le trio emblèmatique Superman-Batman-Wonder Woman, qui, du coup, fait immanquablement de l'ombre au reste de l'équipe. On passe trop de temps à passer en revue tous les membres susceptibles d'intégrer la Ligue et pas assez à les voir en action. 7 épisodes, souvent long d'une trentaine de pages, avec d'abondants dialogues et des voix-off envahissantes, ont raison de notre patience.
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Même si ce n'est pas une mauvaise bande dessinée, ce recueil ne provoque pas une adhésion suffisante, à la fois compte tenu des enjeux d'un tel relaunch et des qualités de ses auteurs. Un départ aussi laborieux plombe une série, a fortiori quand elle doit être relancée, et c'est la raison pour laquelle, après le crossover avec la JSA qui suivit cet arc, je n'ai suivi que de loin le titre.

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