vendredi 22 mai 2009

Critique 48 : THE AUTHORITY, de Warren Ellis et Bryan Hitch



(Ci-dessus : l'équipe de The Authority -
avec de gauche à droite : Apollo, Swift, Le Docteur,
L'ingénieur, Jenny Sparks, Jack Hawksmoor
et The Midnighter, par Bryan Hitch.)

The Authority est une série dérivée de Stormwatch, qui racontait les aventures d'une une organisation patronnée par l'O.N.U. et composée de plusieurs groupes de surhommes, d'origines diverses, basée dans une station orbitale et menée par le Weatherman. Mais Stormwatch a dû être dissoute après la destruction de sa station spatiale et suite à plusieurs scandales, résultat de leur trop grand interventionnisme politique.

Sur les cendres encore chaudes de Stormwatch, en 1999, le scénariste Warren Ellis et le dessinateur Bryan Hitch bâtirent the Authority, une nouvelle formation de super-héros qui entreprend de veiller à la sécurité du monde contre tout ce qui peut le menacer, et ce par tous les moyens nécessaires.

Cette équipe est formée de :
- Jenny Sparks, incarnation de "l'esprit du XXème siècle" aux pouvoirs électriques ;
- Jack Hawksmoor, qui fusionne avec les villes ;
- Swift, une guerrière tibétaine aîlée ;
- Apollo, un méta-humain tirant ses facultés de l'énergie solaire (et une version gay de Superman) ;
- The Midnighter, l'amant d'Apollo dôté d'une force et d'une rapidité supérieures à la moyenne (pastiche de Batman) ;
- L'ingénieur, une scientifique qui a remplacé son sang par des particules de nano-technologie ;
- et enfin Le Docteur, un junkie habitée par les pouvoirs magiques des cent shamans qui l'ont précédé dans ce rôle.
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Le run d' Ellis et Hitch sur The Authority compte 3 actes de 4 épisodes chacun : le premier s'intitule Le Cercle, le deuxième Perfidie et le dernier Crépuscule.

- Le Cercle : The Authority fait sa première apparition publique pour affronter Kaizen Gamorra, un vieil ennemi de Stormwatch, qui veut profiter de la dissolution de cette organisation pour se venger en prenant le contrôle du monde.
Pour parvenir à ses fins, ils envoient des kamikazes génétiquement modifiés pour détruire d'abord Moscou puis Londres - la ville natale de Jenny Sparks - avant de préparer un ultime assaut contre Los Angeles.
The Authority s'emploie à contrarier l'attaque contre la capitale britannique. Mais The Midnighter utilise le vaisseau de l'équipe, le gigantesque Porteur (capable de se déplacer dans toutes les dimensions) pour détruire à son tour la fabrique de clones surhumains de l'île de Gamorra.

- Perfidie : The Authority doit ensuite stopper une invasion émanant d'une Terre parallèle appelée Albion. Ce monde n'est pas inconnu de Jenny Sparks qui en a déjà affronté les occupants en 1920 : Albion est une planète où vivent ensemble des extraterrestres et des humains depuis le XVIème siècle et régie par un régime impérialiste similaire à l'Empire britannique victorien.
Après avoir repoussé une première vague d'attaques, the Authority à l'initiative de Jenny se déplace dans l'univers d'Albion où le Docteur efface littéralement de la carte l'équivalent de l'Italie, où résidaient ses dirigeants.
S'adressant aux habitants de la planète, Jenny leur conseille de profiter de la chance qui s'offre à eux d'établir un monde meilleur. Mais elle les met aussi en garde en promettant des représailles s'ils tentent une nouvelle invasion.
C'est également durant cette aventure que la relation homosexuelle entre Apollo et The Midnighter est explicitement dévoilée, alors qu'elle n'était que suggérée auparavant.


- Crépuscule : A la fin de l'année 1999, des créatures extraterrestres ravagent simultanèment l'Afrique et la Lune. Ses prédécesseurs avertissent le Docteur que le créateur originel de la Terre, communèment appelé Dieu, est de retour pour purifier la planète dont il pense que la civilisation l'a littéralement empoisonnée.
"Dieu" se manifeste bientôt à la vue de The Authority sous la forme d'une immense pyramide dans l'espace et son entreprise de "nettoyage" s'étend encore sans que nos héros ne puissent plus la contrarier (encore moins la stopper).
L'Ingénieur convainc le Porteur de quitter l'orbite terrestre et de pénétrer à l'intérieur de Dieu pour se diriger vers son cerveau. Le système immunitaire de l'entité se défend contre ces intrus mais sans arriver à les arrêter.
Dans les dernières minutes du 31 Décembre 1999, Jenny Sparks accomplit son ultime geste comme "Esprit du XXème siècle" en électrocutant le cerveau de la créature. Elle agonise ensuite dans les bras de Jack Hawksmoor. Sa mort coïncide avec la naissance d'un bébé et d'un nouveau siècle...
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Comme en témoignent ses résumés, à chaque fois, les héros de The Authority doivent affronter un ennemi de plus en plus puissant. Celui-ci représente successivement un archétype des méchants les plus courants des comics : un terroriste international, une invasion provenant d'une Terre parallèle, et rien moins que Dieu.
Ce travail sur les codes du genre est typique de Warren Ellis, qui sans apprécier les super-héros et leur folklore s'amuse à en détourner, à en pasticher les figures les plus familères. Avec The Authority, il brutalise cet univers en en surlignant les aspects les plus spectaculaires ou les plus racoleurs.
De ce strict point de vue, c'est une série qui procure un plaisir énorme car on en prend effectivement plein la vue. Mais ce n'est jamais gratuit car l'auteur traite ces aventures rocambolesques, remplies de clichés, volontiers régressives, avec une ironie mordante, une verve sarcastique et subversive.
A cette escalade dans la violence et la destruction répond, correspond une narration qu'on a baptisé la "décompression" pour symboliser une dilatation dramatique de l'histoire. Evidemment, depuis, ce procédé a depuis fait des petits, et en comparaison les récits d'Ellis ici paraissent très nerveux.
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Néanmoins, les bases de cette écriture sont clairement à l'oeuvre dans ces 12 épisodes : elles sont traduites visuellement par de vastes vignettes panoramiques permettant d'exposer l'action dans le moindre détail, mais qui ralentissent du même coup le ryhtme inhérent de la lecture (puisqu'on s'extasie longuement sur chaque plan).
Sur ce plan, Bryan Hitch s'est révélé comme un des graphistes les plus puissants de sa génération en livrant des planches d'une envergure reenversante : au début, on sent encore chez l'artiste anglais l'influence manifeste du maître Alan Davis, puis au fur et à mesure des épisodes, son style s'affirme tout en conservant un dynamisme, une ampleur, tout à fait remarquables.
La présence à ses côtés d'un des encreurs de Davis, Paul Neary, n'y est pas étrangère. Et les magnifiques couleurs de Laura Martin achèvent de magnifier la partie esthétique.
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Le déroulement même de l'intrigue en est altéré puisque l'ensemble de l'oeuvre est enrichi par des éléments disséminés au fil des chapitres : ainsi on apprend progressivement que The Authority a été formé à partir de Stormwatch, que Jenny Sparks est âgée de cent ans, qu'Apollo et The Midnighter sont amants, que le Docteur est l'héritier de plusieurs shamans tout comme la technologie de l'Ingénieur lui vient d'un inventeur mort avant la formation de l'équipe...
Politiquement, Ellis laisse aux lecteurs le soin de juger de la légitimité des actions de ses personnages. Cela changera nettement lorsque le titre sera repris par Mark Millar et Frank Quitely (successeurs approuvés par les scénariste et Bryan Hitch), qui feront de The Authority une série beaucoup plus radicale, avec des héros de plus en plus interventionnistes, défiant les autorités humaines.
Le titre s'impose comme une sorte de trait d'union entre les justiciers névrosés imaginés par Alan Moore dans Watchmen et Les Vengeurs revisités comme les gendarmes du monde dans Ultimates par Millar et Hitch. Cette position suffit à l'imposer comme une oeuvre indispensable.

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