samedi 25 avril 2009

Critique 38 : DAREDEVIL par ED BRUBAKER et MICHAEL LARK (2/7)


DAREDEVIL : THE DEVIL TAKES A RIDE ;
(vol. 2, #88-93) ;
(Octobre 2006-Mars 2007).

Ce receuil est la suite directe du Diable dans le bloc D.

Aprés son éva­sion du pénitencier de Ryker's Island, Daredevil va enquêter sur le responsable de sa déchéance et de la mort de son meilleur ami, Foggy Nelson. Comment cela va-t-il finir ? Matt Murdock retrouvera-t-il un semblant de vie normale ?
*

Foggy Nelson est toujours vivant, comme on l'avait vu dans les ultimes pages du volume précédent, mais cela, Matt Murdock l'ignore. Placé sous la protection du FBI, l'avocat en profite, entre deux séances pour s'habituer à sa nouvelle vie, pour faire le point sur sa relation avec Daredevil et les dangers que cela représente. Il essaie de s'échapper mais rebrousse chemin lorsqu'il est à nouveau sur le point d'être exécuté.

Matt Mur­dock/Da­re­de­vil débarque en France et suit une piste tortueuse qui le mène à Monaco puis Paris.
Sa rencontre avec Lily Lucca, une jeune femme dont le parfum l'entête et lui rappelle son ancine amour Karen Page trouble considérablement le justicier, qui devine que l'ennemi à l'origine de ses ennuis est une vieille connaissance. En vérité, on se joue de lui, de son passé, à la fois pour l'agacer et l'orienter. Il affronte les coriaces Tombstone et Matador, qui ne sont sur sa route que pour éprouver sa pugnacité à résoudre l'énigme.
Quand enfin il atteint sa cible, la surprise est totale et le ramène à ce qui a conditionné toute sa trajectoire depuis qu'il a évincé le Caïd : c'est en effet la femme de celui-ci qui a tout manigancé. Rongée par la maladive, elle a agi par vengeance mais aussi pour démontrer au justicier aveugle qu'il n'a cessé d'entretenir une liaison destructrice avec Wilson Fisk. Daredevil est ébranlé car il comprend, tout en l'admettant avec difficulté, qu'il est le premier responsable de ce qui lui est arrivé.
Pour être réhabilité, il se résout à accepter l'impensable : faire libérer le Caïd. Il peut à nouveau exercer comme avocat, le FBI abandonne les poursuites contre lui et il retrouve Foggy. Mais ce périple pour recouvrer sa vie laissé des traces et ses fantômes n'ont pas fini de le hanter...


Il aura fallu 12 chapitres haletants et sinueux à Ed Brubaker pour dénouer ce que Brian Bendis avait échafaudé durant tout son run. Certes, la résolution de l'affaire Murdock/Daredevil laisse encore des doutes aux autorités, aux médias et au public, mais somme toute, cette issue équivoque arrange quand même l'avocat-justicier. Il lui reste désormais à continuer son oeuvre en cohabitant avec de douloureux souvenirs et la conscience qu'il a évité de peu le pire.

Le scénariste a ingénieusement joué avec nos nerfs, et les sens de son héros. Il avait déclaré dans une interview vouloir s'intéresser particulièrement à une des facultés de Daredevil à chaque nouvel arc.

Dans Le Diable dans le bloc D, l'ouïe était mise en avant : l'environnement anxiogène de la prison atteignait Murdock par ce qu'il en entendait (le coeur de Foggy qui s'arrêtait après qu'il ait été poignardé, les voix menaçantes des autres détenus lui promettant une mort certaine, le silence inquiet s'installant à l'arrivée de Bullseye dans l'arêne, le vacarme de la mutinerie...).

Dans Le Diable en cavale, c'est l'odorat de Daredevil qui est sollicité par le biais du parfum de la femme fatale qu'il va rencontrer et qui lui rappelle sa défunte amante Karen Page. Une fois en Europe, ce sont aussi les odeurs de villes étrangères où il n'a plus ses repères comme à New York qui l'assaillent, celle aussi d'une hacienda où se déroule une corrida-mascarade ou de l'appartement-mouroir de Vanessa Fisk avec sa cheminée et ses médicaments, et bien sûr le fumet de pistolets avec lesquels on lui tirera dessus.

Cette manière impressionniste de nous balader est vraiment originale et adroitement employée et rendue dans l'écriture de Brubaker, dont le talent est décidément étonnant. La complexité du récit, ses fausses pistes, ce parcours semé d'indices discrets et d'embûches inquiétantes, tout concourt à maintenir le lecteur sur le qui-vive, attentif aux moindres détails, mais quand même surpris à l'heure de la révélation finale. Du grand art !

Graphiquement, encore une fois, Michael Lark et Stefano Gaudiano accomplissent un boulot de première classe. Avec eux, Daredevil acquiert une vulnérabilité troublante, à la fois acrobate émérite, lutteur tenace et homme désorienté, traqueur dérouté. La fluidité du découpage, le sens esthétique de chaque séquence, le soin apporté à la traduction des ambiances urbaines tout en situant l'action dans des lieux inattendus, témoignent d'une exigence qui ne peut que combler le lecteur.

Dans le segment d'ouverture consacré à Foggy Nelson, le tandem Lark-Gaudiano est remplacé par le non moins excellent David Aja, dont j'ai eu l'occasion de faire l'éloge pour sa contribution au titre Immortal Iron Fist. Il livre lui aussi des planches mémorables où le cadrage et les lumières transcendent le récit.

Matt Hollingsworth a succédé à D'Armata aux couleurs, et dans un registre plus délicat, s'impose naturellement. Sobre et raffiné, son apport est remarquable - spécialement dans les scènes en sépia où Murdock se rappelle l'apprentissage de ses pouvoirs.

Une époque s'achève en même qu'une nouvelle débute. Assurèment un des plus beaux passages de témoins qui soit. Ne le manquez pas !

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