samedi 28 mars 2009

critique 6 : TROIS OMBRES de Cyril Pedrosa


Après avoir recommandé Auto-bio*, j'évoque Trois ombres, du même auteur : Cyril Pedrossa. Et cette fois, pas de demi-mesure : ce bouquin est un chef-d'oeuvre. Achetez-le ou empruntez-le, mais lisez-le ! Vous allez en sortir bouleversés comme rarement vous l'avez été avec une bd.
Ce splendide récit complet impose un auteur sensible là où Auto-bio* pourrait ne le résumer qu'à un chroniqueur habile et un graphiste fantasque doué d’un sens aiguisé de la caricature.

Trois ombres est un véritable roman graphique de plus de 250 pages, mais c'est surtout une grande oeuvre sur la perte et la douleur. Pas très tentant ? Peut-être, mais puissant, émouvant, subtil : tout le savoir-faire d'un grand artiste pour aborder des thèmes difficiles sans vous accabler, avec une pudeur remarquable. C'est déjà plus engageant, hein ?
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L'histoire est consacrée à un père qui sait que son fils va mourir et qui ne peut l’admette. La peur, la colère, la révolte le submergent en vagues successives, et pour tenter de sauver son enfant de trois mystérieuses silhouettes rôdant aux alentours de leur maison dans la forêt, il décide de fuir, en laissant derrière eux sa femme à laquelle il promet de revenir. Mais c'est une fuite en avant, désespérée, il en a d'ailleurs certainement secrètement conscience. Il ira jusqu’à vendre son âme pour préserver sa progéniture, après un long périple sur terre et sur mer.
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Quand le dénouement survient, c'est dans une ambiance poétique, surnaturelle, magique, métaphorique, qui laisse libre cours à diverses interprétations - même si le sort du garçonnet est sans équivoque. Ce qui pourrait passer alors pour une pirouette scénaristique un peu facile et grossière procure en définitive un sentiment voisin de celui qu'on éprouve avec le cinéma de David Lynch où la suggestion l'emporte et vous laisse songeur et tourneboulé…
Trois ombres, comme l'a expliqué Pedrossa, fut à l'origine conçu comme une histoire courte de trente pages destinée aux enfants. C'est Lewis Trondheim, directeur de la collection "Shampoing" dans laquelle est sorti le livre, qui l’a poussé à le transformer en le développant en cette fresque intimiste.
Pedrosa a su exploiter à merveille cette pagination généreuse pour conférer de l'ampleur à son récit, esquivant avec un brio étincelant le pathos, et s'autorisant même à nous faire sourire. Il s'est aussi, ainsi, aventuré sur le terrain périlleux du fantastique pour mieux restituer le tragique destin de Louis et Joaquim et en faire une fable à la portée universelle, à la fois cruelle mais aussi humaniste et même in fine optimisme, apaisé, apaisant.
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Graphiquement, Pédrosa démontre une impressionnante maîtrise du noir et blanc, variant les techniques, inventant une sorte d'impressionnisme bédestique tout en créant des planches fantasmagoriques. On songe à Chagall. C'est magnifique.
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Bref, un bouquin vraiment indispensable.

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